Magazine Politique

Les outre-mer, premières victimes du changement climatique

Publié le 05 novembre 2014 par Blanchemanche
#changementclimatique #biodiversité
Les outre-mer, premières victimes du changement climatique

Mer émeraude, sable blanc éblouissant : comme une bonne partie des outre-mer européens – des Iles Vierges britanniques à la Polynésie française en passant par l'océan Indien – la Guadeloupe peut vanter ses plages de rêve auprès des touristes. Mais la carte postale s'estompe sous la surface de l'océan qui ne grouille plus de vie, pâtit de l'arrivée d'espèces dévastatrices et étouffe sous des proliférations d'algues.

Les îles souffrent dans leurs forêts, leurs mangroves, leurs zones d'agriculture traditionnelle. Vision catastrophique pour demain ? Non, les effets du changement climatique sont déjà bien présents, ont martelé les participants à la Conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique qui s'est tenue en Guadeloupe du 22 au 24 octobre.
Ministres, élus locaux, gestionnaires de réserves naturelles, ONG, scientifiques, fonctionnaires au service de l'environnement : les représentants de ces 28 territoires rattachés plus ou moins étroitement aux métropoles de France, de Grande-Bretagne ou des Pays-Bas ne se sont pas retrouvés pour dresser un énième état des lieux. Ce travail-là, ils s'y sont déjà attelés ensemble lors d'une première rencontre des outre-mer européens à la Réunion, en 2008. Il s'agissait donc cette fois de déboucher sur une déclaration de politique commune, dite Message de Guadeloupe.
« 70 % DE LA BIODIVERSITÉ EUROPÉENNE »
La région Caraïbe fait partie des 34 « hotspots » de la biodiversité mondiale. Même si les estimations chiffrées varient, le constat est partagé : c'est bien dans les territoires d'outre-mer, insulaires ou non, que se concentrent un nombre fantastique d'espèces animales et de variétés végétales. « 70 % de la biodiversité européenne s'y trouve » a indiqué pour sa part la ministre de l'outre-mer, George Pau-Langevin.
  Plus riche, ce patrimoine est aussi le premier à être frappé par les impacts du changement climatique. Les îles sont particulièrement exposées à l'accélération des sécheresses et des intempéries destructrices, comme le cyclone Gonzalo qui vient de frapper Saint-Barthélémy, a rappelé la ministre. Ces territoires isolés doivent aussi affronter les conséquences du réchauffement de l'eau et de l'atmosphère qui déstabilisent leurs écosystèmes vulnérables, l'acidité accrue des océans et la montée du niveau des mers bien sûr.
Toutes ces menaces devraient les inciter à se tourner sans attendre vers l'excellence écologique et économique, a estimé Ségolène Royal. Les régions ultrapériphériques ont « pour réussir cette mutation de pressantes raisons et de nombreux atouts. L'enjeu dès lors, a lancé la ministre de l'écologie, n'est plus de rattraper un vieux modèle à bout de souffle mais de devancer et d'entraîner. »
AGRODIVERSITÉ LOCALE
Ségolène Royal a sans surprise saisi l'occasion pour mettre en avant la transition énergétique qui lui tient à cœur, sans pour autant passer au second plan les enjeux de la préservation de la diversité biologique, un combat « indissociable, étroitement entrelacé » avec les actions en faveur du climat. Elle a évoqué notamment les initiatives de Paris à l'égard des aires protégées qui se multiplient dans les 11 millions de kilomètres carré de zones maritimes françaises, a plaidé pour la restauration des mangroves et des forêts qui dépolluent, captent le carbone, protègent des tsunamis et de la houle cyclonique.
Quant au Message de Guadeloupe, il risque de décevoir car il annonce moins de mesures concrètes que ne l'espéraient les 200 congressistes présents. Le texte fait forcément la part belle au soutien à la transition énergétique, il insiste sur l'amélioration des transports publics, la protection et la restauration des écosystèmes. Il préconise de « cesser la surexploitation des fonds marins et des ressources terrestres ». Voilà qui passe entre autres par de meilleures pratiques de pêche, par le partage des stratégies efficaces pour protéger non seulement les espèces sauvages, mais aussi celles qui composent l'agrodiversité locale.
