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Martelly sur TV5: Les dits et les non dits (2ème partie)

Publié le 04 novembre 2014 par Fredlafortune

martelly-tv5Le président d’Haïti, Michel Martelly, a été l’invité spécial de l’émission ‘’Internationales’’ sur TV5 le dimanche 2 novembre 2014. Il a répondu aux questions de Philippe Dessaint de TV5, de Sophie Malibeaux (RFI) et de Paulo Paranagua (Le Monde). Après vous avoir présenté la première partie de notre décryptage de cette émission, le site NancyRoc.com a le plaisir de vous présenter la deuxième et dernière partie de ce dernier.

Dans la première partie de notre décryptage, nous avions présenté et analysé les propos du chef de l’État haïtien concernant l’aide internationale à Haïti, les élections, les manifestations de rue qui se succèdent dans ce pays de la Caraïbe et la conception de l’État de droit du président.

Vu que cette entrevue n’était pas linéaire et que dans la deuxième partie, les journalistes sont revenus sur des sujets abordés dans la première partie, nous avons rassemblé les dires épars par thèmes pour faciliter nos internautes. En effet, cette entrevue était davantage un entretien à bâtons rompus mais elle était, aussi, hautement politique.

Juste avant la pause publicitaire de l’émission ‘’Internationales’’, rappelons que les journalistes français questionnaient le président Martelly sur son laxisme quant à l’absence de jugement de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier. Dès la reprise, le président Martelly a été interrogé sur l’actualité au Burkina Faso et la récente démission de Blaise Compaoré.

Sur la politique internationale

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D’entrée de jeu, Philippe Dessaint de TV5, est passé à une autre vitesse en demandant à Martelly: « On vient de voir le départ de Blaise Campaoré après des troubles au Burkina Faso. Comment  vous analysez cette situation? Vingt-sept ans au pouvoir, on est tenté, un peu comme d’autres, de toucher à la Constitution pour rester encore plus longtemps; la rue se révolte…Vous dites quoi? C’est çà la démocratie?».

Pour Martelly, Campaoré a été victime de son propre mauvais calcul.  « Même quand on a tendance à le faire (toucher à la Constitution), il faudrait s’assurer du support de la population (…),et s’il ne l’avait pas, je ne pense pas qu’il aurait dû le tenter».

Pour la première fois de son histoire républicaine, sous l’administration de Martelly,  Haïti a modifié sa Constitution en 2012, après moultes tergiversations, pour reconnaître le principe de double nationalité et pour permettre la création d’un conseil électoral permanent.

Martelly nous annonce-t-il qu’il pourrait s’assurer du soutien de ses partisans pour tenter de toucher à la Constitution après le 12 janvier 2015, lorsqu’il pourra gouverner par décret? À quel dessein, sans Parlement?

Phillippe Dessaint a ensuite fait référence au ‘’Printemps noir africain’’, en précisant que «  la rue peut chasser des présidents. Çà doit donner des idées ou des mises en garde à d’autres présidents en Afrique, on ne va pas citer la liste, qui seraient tentés de changer la Constitution», a-t-il dit. « Pour vous, c’est un exemple, c’est un précédent ? », a-t-il renchérit en voyant le président Martelly hésiter. Le président haïtien a déclaré que ce n’était pas un précédent puisque c’est arrivé en Haïti avec Duvalier « qui était président à vieIl faut choisir la démocratie pour permettre aux idées, aux gens de se renouveler à travers les élections. C’est pourquoi je tiens aux élections », a-t-il affirmé.

Espérons que le président Martelly dit vrai et ne pensait pas charmer l’audience mondiale de TV5 avec des promesses creuses. En effet, la référence au Burkina Faso, l’insistance de Philippe Dessaint sur les changements constitutionnels par un président, sur la pression des rues et, des énoncés tels que, « ca doit donner des idées ou des mises en garde à d’autres présidents » ou encore, lorsque Sophie Malibeaux (RFI) enfonce le clou en déclarant : « Le peuple n’a pas été en mesure de voter, aujourd’hui certains demandent votre démission. Lorsque vous voyez ce qui se passe au Burkina Faso, est-ce que quelque part cela vous fait sentir l’urgence de la situation?; toutes ces questions n’ont rien d’innocent.

