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Algérie, comment le régime peut-il assurer sa survie ?

Par Alaindependant

« Pour le régime, qui se demande quelle va être la prochaine tuile qu’il recevra sur la tête, c’est le déboire de trop », nous dit Hocine Malti. Il poursuit : «  Un début de panique a envahi ses rangs, car la nouvelle rente – l’exploitation du gaz de schiste - sur laquelle il comptait fermement pour régénérer le système, ne semble pas enthousiasmer les partenaires potentiels. Que faire alors ? Réviser encore une fois la loi sur les hydrocarbures ? Mais quelles autres concessions faire pour attirer les investisseurs ? A moins de décider que Sonatrach ne se lance en solo dans l’aventure du gaz de schiste. Mais avec quels capitaux ? Car le développement de cette industrie coûte excessivement cher, d’autant plus que ne possédant pas la technologie, l’entreprise nationale devra payer à prix d’or l’assistance étrangère à laquelle elle fera appel. Plus terre-à-terre quel va être le bouc-émissaire auquel imputer ce nouvel échec ? Le ministre de l’énergie ? Quels bouleversements au sein du système et de l’establishment, cette série de mauvaises nouvelles va-t-elle entraîner ? Des changements d’hommes ? De méthodes ? Est-ce que les cadeaux que le régime est disposé à faire pour assurer sa survie vont concerner uniquement l’industrie pétrolière ? Ne va-t-il pas céder à des forces politiques ou financières, étrangères notamment, qui seraient disposées à le soutenir, d’autres parcelles du peu de souveraineté qui lui reste ? »

La liste des questionnements est-elle close ? Et que va faire, ou que peut faire, le peuple algérien pour y répondre ?

Michel Peyret


Le début de la fin de la rente pétrolière algérienne

Algérie, comment le régime peut-il assurer sa survie ?
Hocine Malti, 3 novembre 2014, Le Journal des Alternatives.

C’était il y a soixante ans … Il y a soixante ans le peuple algérien déclenchait sa révolution, l’une des plus belles de l’histoire de l’Humanité. A l’issue d’une guerre de libération de sept ans et demi il se débarrassait du régime colonial abject qu’il avait subi durant 132 années. Durant cette longue période, la France avait utilisé tous les moyens militaires, politiques et juridiques pour le dépouiller de sa terre, de ses richesses du sol et du sous-sol, de sa langue, de ses traditions, de son identité, pour effacer son passé glorieux et pour falsifier son histoire ; ceux qui ont vécu cette période se souviennent que leurs ancêtres étaient des Gaulois, selon l’histoire qui était enseignée dans les écoles pour Indigènes ! C’est grâce à l’enthousiasme, à l’héroïsme et au sacrifice des Mustapha Benboulaïd, Larbi Ben M-Hidi, Abane Ramdane, Didouche Mourad, Hassiba Ben Bouali et ceux de milliers d’autres jeunes, qu’un matin de juillet 1962, le rêve de tout un peuple devenait réalité.

Mais même dans leurs pires cauchemars ces martyrs n’avaient pas imaginé une seule seconde que, soixante ans plus tard, dans l’Algérie libre et indépendante, le peuple serait soumis à un régime semblable à celui dont il avait souffert durant la longue nuit coloniale. Ils n’avaient pas imaginé une seule seconde que l’Algérie tomberait entre les mains de dirigeants intrigants, corrompus, corrupteurs, menteurs, tricheurs, voleurs, qui détourneraient à leur seul profit le pouvoir et les richesses du pays, tout en se prévalant d’une « légitimité révolutionnaire », due au sacrifice de ces martyrs, mais qu’ils se sont auto-attribuée. Ils n’imaginaient certainement pas que leur pays serait un jour dirigé par un homme condamné par la Cour des comptes pour détournement de fonds publics et adepte de complots et de coups d’Etat.

Ils n’imaginaient pas non plus que le prestigieux Front de libération nationale, fruit de leur sueur et de leur sang, qui avait mené cette lutte épique, aurait à sa tête un personnage à la moralité douteuse. Ils n’imaginaient pas enfin que leur peuple serait soumis aux sévices d’une police politique dont les dirigeants ont été à la « bonne école » du KGB, dans le cadre d’une promotion « tapis rouge ». Ils ne pouvaient imaginer un tel destin pour l’Algérie, car ils ne savaient pas que leur pays était riche en pétrole et en gaz, ni que cette rente, procurée par la nature, serait détournée au profit d’une caste. Mais l’Histoire nous enseigne que même les plus grands empires ont une fin, que le Mur de Berlin a fini par tomber et que les situations de rente ne sont pas éternelles. Et si, en ce soixantième anniversaire de la révolution, la rente pétrolière algérienne est loin d’être asséchée, on constate que le régime en place a de plus en plus de difficultés à l’exploiter à des fins de manipulation des opinions et des hommes.

