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Dans la famille géniale, donnez-moi l’arrière-grand-père.

Publié le 18 novembre 2014 par Arsobispo

Francis Delvert est le fils d’une lignée d’inventeurs agenais méconnus du grand public. J’assistais en fin de semaine dernière à une conférence qu’il tenait en préambule d’une bourse photo organisée par l’association "Images Nouvelles " de Bon-Encontre. Un pur moment de bonheur tant la gentillesse et la gouaille de Francis Delvert le rend sympathique et tant sa science et sa passion nous captivent. Petit-fils et arrière-petit-fils d’inventeurs, il a emprunté les chemins de la curiosité, de l’aventure et de l’invention qu’ont longuement parcourus ses aînés puisqu'il est l'inventeur du vélocigraphe II, à savoir un appareil de macrophotographie travaillant en totale autonomie dans l'espace. J’y reviendrais. Il convient avant tout de parler de ses aïeux.

Joseph Lacroix & et sa femme Antoinette Naulet tenant leur arrière petit-fils Francis Delvert

Joseph Lacroix & et sa femme Antoinette Naulet tenant leur arrière petit-fils Francis Delvert

L’arrière-grand-père, Joseph, est né à Agen un 14 juillet 1861. Il fut l’assistant et l’ami du langonnais Ducos du Hauron[1] qui lui donnera le goût de la photographie. Il se révèlera brillant, s’initiant à toutes sortes de techniques qui voyaient alors le jour. Le domaine photographique fut donc sa première passion. Il ouvre un magasin à Agen, boulevard Carnot à l’enseigne « A la photographie » et, s’il vend quelques appareils, c’est essentiellement par les prises de vues de portraits qu’il vit, tel celui-ci.

Portrait
De nombreux portraits fanés de familles agenaises, sans doute oubliés dans quelques greniers, doivent toujours porter sa signature. Afin de promouvoir les appareils stéréoscopiques, il a l’idée de réaliser et d’installer une visionneuse d’images stéréoscopiques. Pour éviter les bousculades des curieux, il y adjoint un monnayeur qu’il fera breveter afin d’en réguler l’utilisation par l’insertion d’une pièce de 10 centimes. Plus passionné par son désir de partage que par coup publicitaire, le soir, il projette de son balcon diverses photographies sur le mur d’en face. Enfin, il édite sous forme de cartes postales ses différentes prises de vue d’Agen et de ses environs.

Agen place du XIV juillet (maintenant place du pin)

Agen place du XIV juillet (maintenant place du pin)

Agen, place Jasmin avant la démolition de la porte Saint-Antoine

Agen, place Jasmin avant la démolition de la porte Saint-Antoine

Environ d'aiguillon château de longuetille par Lacroix

Environ d'aiguillon château de longuetille par Lacroix

En 1889, l’un de ses clients, le Docteur Ricard, photographe amateur et passionné, lui fait part des désagréments que présente le changement des plaques photographiques sous le voile noir. Sur ce, Joseph lui déclare « Avant août, foi d’animal – c’était le juron favori du génial inventeur – j’aurai votre affaire »[2]. En trois mois, il met au point un appareil portatif qui pouvait répondre à cette demande somme toute bien légitime. Le résultat fut le premier appareil photographique à plaques tombantes pour des prises de vues rapides et instantanées, qu’il nomma, en bon latiniste, le vélocigraphe[3]. Il contenait 12 plaques escamotables intégrées au boîtier. L’appareil fut construit par la célèbre maison Fleury-Hermagis (Le plus ancien des opticiens français, créé en 1845 par Hyacinthe Hermagis) à Paris.

velocigraphe
Plus tard, Joseph participe à la grande aventure de l’image animée. En 1896, sans doute après avoir vu le tout premier film que les frères Lumière avaient réalisé l’année précédente, il invente une caméra réversible en projecteur qui possède la particularité d’entrainer le film en déroulé continu sur un cylindre denté entraîneur, d’une étoile à quatre branches calée sur le même arbre et d’une came en forme d’escargot[4]. Un procédé évitant les sauts d’images. Il la nomme l’Héliocinégraphe. Il la commercialise par la création d’une société en nom collectif Fernand Perret et Joseph Lacroix, sise 23, boulevard de la République à Agen. Son appareil est également construit par Fleury-Hermagis. Bien que les éléments mécaniques de l'appareil soient réduits au minimum permettant une bien meilleure fiabilité de l'entrainement du film que dans la plupart des autres appareils, les ventes ne sont toutefois pas au rendez-vous, et la société sera dissoute dès le 10 août 1898.