Quelque chose était en train de se passer. Les journalistes, tant par leurs questions, leur condescendance et leur frustration lorsque Martelly ne répondait pas aux questions, envoyaient des signaux clairs d’un revirement des bailleurs de fonds et de la Communauté internationale vis-à-vis  de l’administration Martelly/Lamothe. Le message que claironne le premier ministre Laurent Lamothe et qui est repris par le président Martelly soit, « tout est prêt pour les élections que nous voulons organiser dès que possible (…) Il nous manque une chose, qui est la loi électorale», ne passe tout simplement plus après trois ans d’attente.

En effet, si le président Martelly minimise les nombreuses manifestations qui ont eu lieu dans son pays, ces dernières inquiètent la Communauté internationale qui, comme beaucoup d’observateurs haïtiens, voit se profiler une crise institutionnelle potentiellement explosive en 2015.

Dans l’incapacité de fournir une date pour la tenue des prochaines élections législatives, les questions  adressées à Martelly constituaient un avertissement et les journalistes ont dû recevoir des informations substantielles pour traiter un chef d’État d’une telle façon sur un plateau, soit comme un enfant turbulent qu’on veut rappeler à l’ordre.

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Paulo Paranagua (Le Monde) a d’ailleurs enchaîné avec la récente visite du 30 octobre 2014 de Thomas Shannon, Conseiller du Secrétaire d’État des États-Unis John Kerry, qui réitérait le support des États-Unis à l’organisation des élections dans un délai convenable, encourageait le dialogue politique et soulignait les progrès effectués dans les domaines de la reconstruction et du développement.

 « Il essaye de trouver une solution à l’impasse institutionnelle haïtienne due au fait qu’il n’y a pas eu d’élections le 26 octobre, qu’on ne sait pas s’il y  aura des élections en janvier. Vous ne trouvez pas que c’est quand même curieux qu’un diplomate américain fasse un travail qui serait peut-être le vôtre, en tant que chef d’État, de rassembler les différentes forces et de trouver une issue institutionnelle? », a-t-il demandé les yeux ahuris de constater que c’est un diplomate américain  qui remplit le rôle que le président Martelly devrait lui-même tenir, soit de convenir de la tenue des élections.

Réponse du président haïtien : « On s’est mis dans une situation où l’on vit, on a vécu, de ce que les amis avaient à nous apporter. Donc, ceux qui s’investissent, ceux qui paient, ceux qui s’assurent que la démocratie soit construite et installée (en Haïti), s’intéressent aux affaires du pays», a-t-il rétorqué.

« Cela ne vous embarrasse pas? Ce n’est pas de l’ingérence pour vous? », a questionné Philippe Dessaint. « On ne peut pas avoir des élections. S’il y a des gens qui nous aident à résoudre ce problème, pour nous, c’est une forme d’aide», a répondu Martelly, quelque peu gêné.

Pour reprendre de l’assurance, le président haïtien a poursuivi en expliquant : « Nous ne sommes pas seuls  dans la région et une Haïti instable, c’est créer une région instable, c’est être un voisin instable pour la République dominicaine, donc on veut d’une Haïti stable ». Ainsi, il s’est affiché, aux yeux de 55 millions de téléspectateurs, comme un président totalement assujetti aux États-Unis et incapable de gérer son pays et le processus électoral sans recevoir de l’aide, voire des ordres, de la Maison Blanche.

Et c’est là, devant une telle démonstration d’absence de leadership que Sophie Malibeaux (RFI) lâche la question lapidaire : « Et qu’est-ce que vous venez chercher ici en Europe?». Malgré l’irrespect évident d’une telle question, le président haïtien a conservé son calme et a marqué un point important quant à sa retenue, surtout lorsqu’on connaît son tempérament bouillant et son attitude souvent agressive envers les journalistes de son pays.

