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L'activité qui produit de la valeur et se traduit en argent, c'est le "travail" !

Par Alaindependant

Selon Anselm Jappe,  « la catégorie de travail n’est pas ontologique, mais existe seulement là où existe l’argent comme forme habituelle de médiation sociale. Mais si la définition capitaliste du travail fait abstraction de tout contenu, cela ne signifie pas que toute activité, dans le mode de production capitaliste, est considéré comme du « travail » : seulement celle qui produit de la valeur et se traduit en argent. Le travail des ménagères, par exemple, n’est pas du « travail » au sens capitaliste. »

Ainsi, s'il y a eu de longtemps des activités humaines, le « travail », lui, n'a pas toujours existé. C'est une « catégorie », donc un concept du capitalisme et de son époque.

Michel Peyret


Mercredi 2 octobre 2013

« Le travail est une catégorie capitaliste », par Anselm Jappe

Extrait de l'ouvrage d'Anselm Jappe,« Les aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur» (Denoël, 2003, p. 118-120).   

Toute notre argumentation nous pousse à mettre en discussion non seulement le « travail abstrait », mais aussi le travail en tant que tel. Ici le bon sens se révoltera : comment pourrait-on vivre sans travailler ? Toutefois, c’est seulement en identifiant le « travail » au métabolisme avec la naturequ’on peut présenter le travail comme une catégorie suprahistorique et éternelle. Mais il s’agit alors d’une tautologie. D’un principe tellement général, on peut déduire aussi peu que du principe que l’homme doit manger pour vivre.

Le « travail » est lui-même un phénomène historique. Au sens strict, il n’existe que là où existent le travail abstrait et la valeur [dans la formation sociale capitaliste qui naît à partir du XIVème et XVème siècles]. Non seulement au niveau logique, mais aussi par rapport au travail, « concret » et « abstrait » sont des expressions qui renvoient l’une à l’autre et qui ne peuvent pas exister indépendamment l’une de l’autre. Il est donc très important de souligner que notre critique touche le concept de « travail » en tant que tel, pas seulement le « travail abstrait ». On ne peut pas simplement opposer entre eux le travail abstrait et le travail concret, et encore moins comme étant le « mal » et le « bien ». Le concept de travail concret est lui-même une abstraction, parce qu’on y sépare, dans l’espace et dans le temps, une certaine forme d’activité du champ entier des activités humaines : la consommation, le jeu et l’amusement, le rituel, la participation aux affaires communes, etc. Un homme de l’époque précapitaliste n’aurait jamais idée de placer au même niveau de l’être, en tant que « travail » humain, la fabrication d’un pain, l’exécution d’un morceau de musique, la direction d’une campagne militaire, la découverte d’une figure géométrique et la préparation d’un repas.

La catégorie de travail n’est pas ontologique, mais existe seulement là où existe l’argent comme forme habituelle de médiation sociale. Mais si la définition capitaliste du travail fait abstraction de tout contenu, cela ne signifie pas que toute activité, dans le mode de production capitaliste, est considéré comme du « travail » : seulement celle qui produit de la valeur et se traduit en argent. Le travail des ménagères, par exemple, n’est pas du « travail » au sens capitaliste.

Le travail en tant qu’activité séparée des autres sphères est déjà une forme de travail abstrait ; le travail abstrait au sens étroit est donc une abstraction de deuxième degré. Comme l’écrit Norbert Trenkle :

« Si le travail abstrait est l’abstraction d’une abstraction, le travail concret n’est que le paradoxe du côté concret d’une abstraction (l’abstraction formelle du ‘‘travail’’). Ce travail est concret seulement dans un sens très borné et étroit : les marchandises différentes exigent des procès de production matériellement différents ».

Cependant, l’idée de devoir « libérer » le travail de ses chaînes a comporté logiquement de considérer le travail « concret » comme le « pôle positif » qui dans la société capitaliste est violé par le travail abstrait. Mais le travail concret n’existe dans cette société que comme porteur, comme base du travail abstrait, et non comme son contraire. Le concept de « travail concret » est également une fiction : il n’existe réellement qu’une multitude d’activités concrètes. Le même discours est vrai en ce qui concerne la valeur d’usage : elle est liée à la valeur comme un pôle magnétique à l’autre. Elle ne pourrait pas subsister seule ; elle ne représente donc pas le côté « bon », ou « naturel », de la marchandise, qu’on pourrait opposer au côté « mauvais », abstrait, artificiel, extérieur. Ces deux côtés sont liés l’un à l’autre de la même manière que, par exemple, le sont le capital et le travail salarié, et ils ne peuvent disparaître qu’ensemble. Le fait d’avoir une « valeur d’usage » n’exprime que la capacité – abstraite – de satisfaire un besoin quelconque. Selon Marx, la valeur d’usage devient un « chaos abstrait » dès qu’elle sort de la sphère séparée de l’économie. Le véritable contraire de la valeur n’est pas la valeur d’usage, mais la totalité concrète de tous les objets.

A. Jappe

D'autres textes sur la critique du travail en tant que tel

Manifeste contre le travail (Krisis-1999).

Le travail est une catégorie historiquement déterminée, par Benoit Bohy-Bunel

Quelques bonnes raisons de se libérer du travail, par Anselm Jappe

Travail fétiche, par Maria Wölflingseder (Streifzuge)

Le Moloch capitaliste, par Armel Campagne

Travail forcé et éthos du travail, par Claus Peter Ortlieb (Exit ! gruppe)

Avec Marx, contre le travail, par Anselm Jappe

Crise et critique de la société du travail, par Robert Kurz (Exit ! gruppe)

Au lieu du travail précaire, l'abolition du travail, par Karl-Heinz Lewed (Exit ! gruppe)

Le travail du négatif, par Anselm Jappe

La domination du travail abstrait, par Jean-Marie Vincent

Arbeit macht nicht frei. Libre commentaire des vues de Gunther Anders sur le travail, par Franz Schandl (Streifzuge)


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