La manne pétrolière, caverne d’Ali Baba

Depuis son arrivée au pouvoir Abdelaziz Bouteflika a utilisé le pétrole algérien et la rente qu’il génère comme moyens d’asseoir son pouvoir, de le renforcer puis de le pérenniser. Mal élu dès 1999, et sachant qu’il ne pouvait s’appuyer sur le peuple, vu le peu de poids que lui accorde le système algérien, il a cherché à échapper à la tutelle des généraux qui l’avaient installé à la tête de l’État, en sollicitant le soutien de l’étranger, notamment celui du président des Etats-Unis. L’occasion de réaliser ses desseins lui fut fournie par les attentats du 11 septembre. Lors de deux voyages consécutifs au pays de l’oncle Sam, au cours du dernier trimestre 2001, il passait un deal avec George W. Bush : pétrole algérien plus mise à disposition de la mine d’informations sur Al Qaïda détenue par l’Algérie contre soutien et protection des Etats-Unis.

Sous couvert d’adapter le secteur de l’énergie aux conditions de fonctionnement d’une économie de marché libre et compétitive, Chakib Khelil, ministre de l’énergie, fut missionné pour solliciter l’assistance de la Banque mondiale en vue de l’élaboration d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures. Les bureaux d’études américains auxquels fut confiée l’étude de cette loi mirent au point un texte qui reprenait point par point les principales dispositions de la nouvelle doctrine américaine en la matière. Dès son arrivée à la Maison Blanche, le président George W. Bush avait, en effet, confié à un groupe de travail, présidé par Dick Cheyney, ex-P-DG de Haliburton devenu vice-président des Etats-Unis, la mise au point de cette doctrine. Sans surprise la nouvelle loi algérienne adoptait le même objectif que celui visé par les Américains, à savoir le transfert des droits de propriété sur les gisements de pétrole et de gaz des compagnies nationales des pays producteurs vers les multinationales pétrolières, dominées comme on le sait, par des intérêts américains.

Après une saga abracadabrante qui dura 4 années, au cours desquelles cette loi fut d’abord gelée puis adoptée, Abdelaziz Bouteflika en fit finalement annuler les dispositions les plus controversées en 2006. L’échec de la tentative de céder le contrôle du secteur pétrolier algérien aux firmes américaines ne décourageait cependant pas le président algérien, qui s’était engagé à satisfaire toute demande américaine au point de faire de l’Algérie le premier fournisseur africain des Etats-Unis en pétrole ; ainsi les enlèvements de pétrole algérien par ces derniers passaient d’un niveau quasi nul (50 000 tonnes en 2000) à 22 000 000 de tonnes en 2007, quitte à détériorer, ce faisant, les gisements algériens.

Par ailleurs, au plan intérieur, Abdelaziz Bouteflika a utilisé la rente pétrolière comme appât destiné à piéger le clan des généraux. En permettant à ces derniers et à leurs hommes de mains de se gaver de commissions sur tous les marchés conclus par l’entreprise nationale des hydrocarbures, il escomptait et réussissait à compromettre une bonne partie d’entre eux. Les membres de son clan, ses frères tout particulièrement, s’en donnaient également à cœur-joie dans cette razzia. De fait, on a vu, depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999, la corruption se développer à une allure exponentielle. C’est devenu son outil de gouvernance, celui qui lui a permis, non seulement de neutraliser ses ennemis, mais aussi de renforcer son pouvoir en achetant le soutien d’hommes d’affaires véreux, de fonctionnaires de haut rang, de responsables politiques de tous bords et de membres de confréries religieuses.

Premiers coups de semonce

Les choses commencèrent cependant à tourner au vinaigre à partir du dernier trimestre de 2011. Le gros scandale de corruption dévoilé par le DRS en décembre 2009 avait permis à ce dernier de prendre le contrôle du secteur pétrolier après le limogeage du ministre de l’énergie, Chakib Khelil, ami d’enfance et homme de confiance du président algérien, et celui des hauts responsables de la compagnie nationale impliqués dans le scandale. Par incompétence, négligence ou parce qu’il avait reçu l’ordre de ne pas y toucher, le nouveau tandem en charge du secteur de l’énergie – ministre et P-DG de Sonatrach – maintenait en l’état la loi sur les hydrocarbures, léguée par l’équipe qui les avait précédé aux affaires, qui en avait fait un repoussoir pour tout investisseur étranger.