« L’Haïti que l’on veut construire aujourd’hui est une Haïti ouverte aux affaires (…) et les entrepreneurs me le disent, ils se sentent plus rassurés quand ils parlent à l’Exécutif (…) que l’Exécutif donne la garantie que l’État est là aujourd’hui pour les accompagner, pour créer des conditions attrayantes pour que les investisseurs (puissent venir en Haïti)», a répondu le président.

Sur la politique de l’administration Martelly/Lamothe

Mais de quels entrepreneurs parle le président? Il a raté l’occasion de citer ne fusse qu’une entreprise qui a investi en Haïti depuis son arrivée au pouvoir. Or, le plateau de TV5 constituait une plateforme idéale pour donner des exemples concrets. D’autre part, pourquoi un entrepreneur devrait-il avoir accès à l’Exécutif pour investir dans un pays? Pourquoi faudrait-il être ‘’rassuré’’ par le chef de l’État? Cela ne démontre-t-il pas en soi qu’au-delà du slogan Haiti is open for business, la réalité est tout autre?

Et de fait, Haïti est un pays aujourd’hui où les pannes de courant sont pires qu’auparavant, il y a une rareté croissante d’eau, une absence criante de cadres et toujours un manque d’infrastructures, quatre ans après le séisme.

Le président a beau dire que désormais on peut ouvrir une entreprise en 9 jours, une personne pourtant proche de son entourage nous a révélé que cela fait plus d’un an qu’elle attend son permis d’emploi. Il y a deux ans, au Forum d’Affaires Québec Haïti, organisé par Incas Productions à Montréal, le ministre du Commerce, Wilson Laleau avait lui aussi annoncé qu’il ne faudrait que 10 jours pour ouvrir une entreprise…cela a pris pourtant deux ans pour se concrétiser.

Et Sophie Malibeaux (RFI) ne s’y est pas trompée en citant le dernier Rapport «Doing Business 2015» de la Banque Mondiale qui classe Haïti à la 180ème place sur 189 pays. La République Dominicaine, est classée à la 84ème place. « La politique des affaires est désastreuse en Haïti», a dit la journaliste.

« Désastreuse peut-être par rapport à la France ou aux États-Unis, mais il fallait voir ce que c’était avant», s’est défendu le président. Non, Monsieur le Président, c’est sur 189 pays. Avant?  Dans le Rapport « Doing Business 2012», couvrant les données entre juin 2010 et mai 2011, juste avant l’arrivée au pouvoir de Michel Martelly, Haïti occupait  la 174ème position dans le classement de la Banque Mondiale, soit 6 places de mieux qu’aujourd’hui.

Ces chiffres prouvent encore une fois qu’Haïti fait dans le cosmétique et la propagande mais dans le fond, le dernier Rapport «Doing Business 2015» vient clouer au pilori le slogan creux que galvaude l’administration Martelly/Lamothe;  Haiti is open for business.

Qu’est-ce que le président Martelly est venu chercher en Europe? Bonne question, La France est engluée dans une crise sans précédent, non seulement politique mais également économique.  Selon les dernières données,  le chômage de très longue durée se développe dix fois plus vite qu’il y a cinq ans et, dans un pays aussi riche, le taux de pauvreté des moins de 18 ans a grimpé de trois points, passant de 15,6% à 18,6 % entre 2008 et 2012, soit une augmentation nette d’environ 440.000 «enfants de la récession».

Quant à l’Allemagne, visitée par le président haïtien, elle est la première puissance économique européenne et la quatrième puissance économique mondiale. Rien de concret n’est ressorti de la visite de Michel Joseph Martelly dans le pays d’Angela Merckel.