Héliocinégraphe
Joseph retourne à ses prises de vues, et à son cher vélocigraphe. Ce n’était toutefois pas un appareil de poche. Son utilisation sur les chemins de l’agenais devait s’avérer efficace mais son encombrement et son poids devaient fatiguer. Aurait-t-il eu l’idée de construire un véhicule léger lorsqu’il revenait épuisé d’une de ses promenades photographiques ? L’histoire ne le dit pas, mais je me plais à l’imaginer. Et je l’imagine, un soir, perclus des douleurs engendrées par une longue randonnée, son vélocigraphe sous le bras, se disant qu’une voiturette légère et fiable, agile et suffisamment petite pour emprunter toutes les petites routes de l’agenais, serait bien efficace. Quoi qu’il en soit, il se mit au travail et en 1897, dans son petit atelier situé au 3 rue Palissy à Agen, le prototype d'une voiture à 3 roues voit le jour. L’affaire est sérieuse. L’automobile ne renie pas une filiation contre nature entre engin hippomobile et bateau (deux longerons de bois cintrés se rejoignant vers une proue en ogive où se loge l’unique roue avant commandée par une barre dite en queue de vache). C’est d’ailleurs probablement cet aspect nautique qui l’inspirera puisqu'il baptisera l’engin "La Nef". Le résultat lui donne toute satisfaction. Aussi, en 1899 il crée la Société des Automobiles La Nef, que rejoint en 1902 un financier, le colonel de Laville[5]. La marque "Lacroix de Laville", vient de naitre et s’installe Place Peletan à Agen. L'atelier situé rue Palissy s’avéra bientôt trop étroit. Il sera alors transféré rue Rayssac où travaillera dès lors une douzaine de compagnons.

Plusieurs modèles se succèdent en fonction des évolutions que De Dion Bouton réalise sur les moteurs qui équipent La Nef. EN 1904, une boite de vitesse viendra faciliter la vélocité de l’engin, près de 80 kilomètres/heures. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un artisanat ; je rajouterai même d’art ; le client pouvant personnaliser son achat, tant en mécanique qu’en carrosserie et aménagements. Ce n’est toutefois pas une sinécure de conduire un tel engin si l’on en croit les quelques possesseurs actuels de cet engin. Voir à ce sujet ici.

Malgré une rude concurrence – le Lot-et-Garonne héberge alors d’autres constructeurs, les frères Aché, Louis Bonneville ou Larroumet-et-Lagarde[6] – une trentaine de Lacroix de Laville sont produites par an. 200 voiturettes "La Nef" seront construites de 1902 à 1909, puis quelques autres encore jusqu'en 1914. Mais, la Grande Guerre raflera la main d’œuvre. Les commandes ne peuvent être honorées et de toute façon en ces temps troublés, qui pense investir dans une automobile ? Joseph a une nouvelle idée qui clôturera le chapitre de construction automobile. Il ferme l’entreprise, laissant aux Etablissements Metge et Blancon sises à Agen au 87 avenue de Toulouse, le soin d’assurer le suivi des Automobiles La Nef et se jette dans son nouveau projet, la radiographie en relief. Ce nouveau système photographique va permettre de localiser les projectiles de toute nature (balles, éclats d’obus, billes de shrapnel) au cœur des corps des soldats touchés. On imagine les bienfaits que cette invention apporte aux chirurgiens sur les fronts.

Centrifugeuse
Il part en 1915 en stage à l’Institut Pasteur afin de parfaire ses connaissances en biochimie. De là est née sa plus belle invention : la Centrifugeuse auto-équilibreuse permettant la numération des globules blancs et des globules rouges, invention dont le principe est encore appliqué de nos jours. Elle était si perfectionnée qu’elle fut adoptée par de nombreux laboratoires dont celui du Pr Calmettes à l'Institut Pasteur. Il fut aussi un des premiers à prôner la radiothérapie comme thérapeutique de diverses affections. A cette fin il fit venir à Agen, le 15 janvier 1921, le Dr Rudelle, chirurgien et ancien attaché de l'Institut du radium (Institut Pasteur de Paris).

L'arrière-grand-père était également un grand collectionneur de pendules et horloges dont il dotait les clochers des environs, comme la Tour de Pujols de Villeneuve sur Lot.



[1] Il est l’homme qui a inventé le procédé de la photographie des couleurs en additif et en soustractif. Qui a inventé le cinématographe, qu'il décrit dans un brevet déposé à l'INPI en 1864, l'année même de la naissance de Louis Lumière qui est pourtant crédité de l’invention ! Qui a enfin réalisée la première impression trichromique.

[2] Revue de l’Agenais, 1968

[3] Du latin « velox » : rapide, agile et du grec Graphein : écrire

[4] Pour plus de technique, voir ici

[5] Apparenté me semble-t-il à Lacepède.

[6] Il est à noter que Larroumet et Lagarde a développée une « La va bon train » sur la base de « La Nef » avec pour particularité de remplacer la barre par un volant. Cette « maison de confiance » avait été fondée en 1891. Spécialistes des cycles et des moteurs à détonation, les usines étaient situées à l’angle du 1 avenue de Bordeaux et 1 rue d’Alembert, tout près du pont canal d’Agen.

Prochainement, nous parlerons du grand-père, Léon,



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