C’est tout naturellement donc que le troisième appel à la concurrence pour l’attribution de permis de recherche lancé en octobre 2011 s’avéra infructueux. Plus aucune compagnie pétrolière digne de ce nom ne voulait se lancer dans la recherche d’hydrocarbures en Algérie C’était le premier coup dur porté au système de gouvernance mis en place par Bouteflika qui sentait qu’il y avait là les prémisses annonciatrices de l’avènement d’une nouvelle ère au cours de laquelle le pétrole cesserait d’être le moyen d’acheter des consciences et des alliances. Pris de court par ce camouflet, le régime se rendait néanmoins compte que ses assises n’étaient plus aussi solides qu’elles l’avaient été jusque-là. Mais la rente pétrolière n’était pas asséchée, il avait donc encore de belles années devant lui. Ce qui le tracassait cependant, c’est le fait de savoir que s’il ne pouvait plus manipuler les hommes et les foules comme il l’avait fait jusque-là, il était à terme condamné à disparaître ou pour le moins à composer.

Mais composer avec qui ? Il ne le savait pas, mais ressentait néanmoins de manière diffuse qu’au sein du peuple, qu’il avait de tous temps traité comme une populace malléable et manipulable à souhait, il existait des forces qui risquaient de se réveiller un jour et se retourner contre lui. C’était une menace certes encore impalpable mais qui pouvait devenir réalité s’il ne disposait plus des quelques centaines de millions de dollars qui lui permettraient de calmer les ardeurs, de la jeunesse notamment. En attendant de découvrir la potion magique qui lui permettrait d’acheter la paix sociale, le pouvoir décidait, dans l’immédiat, de désigner le bouc-émissaire auquel il imputerait sa faillite. C’est le P-DG de Sonatrach, nommé quelques 22 mois auparavant, qui paya les pots cassés : il fut limogé. On lui reprochait de n’avoir pas vu le coup venir et de n’avoir pas modifié à temps la loi sur les hydrocarbures afin de rendre l’Algérie plus attrayante pour les investisseurs. Ce faisant, Abdelaziz Bouteflika avait oublié que c’était, en réalité, son ami d’enfance Chakib Khelil qui était à l’origine de ses « malheurs ».

La seconde alerte eut lieu au cours de cette même année 2011 quand des rumeurs disant que les réserves de gaz de l’Algérie étaient surestimées, se mirent à circuler dans les cercles pétroliers à travers le monde. Dans une première phase, le ministre de l’énergie démentait et déclarait que le pays possédait des réserves de gaz naturel suffisantes pour couvrir non seulement les demandes du marché intérieur mais aussi ses engagements à l’exportation. Les chiffres sont cependant têtus. La production du pays avait effectivement chuté de 89 milliards de m³ en 2005 à 83 en 2011, tandis que l’exportation était passée de 65 milliards de m³ en 2005 à 49 en 2012. Il dut donc se rendre à l’évidence et reconnaître que l’Algérie éprouvait de plus en plus de difficultés dans la commercialisation de son gaz, au plan du prix notamment, car les Etats-Unis étaient en train de passer du statut de gros consommateur à celui d’exportateur, en raison de l’exploitation intensive des gaz de schiste qui y avait démarré une dizaine d’années auparavant.

Il admettait aussi que la consommation intérieure de gaz naturel connaissait une très forte croissance depuis quelques années et qu’à ce rythme l’Algérie risquait, à terme, de ne plus être en mesure d’honorer ses engagements avec l’étranger. Pour l’establishment algérien c’en était trop : un prix de cession du gaz négocié à la baisse, un domaine minier devenu peu attractif, puis dans le futur des contrats de vente non honorés, c’était tout l’édifice du pouvoir qui était en train de s’effriter. Pour remédier à cet état de fait, le ministre de l’énergie annonçait une nouvelle loi sur les hydrocarbures comportant deux dispositions essentielles. La première, portait révision du mode de calcul de l’impôt sur les bénéfices des compagnies pétrolières qui serait dorénavant fonction du taux de rentabilité de leurs opérations. Enorme cadeau que leur faisait le gouvernement puisque le service des impôts est dans l’impossibilité de juger si les éléments qui déterminent ce taux, tels qu’annoncés par les entreprises, sont exacts. Par ailleurs, pour pallier à la baisse de la production de gaz naturel, la loi autorisait dorénavant l’exploitation du gaz de schiste. C’était la seconde mesure, adoptée malgré les gros dangers qu’elle représente pour les hommes, la faune et la flore et malgré le fait que les Algériens ne maîtrisent pas la technologie requise.