Par contre, il n’a pas partagé sur le plateau de TV5 ce qu’il a dit sur le quotidien France-Antilles, auquel il a accordé uneentrevue lors de sa visite à Paris. À la question : « Vous avez choisi de développer la coopération, surtout commerciale. Qu’avez-vous à vendre ?». Le chef de l’état a répondu : « Avant, nous vendions une Haïti qui quémandait, frappée par des catastrophes humaines, naturelles. Aujourd’hui, c’est une belle Haïti digne, qui offre des opportunités aux entreprises internationales(…) On peut produire des bananes pour l’Allemagne et l’Allemagne explore nos possibilités»…

Autres points saillants :

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Martelly et la MINUSTAH : on notera aussi que, concernant la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), le président a déclaré qu’il prévoit un retrait graduel de la force onusienne d’ici juin 2015. Il n’a jamais évoqué  les exactions de la Mission ni l’introduction du choléra en Haïti par les troupes népalaises. Il a dit avoir demandé à Ban Ki Moon d’attendre les prochaines élections présidentielles pour assurer la sécurité du pays en cas de chaos.

Pour remplacer la Mission de l’ONU, Martelly indique que la police nationale est en train d’être renforcée de 1500 hommes par an. D’autre part, il a révélé que les partenaires d’Haïti, à travers la Junte interaméricaine de défense(JID), vont aider à monter le Livre blanc  du gouvernement, qui constituerait l’essentiel « d’une force parallèle à la police qui jouera le rôle de la MINUSTAH», a-t-il dit.

Martelly a salué le travail de la MINUSTAH en Haïti et a souligné ses  « acquis de ces dix dernières années». Le président, qui avait promis le retour de l’armée haïtienne lors de sa campagne électorale, a salué l’occupation militaire d’Haïti: « Je suis de ceux qui supportent cette force dans le pays. J’apprécie le travail qui est fait. Je le dis haut et fort à ma population et à la MINUSTAH».

Martelly et l’éducation : durant cette entrevue, le président n’a pas arrêté de marteler que c’est grâce à lui qu’aujourd’hui le Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire (PSUGO) a été lancé : plus de 1,2 millions d’enfants vont à l’école gratuitement et  leur transport est assuré par l’État.

Si cette initiative est louable, l’école en Haïti n’est toujours pas gratuite comme l’a affirmé le président. D’autre part, depuis plus de trois ans, les secteurs de l’éducation et les syndicalistes ne cessent de dénoncer les fraudes et les  fausses écoles inscrites dans le programme. Les établissements ne répondent pas aux critères de qualité. Les enseignants et  directeurs d’écoles ne sont pas toujours payés à temps. Enfin, l’État paye $US 90 par enfant par an. Qu’est-ce que cela va donner comme éducation de qualité dans le futur?

Martelly et l’histoire d’Haïti : si la visite du président Martelly au Fort de Joux où mourut en captivité Toussaint Louverture, le 7 avril 1803, doit être saluée comme une première, malheureusement, le chef de l’État n’a pas démontré qu’il maîtrisait l’histoire de son propre pays. En effet, lorsque Philippe Dessaint a déclaré que «Toussaint Louverture a battu Napoléon», le président s’est contenté de dire « c’est dur à admettre». Rappelons que Toussaint était un général de l’armée française. Déporté en France et incarcéré en isolement jusqu’à sa mort au Fort de Joux, c’est son ancien lieutenant, Jean Jacques Dessalines, qui a vaincu l’armée de Napoléon et a proclamé l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804.

En conclusion, l’entrevue sur les trois ans au pouvoir de Martelly sur TV5 n’a été qu’une grande scène théâtrale qui a permis de mettre en exergue que la gouvernance haïtienne n’est qu’une coquille vide. Le président a souvent évité de répondre aux questions, préférant jouer de l’escrime, tactique désavantageuse pour lui. Par ailleurs, à ce jour, aucun média français n’a jugé nécessaire de publier un article sur cet entretien.

Quant à ceux qui refusent de voir l’essence de cette entrevue et qui comparent toujours cette administration au vide et à la violence de celle de Lavalas, je les référerai à une pancarte que j’ai vue dans les rues de Ouagadougou : « Quand on s’est débarrassé du diable, peut-on choisir un diablotin? »

Nancy Roc, Montréal, le 4 novembre 2014

Source: Nancy Roc.com


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