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La nuit des lutins, dernier feu d’artifice…

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

La nuit des lutins, dernier feu d’artifice…

Ce jeudi 20 Novembre était diffusé Bouquet final, la dernière édition du festival de courts-métrages La nuit des lutins. Cette édition semblent vouée à être la dernière après le retrait des principaux partenaires de l’association et le refus du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée de subventionner ces initiatives en 2015. À l’instar d’Un festival, c’est trop court, La nuit des lutins était pourtant une bien belle idée mettant à l’honneur un aspect méconnu du cinéma français mais fondamental car le court-métrage ne peut pas être réduit à une carte de visite pour réalisateurs débutants. C’est bien plus. C’est un lieu encore libre du carcan financier dans lequel sont enfermés les plus grosses productions. C’est également un lieu d’expérimentation et d’inventivité extraordinaire. N’oublions jamais que la plus emblématique réalisation de Luis Buñuel est Un chien andalou, court-métrage de seize minutes. Le court-métrage doit-il être condamné à une diffusion confidentielle ? C’est la question que posait régulièrement Les lutins du court-métrage. C’est une question que l’on devrait continuer à poser car le grand public passe à côté d’œuvres fortes et singulières qui mériterait davantage de reconnaissance. Revenons ensemble sur cette dernière édition flamboyante aux allures de feux d’artifices.

Être vivant d’Emmanuel Gras nous plonge à Paris, sous les ponts, dans les tunnels et les abris-bus, sous la lumière froide des lampadaires et des néons aseptisés. Il nous y plonge à reculons, comme si un terrible compte à rebours avait débuté et que la ville elle-même glissait entre nos doigts. Nous sommes un inconnu projeté dans le froid et les ténèbres feutrés. Nous sommes sans-domiciles. Et bientôt, la rue nous aura retiré notre humanité. Tout concorde à cela. Les bancs sont trop courts, les regards des gens sont fuyants, les endroits un petit peu protégés sont déjà réquisitionnés. Bientôt notre capacité de réflexion sera réduite à néant par l’impérieuse nécessité de se nourrir et de dormir. Se nourrir et dormir sera notre unique but. Avec un texte puissant, récité par le réalisateur lui-même, Emmanuel Gras expose avec la froideur nécessaire à un terrible constat, la déchéance rapide des pauvres hères jetés à la rue. Il interpelle sur une société malade capable de laisser mourir de faim et de froid, et aussi de honte, ces concitoyens. Il interpelle sur les politiques cyniques des aménagements urbains qui tendent à cacher la misère plutôt qu’à la résoudre. Être vivant, ce n’est pas vivre dignement, c’est juste survivre.

Avec Braise, Hugo Frassetto réalise un court-métrage d’animation animé par le feu charnel. Les personnages, crayonnés et mouvants, se croisent et s’étreignent. Ce mélange des corps dégage une certaine sensualité. Rien ne semblent pouvoir déranger les deux amants. En fond sonore, une conversation animé à lieu. On comprend que ce sont les amis du jeune homme qui le juge ou bien le défende. Celui-ci est en train de tromper sa petite-amie. En tout cas, les amants n’en ont que faire et se laisse emporter par leur désir qui se consument comme cette allumette avec laquelle joue cette jeune anglaise.

Porté par Nicolas Rey et Céline Salette, La femme de Rio est le premier court-métrage d’Emma Lucchini, qui a déjà réalisé un long, Sweet Valentine. Totalement décalé, Emma Lucchini nous offre une comédie romantique réjouissante. Gabriel (Nicolas Rey), romancier et alcoolique, se terre chez lui et ne veut voir personne, pas même son meilleur ami Yves (Laurent Laffargue). La seule personne qu’il admet est son livreur de sushi, Antoine (Steve Tran). C’est alors qu’au cour d’une fête arrosée, Audrey (Céline Salette) oublie son téléphone devant la porte de l’ermite. Lorsqu’elle veut le récupérer, la rencontre devient inévitable. Sous le charme, mais ne souhaitant pas sauter réellement le pas, les deux compères décident de vivre un amour platonique le temps d’une nuit, et de passer par tous les stades de la relation amoureuse. Avec des dialogues finement ciselés et décalés, La femme de Rio expose sous un jour nouveau et attendrissant, une amourette sans lendemain basé uniquement sur le jeu de la séduction.