La production de pétrole brut était elle aussi en déclin ; elle passait, condensat compris, de 85 millions de tonnes en 2006 à 76 en 2012. Cette baisse n’avait cependant pas un énorme impact sur la santé financière du pays, vu que le prix du baril de pétrole restait encore aux alentours des 120 à 130 dollars. Mais la tendance baissière qui est la sienne depuis une année environ, qui semble installée dans la durée, commence à inquiéter sérieusement le régime d’Alger ; d’autant plus que les effectifs et les dépenses des organes de sécurité (armée, police, gendarmerie), chargés de prévenir toute velléité de révolte du peuple, sont en augmentation permanente.

Gros nuages à l’horizon

Puis il y eut l’attaque terroriste menée contre le champ de gaz de Tiguentourine, une première dans l’histoire du pays qui a rendu l’Algérie encore moins attractive aux yeux des partenaires étrangers, qui se mirent à douter de plus en plus de l’efficacité des moyens mis en œuvre pour assurer la protection des hommes et des installations industrielles.

Il y eut enfin le peu d’enthousiasme manifesté par les compagnies pétrolières au 4ème appel d’offres destiné à l’attribution de nouveaux permis de recherche. Lancé au mois de janvier 2014, cet appel d’offres portait sur 31 périmètres, dont 17 couvraient des zones recélant des hydrocarbures non conventionnels (gaz ou pétrole de schiste). La date d’ouverture des plis fut reportée à deux reprises dans l’espoir de voir soumissionner ceux qui rechignaient à le faire. Attente vaine, puisqu’au bout du compte seuls 4 périmètres trouvèrent preneurs, dont aucun situé en zone contenant des hydrocarbures non conventionnels. Plus grave encore, il n’y eut sur 3 de ces périmètres qu’un seul soumissionnaire, tandis qu’on assistait à une légère concurrence sur le 4ème pour lequel deux offres furent présentées. Mais l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaft) ne pouvait faire la fine bouche et dut se satisfaire de ce maigre résultat.

Pour le régime, qui se demande quelle va être la prochaine tuile qu’il recevra sur la tête, c’est le déboire de trop. Un début de panique a envahi ses rangs, car la nouvelle rente – l’exploitation du gaz de schiste - sur laquelle il comptait fermement pour régénérer le système, ne semble pas enthousiasmer les partenaires potentiels.

Que faire alors ? Réviser encore une fois la loi sur les hydrocarbures ? Mais quelles autres concessions faire pour attirer les investisseurs ? A moins de décider que Sonatrach ne se lance en solo dans l’aventure du gaz de schiste. Mais avec quels capitaux ? Car le développement de cette industrie coûte excessivement cher, d’autant plus que ne possédant pas la technologie, l’entreprise nationale devra payer à prix d’or l’assistance étrangère à laquelle elle fera appel. Plus terre-à-terre quel va être le bouc-émissaire auquel imputer ce nouvel échec ? Le ministre de l’énergie ? Quels bouleversements au sein du système et de l’establishment, cette série de mauvaises nouvelles va-t-elle entraîner ? Des changements d’hommes ? De méthodes ? Est-ce que les cadeaux que le régime est disposé à faire pour assurer sa survie vont concerner uniquement l’industrie pétrolière ? Ne va-t-il pas céder à des forces politiques ou financières, étrangères notamment, qui seraient disposées à le soutenir, d’autres parcelles du peu de souveraineté qui lui reste ? Va-t-il oser une telle infamie et porter ainsi encore une fois atteinte à la mémoire de ces centaines de milliers de chouhadas qu’il utilise toujours, soixante ans après le déclenchement de la guerre de libération, comme fonds de commerce ?

Autant de questions auxquelles on ne devrait pas tarder à avoir des réponses. Ce qui est certain, c’est que le régime est chancelant et comme toute bête blessée, ses réactions sont imprévisibles.


Voir en ligne : Algeria Watch


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