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lettre, carte, école

Publié le 19 juin 2013 par Lironjeremy
lettre, carte, école
Lyon, le 17 juin.
Cher, P. B., merci pour votre lettre et les réponses que vous y faites à mes hésitations. L’enveloppe même que vous avez fabriqué me parle, et davantage par les errances mentales qu’elle suscite à laisser trainer l’œil d’un nom exotique à l’autre que par mes souvenirs scolaires de géographie, lesquels sont à peu près nuls. A ce sujet, je fais parti de cette génération à laquelle on n’enseignait plus les préfectures et sous préfectures. On ne réclamait plus trop non plus les départements et les indicatifs auxquels ils étaient appariés. On n’allait plus regarder de si près ; il était question du monde et des grands blocs, Etats-Unis, Japon… avant d’être question de province. Et même, vues de si loin, les évolutions politiques périmaient la répartition des états, les noms pour ne laisser que des représentations flottantes, vaguement fantasmagoriques. Et de nous préciser que telle dénomination désignait ce que l’on appelait actuellement le. Qu’ici s’était créé un état indépendant, là une réunification. On s’en est trouvé tenu entre les abstractions lointaines de la géopolitique globalisée et l’ignorance de ce dont on est issu. Ces cartes aux teintes confuses qu’on  voyait encore au fond de certaines salles de classes ou roulées au dessus des armoires me paraissaient aussi anachroniques que les bocaux de formol au fond de la classe de sciences, à moitié éventés et dont le contenu n’étais parfois plus identifiable, les rares bureaux qui étaient encore de bois et non mélaminés, avec encoche pour y déposer le stylo sans qu’il roule. Je crois confusément que l’école m’apparaissait alors comme le lieu d’une survivance qui allait en se défaisant, quelque chose de vaguement en dehors de la vie qui se menait, une tradition persistant un peu artificiellement. Ce que ces quelques restes poussiéreux disaient. Et moi, cancre malgré moi, je flottait là-dedans, entendant des choses qui n’imprimaient pas en moi, ne parvenant pas à me remplir de toutes ces quantités de mots et de papier. On pouvait me faire répéter dix fois, vingt fois ; dès qu’un instant passait la chose s’absentait comme le fait une image lorsqu’on ferme les yeux, après une brève persistance rétinienne. Là où certains esprits voyaient en la carte un formidable outil de lecture du territoire donnant l’aplomb nécessaire à une vision claire des choses, je ne voyais que signes mouvants, bactéries frayant sous la lunette d’un microscope ou polypes ondulant sous la surface de l’eau. Peut-être est-ce ce que l’on appelle l’immaturité, cette façon de s’en remettre à l’imagination et ses dérives ouatées plutôt qu’aux boulevards Haussmanniens de la raison ? On a du expliquer mes échecs scolaires comme ça, en partie, avant de diagnostiquer la dyslexie. Timide et rêveur et qui déjà dessine dans les marges. Peu importe au fond les mots que l’on met là-dessus. Encore que. D’un côté on parvient un peu à comprendre, du moins on a quelques pistes.
Toujours est-il, je suis le produit de mon époque, j’appartiens à une génération. Si j’en défini mal les contours, il est question de désillusion, de mouvement un peu confus, du moins sans dynamique claire, de ne se fier à rien qu’a ce mouvement qui périme chaque instant tout en donnant l’impression de n’aller nulle part. Nos enthousiasmes répétés et passagers pour quelques progrès techniques qui vont avec les premières possessions que nous permet notre âge ont pris une tournure un peu lasse, blasée. Que l’on se dirige tous plus ou moins, massivement vers le bac, comme un troupeau, ne donnait pas davantage de sens. On ne se précipitait pas, une fois l’âge, pour voter. On griffonnait des moustaches aux affiches de tous les partis. On se démerdait tant bien que mal pour s’en tirer comme on pouvait, sortir de ce merdier dont on se figurait encore mal l’étendue, tout en présageant intuitivement qu’il devait être vaste. Au lycée, on ne comprendrait que la philosophie de l’absurde.

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