37°4 S, ce sont les coordonnées de Tristan da Cunha, une île du pacifique membre du Commonwealth britannique. Organisé en une communauté soudée, la population de deux-cent soixante dix habitants vit quasiment en autarcie, juste au-dessus des quarantièmes rugissantes. La plupart des jeunes gens décident de rester vivre paisiblement sur l’île. Cependant, il est permit au adolescent de partir étudier en Angleterre dès l’âge de seize ans. C’est le dilemme qui se pose à Nick (Riaan Repetto) dont la petite amie, Anne (Natalie Swain) souhaite partir en Europe pour poursuivre ses études. Désabusé et hésitant, le jeune homme amoureux de sa terre est déchiré entre le désir de la suivre et l’inquiétude de quitter sa vie insulaire. Adriano Valerio le filme, vagabondant sur son île, et nous livre, brut, ses impressions et ses angoisses.

Dans American Football de Morgan Simon, Zack (Julien Krug) est un chanteur de screamo, rempli de tatouages de la tête aux pieds. Pour intégrer un nouveau groupe, il doit se faire un nouveau tatouage. Son tatoueur et mentor Nate (Nathan Willcocks) refuse de lui faire à nouveau crédit. Il essaie alors de chercher du travail mais même sa boutique rock préférée ne veut pas l’embaucher tant il est bariolé. Dans cette boutique, il rencontre Andréa (Lilly-Fleur Pointeaux) qu’il invite à son concert. La jeune femme, sous le charme, ne comprend pas pourquoi Zack est indélicat au petit matin. C’est-à-dire que son tatouage l’obsède davantage. Jeune sans le sous et marginal, adepte de petits larcins, Zack va bifurquer devant un sentiment nouveau nommé Amour. American Football est une petite comédie romantique qui n’amène pas d’émotion particulière mais trouve sa saveur dans ses à-cotés, tel Nate qui semble complètement halluciné, un poil gourou, et devient parfois franchement inquiétant, nous amenant à croire un instant que le court va tourner au drame.

Shadow, de Lorenzo Recio, est le seul film fantastique de la sélection mais c’est une véritable pépite onirique. Tourné à Taipei, Shadow met en scène un jeune montreur d’ombres itinérant, Xiao Shou (Liu Yueh-Ming) dont les spectacles ont peu de succès. Le jeune artiste n’est plus que l’ombre de lui-même jusqu’au jour où il rencontre Ann (Aviis Zhong), jeune femme sémillante et mystérieuse. Hésitant il la suit jusqu’à son travail puis se décide à l’aborder. Elle accepte une rendez-vous. Distrait, Xiao Shou subit un accident de la route sur le chemin du retour. Drôle de malédiction, l’artisan devient peu à peu transparent et commence à se confondre avec sa propre ombre. Shadow est une métaphore magnifique sur un beau métier en voie de disparition, sur une jeunesse désabusée aux relations sociales difficiles ou artificielles. Recio fait surgir le surnaturel là où l’étrangeté règne déjà, au cœur de nos rues déshumanisées, de nos sociétés où les belles choses et les savoirs ancestraux sont délaissés. C’est une belle fable sur l’altérité, sur le sentiment que peuvent avoir certains d’être transparents aux yeux du monde. La solution est connue, pour s’en sortir, mieux vaut pouvoir se mirer dans les yeux aimants d’un être tendre. Comme un hommage à Jacques Brel, voilà ce que finira par faire Xiao Shou, il deviendra l’ombre de son ombre.

Pour finir en beauté la projection a été diffusé sur nos écrans Les lézards de Vincent Mariette. Dans un hammam, Léon (Vincent Macaigne) attend une femme qu’il a rencontré sur un site internet. Avec son ami Bruno (Benoît Forgeard), il s’étonne que la demoiselle est acceptée un rendez-vous si saugrenu. Évidemment, personne ne vient, et les deux copains commencent à divaguer, la chaleur aidant. En filmant en noir et blanc, Vincent Mariette fait un choix photographique judicieux faisant ressortir le damier du décor. Au fil de la conversation, Les lézards se veut une réflexion amusante sur l’exposition de notre vie privée sur la toile et l’aspect à la fois artificielle et parfois mensongers des rapports sociaux connectés. Les deux amis commencent à flipper lorsqu’un homme mystérieux venant d’arriver au hammam leur explique que certaines femmes attirent des hommes dans ce genre de situations pour les filmer à leur insu et se moquer d’eux.

Avec un peu de chance et beaucoup de soutien, Les lutins du courts-métrages pourraient peut-être pouvoir repartir. C’est pourquoi je vous invite, surtout si vous avez raté la séance à commander le DVD de l’édition 2014 pour soutenir l’association financièrement (http://leslutins.com/du_court_metrage/). En espérant qu’ils puissent encore longtemps nous faire rêver, rire et réfléchir comme ce fut encore le cas pour ce Bouquet final !

Boeringer Rémy


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