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Innocents, Les

Par Kinopitheque12

André Téchiné, 1987 (France)

Innocents-Téchiné


Un littoral méditerranéen vu de front, puis cette introduction « Il était une fois dans une ville du Sud de la France… ». Blonde au pull bleu, Jeanne arrive en ville et croise un inconnu qui dit la connaître. Cela commence comme un conte. A moins qu’il ne s’agisse d’une symphonie, celle que répète Jean-Claude Brialy amant frustré, chef d’orchestre triste et désabusé. Il y a encore la possibilité de la tragédie antique puisque Téchiné cite Antigone avec laquelle il confond Jeanne (« Je m’associe pour aimer non pas pour haïr ») ; une tragédie qui prend pour matière un sujet d’actualité (le racisme et toute la violence suscitée) mais qui ne renonce pas pour autant au mythe (Stéphane mort et ressuscité) [1].

Jeanne tombe amoureuse de Stéphane (Sandrine Bonnaire [2] et Simon de La Brosse [3]). Saïd (Abdellatif Kechiche) est attiré par Jeanne. Le père de Stéphane, Kloz (Brialy), est amoureux de Saïd. Il y a aussi le petit frère de Jeanne, sourd et muet, qui est plein d’admiration pour Saïd. Pourtant tout n’est pas fait que d’amour dans ce scénario cosigné par Téchiné et Pascal Bonitzer [4]. Ainsi, même si la première séquence voit se dérouler un mariage entre la sœur de Jeanne et un homme d’origine arabe, ce n’est pas un mariage d’amour mais un mariage intéressé (la sœur ne veut qu’un enfant). De même, Stéphane et Saïd tournent tout deux autour de la même fille alors que l’un a agressé l’autre par vengeance. Et c’est de cette haine dont il est question, une haine qui évolue, se mêle à la crainte et se mue.

Les déplacements de caméra, souvent des travellings latéraux mais parfois qui s’élèvent aussi vers un balcon ou vont chercher par-delà la mer la ligne d’horizon, donnent une impression de grande fluidité dans un récit qui sur le papier en manque terriblement (pensons par exemple à la poursuite de Saïd par Stéphane qui les amènent à traverser un bal populaire où se joue une valse). Par ailleurs, Téchiné fait glisser sa caméra sur des espaces cloisonnés : palissade en bois, mur translucide, cadres et sur-cadres qui redéfinissent les relations et rendent compte de sentiments complexes. La mise en scène est souvent belle, rarement pesante, mais il arrive aussi à Téchiné de vraiment s’égarer. C’est le cas avec un plan qui veut apporter au récit une plus grande dimension sociétale ou politique : le plan large sur le stand de tir d’un groupuscule d’extrême droite. Là, on y perd de vue les personnages et tout le drame que chacun, avec sa propre histoire, ses propres douleurs, porte en lui.

Cependant, même avec ses faiblesses, Les innocents demeurent un film remarquable. Notamment pour la scène de la salle de concert, assez extraordinaire. Kloz répète avec son orchestre. Saïd s’apprête à quitter la salle et à monter les escaliers, Jeanne et Stéphane eux arrivent et les descendent. Pour la première fois du film, Saïd et Stéphane se croisent. Stéphane est laissé en arrière et sans que rien n’ait été échangé sauf un regard, le garçon tombe foudroyé comme s’il venait de revivre son agression. Durant toute la scène, les travellings qui portent toute notre attention semblent dessiner les relations entre les personnages. Les contre-jours et la caméra qui pivote en cut sur 180 degrés, les brèves pauses marquées sur le trajet par la caméra sont autant de césures dans ces relations. Et la musique de Philippe Sarde qui se poursuit jusqu’à la chute.



[1] « Si on peut parler de mélodrame, c’est sur le caractère mélangé du film. La fiction n’arrête pas de bouger, c’est une fiction qui tremble et qui brasse peut-être non seulement des genres incompatibles, mais des personnages qui appartiennent à des sphères ou à des ethnies tout à fait différentes. Il y a un effet de court-circuit ou de zappage permanent : dans la scène entre Jeanne et Stéphane dans la boîte de nuit, il y a tout à coup l’intrusion, comme un cheveu sur la soupe, du numéro chanté de Marie-France Garcia. […] De toute façon, le métissage est au cœur du sujet » propos d’André Téchiné dans Les cahiers du cinéma, n°403, janv. 1988, p. 9.

[2] Sandrine Bonnaire qui avait tourné Sous le soleil de Satan de Pialat (1987) et qui allait enchaîner avec Quelques jours avec moi de Claude Sautet (1988).

[3] Que l’on avait vu dans Pauline à la plage de Rohmer (1982).

[4] Bonitzer et Téchiné ont eu l’habitude de travailler ensemble à plusieurs reprises : Les sœurs Brontë (1978), Le lieu du crime (1986), Ma saison préférée (1992), Les voleurs (1995), jusqu’au très beau Les Temps qui changent (2004).


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