L'appel consacre tout un chapitre aux espèces invasives. Et là, les experts ne tergiversent pas : entre autre arsenal de mesures, ils envisagent l'éradication totale de l'importun, quitte à s'y mettre à plusieurs États quand l'affaire est grave. C est le cas du poisson-lion, si catastrophique qu'il figure expressément dans le Message de Guadeloupe.
Plaisant à regarder avec des piques dorsales colorées et venimeuses, l'animal arrivé sur les côtes de Floride à la fin des années 1990 a depuis achevé de coloniser toute la Caraïbe. Plus grand et plus vorace que dans l'océan Indien dont il est originaire, plus prolifique aussi – on dénombre jusqu'à 1000 individus à l'hectare au lieu de 50 dans son environnement initial – on en trouve par 300 mètres de fond. Le poisson-lion a fait chuter certaines populations de poissons de moitié. Une meilleure coopération entre les États de la région aurait peut-être pu le freiner. A présent, il faudrait prendre l'habitude de le consommer, mais certains poissons lion sont contaminés par le chlordécone, un pesticide longtemps utilisé dans les plantations de bananes.
LA FRANCE AU 6E RANG MONDIAL
Mangoustes, tilapias, rats, escargots, fourmi manioc, cerfs, sans compter toutes sortes d'oiseaux, de végétaux, d'algues, les espèces exotiques invasives pèsent sur les environnements des îles d'une façon qu'il est difficile aux métropolitains d'imaginer. L'Union internationale pour la conservation de la nature – qui co-organisait la conférence avec le conseil régional de Guadeloupe - a classé la France au sixième rang mondial des pays les plus touchés par ce phénomène. D'autres ont bien du mal à faire face.
Selon le ministre de l'environnement de Polynésie française, Heremoana Paamaatuaiahutapu par exemple, il en coûterait au moins un million d'euros pour débarrasser la seule île de Tahiti de la fourmi de feu, qui s'attaque aux cheptels comme aux humains. Son intrusion doit sans doute moins au changement atmosphérique qu'à la mondialisation des échanges. L'homme par ses activités, s'y entend pour accélérer les effets des évolutions du climat.
Autre exemple, les algues Sargasse qui se répandent sur le littoral martiniquais en ce moment sont endémiques. Mais depuis 2011, elles s'agrègent en radeaux de plusieurs kilomètres carré et plusieurs mètres d'épaisseur avant de s'échouer régulièrement sur les côtes des Antilles. Les engrais que l'Amazone charrie jusqu'à l'Atlantique nourrissent peut-être ces masses dérivantes qui arrivent à bloquer les bateaux dans les ports.
LES CORAUX MENACÉS D'EXTINCTION
A la pointe sauvage des Châteaux, dans la commune de Saint-François, Jean Roger, fondateur de la Caribbean Lagoons Association, montre quelques échantillons de cette algue Sargasse sur la plage, inoffensive et sans odeur tant qu'elle ne forme pas des tapis en putréfaction.
Géophysicien, cet amoureux des océans vient régulièrement ici prendre des nouvelles des coraux autour desquels s'agitent quelques petits, tout petits, poissons. Les gros coraux cerveaux, les coraux de feu qui peuvent brûler la peau des nageurs et surtout les impressionnants corne d'élan dont les squelettes dessinent de vastes forêts brunes recouvertes d'algues « Ceux-là sont morts à 99 % », annonce Jean Roger.
Dans le monde, un tiers des coraux constructeurs de récifs sont menacés d'extinction. Comment repousser l'échéance ? La seule solution serait... d'émettre moins de gaz à effet de serre, répondent les experts de la Conférence sur la biodiversité.
Martine Valo (Envoyée spéciale)
journaliste Planète
Le Monde.fr | 26.10.2014
Les outre-mer, premières victimes du changement climatique

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Blanchemanche 29324 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines