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Love is strange – ira sachs │sonate d’automne

Publié le 21 novembre 2014 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Ira Sachs, auteur de seulement cinq long métrages en dix-sept ans, revient sur les écrans avec Love Is Strange, digne successeur du très beau Keep The Lights On, sorti en 2012. Ce nouvel opus suit les traces d’un couple homosexuel sexagénaire qui se retrouve contraint de délaisser son appartement  après que l’un deux, au lendemain de leur mariage, ait été licencié. Ben et George doivent désormais se faire héberger séparément par des amis et de la famille.

love is strange 2 LOVE IS STRANGE   IRA SACHS │SONATE DAUTOMNE

Sous ses apparences de cinéma intimiste, l’oeuvre d’Ira Sachs ne se contente pas de capter, au plus près des corps, les passions quotidiennes qui affectent ses personnages. Qu’ils soient torturés par des démons indicibles, comme dans Keep The Lights On, ou au contraire apaisés et tranquilles comme dans Love Is Strange, les protagonistes de ces histoires dissimulent derrière eux d’autres histoires, plus secrètes mais tout aussi fortes, cachées quelque part dans les images, entre les images. L’ampleur du premier film n’était révélée que par quelques panneaux annonçant le temps qui passait entre certaines images, dessinant ainsi en filigrane un portrait de New York de 1998 à 2007, alors même que la ville restait presque invisible à l’écran. Ce nouveau film contient dans son hors champ autant de possibilités narratives. L’apparente simplicité du récit est travaillée souterrainement par des flux de sentiments, de sensations, flux qui remontent occasionnellement à la surface de l’image. Ainsi, la matière du film est émaillée de tableaux. Quelques plans fixes au sein desquels l’action se fait plus lente, plus délicate, et baignée d’une lumière légèrement irréelle. Les corps y sont parfois découpés à la faveur d’un dé-cadrage, permettant ainsi d’imposer une structure à l’image qui n’est plus régie par les déplacements des personnages. Ces rares instants de composition insufflent un rythme unique à la narration, qui avance à pas de loup sans jamais ennuyer.

Par ailleurs, plusieurs séquences invitent à la contemplation, comme si l’œil d’artiste peintre de Ben commandait par moments la caméra et faisait le silence autour de lui. Les personnages se taisent un instant, arrêtent de se tourmenter et de se réconforter pour laisser la place à quelques plans sur la ville, illuminés par un soleil cotonneux. Souvent, un personnage se laisse aller à l’observation d’une situation, comme dans la très belle scène des retrouvailles de Ben et George chez le neveu du premier. Tandis que les deux amants contrariés s’abandonnent à leurs émotions contenues, le couple qui les accueille, bien que se tenant à une distance respectueuse, ne peut s’empêcher de les regarder longuement dans le silence. Un peu plus tard, alors que son mari dort à ses côtés, Kate lève les yeux de son livre et s’oublie dans une rêverie qui nous restera cachée. Ces quelques procédés discrets constituent une invitation à regarder ce qui ne se voit pas.

love strange 1 LOVE IS STRANGE   IRA SACHS │SONATE DAUTOMNE

Sur les bases d’un récit très simple, Ira Sachs brode une multitude de petites histoires qui participent d’une dramaturgie très complexe. Un hors champ considérable se trouve développé au détour de quelques réflexions glanées au hasard, le récit endormi d’un premier amour ou encore les prémices d’une nouvelle romance entre George et un bel inconnu. Toutes ces pistes se trouvent détournées (Joey n’est pas amoureux de son camarade de classe) ou même interrompues en plein vol (la disparition des livres en français). Un personnage crucial s’efface à la faveur d’une ellipse, échappant au dénouement, de la même manière que très peu de choses de la vie passée du couple sont évoquées. Le film, bien qu’il s’ouvre et se referme sur deux moments précis, procure la sensation de n’avoir jamais débuté ni même de finir. Chaque séquence dialogue avec celle qui la précède et celle qui la suit, laissant à deviner encore une fois l’immensité des émotions qui circulent d’image en image.

Les différents protagonistes communiquent également à certains moments selon une logique de la transmission. Chaque personnage et figurant est construit d’une part par ce qu’il offre en enseignement aux autres et d’autre part par ce qu’il reçoit des autres. C’est d’abord Kate qui, au tout début du film, délivre un discours sur la force de l’amour. Puis, quand George donne une leçon de piano à une petite fille, c’est la petite fille qui, en jouant du piano, emmène George vers d’autres émotions. Ben tente de sensibiliser Joey à l’amour, et c’est Joey qui transmettra le tableau incomplet de celui-ci à George, à la fin du film.

La véritable force de Love Is Strange réside dans ce qu’il évoque mais ne montre pas. Qu’il s’agisse d’un pan de l’histoire des gays à New York ou du passé de certains personnages peu esquissés, beaucoup de choses sont convoquées pour donner une sensation d’ampleur au récit. C’est tout ce qu’il n’a pas raconté qui lui permet de nous accompagner longtemps après le générique de fin.

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