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"Cry me a river"*

Publié le 04 novembre 2014 par Lifeproof @CcilLifeproof

La collection Lambert a pris ses quartiers en Avignon en 2000. L'an passé je vous avais parlé ici de leur exposition d'été qui se tenait à la fois au musée mais aussi au Palais des Papes. Cet été, le musée étant en travaux, la colection Lambert a poursuivi son exploration de la ville d'Avignon et s'est implantée jusqu'au 25 novembre prochain dans le bâtiment de la prison Sainte Anne au centre ville d'Avignon.

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Vue de la prison Sainte Anne, Avignon, septembre 2014. Photo: C.R.

Je ne sais pas si je vous l'ai dit mais je trouve souvent intéressant de voir de l'art contemporain dans des endroits où il n'est pas sensé se trouver. Là, ce fut véritablement le cas, comme pour Chiharu Shiota dans la Chapelle de la Vielle Charité (dont j'avais parlé là). La prison Sainte Anne à Avignon a été "abandonnée" il y a dix ans et de projets d'hôtels de luxe à d'autres projets, pour l'instant elle est restée en l'état: le quartier des hommes (immense), celui des femmes (tout petit comparativement), les cours pour prendre l'air aussi, les cellules des prisonnniers, les douches, etc. Tout cela est devenu le théâtre, le temps de quelques mois, de l'exposition La Disparition des luctioles. "Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l'eau (fleuves d'azur et canaux limipiides), les lucioles ont commencé à disparaître. Cela a été un phénomène fouroyant et fulgurant. Après quelques années, il n'y avait plus de lucioles. (...) Ce "quelque chose" qui est intervenu il y a une dizaine d'années, nous l'appellerons donc la "disparition des lucioles.""

Les commissaires, Eric Mézil et Lorenzo Paini, sont partis de cet article de Pier Paolo Pasolini pour leur exposition et parler ainsi d'une société disparue... Les lucioles ont disparu, comme les prisonniers ont quitté les locaux de la prison Sainte Anne mais pas leur traces, pas leurs souvenirs, idem pour les lucioles. en passant d'une cellule à une autre, on passe d'une œuvre à une autre, d'un artiste à un autre et on change d'univers. Parfois les œuvres interrogent la question de la prison, parfois on se demande s'il est question d'un point de vue sur la vie, le monde, la société dans laquelle on vit, ou autre. Mais la prison est avant tout un microcosme social et en ce sens tout ce que l'on peut trouver ou croiser dans notre vie, s'y retrouve aussi ainsi, on y rencontre des fantômes, des traces, du merveilleux aussi, de la folie, de la peur, de la peine, de la joie, des images, des jeux, de la création, tout ce qui permet de rester vivant.

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Vue de la prison Sainte Anne, Avignon, septembre 2014. Photo: C.R.

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Christian Boltanski, Ombres, 1985, collection Frac Acquitaine. © Adagp, Paris 2014. Photo: C.R.

En visitant La disparition des lucioles on passe d'un étage à l'autre, de cellules en cellules. Parfois on peut entrer, à d'autres moments non, dans ces cas-là, seul l'oeilleton par lequel le maton regardait permet de voir ce qu'il y a dans la pièce. C'est le cas, par exemple, pour l'une des œuvres de Christian Boltanski. Quand on regarde Ombres (1985, collection Frac Acquitaine), c'est par l'œilleton que l'on voit une joyeuse danse macabre faite de brics et de brocs comme des ombres fantomatiques qui viennent hanter ces espaces autrefois habités. Les Speech Bubbles (silver) de Philippe Parreno (2009, collection Enea Righi, courtesy de l'artiste et Air de Paris) ont envahi le plafond du dernier étage et sont autant de bulles de bds qui, peut-être, pourraient être les paroles des détenus dans ce cas-ci. Elles sont vierges, à nous d'imaginer quoi écrire dessus avant qu'elles ne se dégonflent.

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Philippe Parreno, Speech Bubbles (silver), 2009, collection Enea Righi, courtesy de l'artiste et Air de Paris. Photo: C.R.

Mais, même si elles se dégonflent, la parole est donnée aux anciens habitants de cette prison, on y voit l'historique de la prison, ses plans, son histoire quotidienne, des chiffres, des statistiques, etc., certaines des cellules sont consacrées à cela et viennent rythmer l'exposition, apportant un éclairage neuf aux pièces que l'on voit et parcoure, un écho se créant entre la prison, l'idée que l'on se fait d'une prison, les oeuvres qui sont présentées mais aussi avec toutes les traces qui ont été laissées par les anciens détenus. En effet, on peut voir des dessins, des mots, des phrases, des photos (et pas uniquement des femmes nues, de loin pas) sont posés sur les murs, les portes, ce sont les fantômes de ces homes et femmes qui ont passé du temps à la prison Sainte Anne et qui ont écrit, dessiné... de quoi s'échapper ou penser à l'extérieur pour se sentir peut-être un peu moins enfermé. Autant de mondes qui ont été abandonnés avec la fermeture de la prison.

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Roni Horn, Cabinet of, 2002.  © Roni Horn. Photo: C.R.

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Miroslaw Balka, Heaven, 2010. © Miroslaw Balka. Photo: C.R.

Des photos de clowns flous de Roni Horn sont exposées dans l'un des couloirs; un homme à grosse tête semble abattu dans une des cellules (xxxxx); dans l'installation The Cells - The Moon (1996) de R 158 on peut voir un enfant assis, au dessus de lui une pierre est suspendue par un fil léger juste au-dessus de lui, va-t-elle tomber?; un ciel étoilé, ouverture vers l'extérieur, Blue (sky over Los Alamos, New Mexico, 5./5/00, Morning Effect) de Spencer Finch; Heaven de Miroslaw Balka et ses formes hélicoïdales qui pendent dans une cours, reflètent le soleil et tout ce qui se trouve dans l'espace; font partie des oeuvres qui m'ont sans doute le plus touchées.

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*Ugo Rondinone, Cry Me a River, 1997. © Ugo Rondinone. Photo: C.R.

Tout, cela n'était pas possible, il y avait beaucoup voir, trop au fond et pourtant j'aime ça. La disparition des lucioles, est une exposition dense, riche et la plupart du temps très intelligente et enrichissante. Le lieu choisit, le concept de l'exposition, les oeuvres choisies, ainsi que le fait d'avoir donné la parole à la prison et à ses anciens habitants, en fait un objet le plus souvent cohérent, même si certaines des œuvres choisies laissent perplexes. Je pourrai vous parler encore longtemps de toutes les œuvres qui sont exposées dans cette exposition, mais je préfèrerai que vous la découvriez.

Cécile.

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Exposition La disparition des lucioles du 18 mai au 25 novembre 2014. 

Prison Sainte-Anne, 55, rue de la Banasterie, Avignon.

Ouvert tous les jours de 11h à 19h.

http://www.collectionlambert.fr/


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