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[critique] Watchmen : "Never compromise"

Par Vance @Great_Wenceslas
[critique] Watchmen :

 

Les Etats-Unis, en 1985 ; Edward Blake est retrouvé mort au pied de son immeuble, vraisemblablement défenestré. Or, certains savent qu'il fut le Comédien, un de ces super-héros costumés qui ont œuvré contre le crime voici des décennies, puis ont travaillé pour le gouvernement au moment de la guerre du Vietnam avant d'être déclarés illégaux. Rorschach, l'un de ses anciens collègues refusant tout compromis, décide de mener seul l'enquête, persuadé que ce meurtre cache une opération visant à rayer les anciens vigilantes de l'existence. Entre-temps, la tension politique monte entre l'URSS et les Etats-Unis et l'on s'approche inéluctablement d'un conflit nucléaire dévastateur. Le Dr. Manhattan, seul véritable surhomme puisque doté de pouvoirs incommensurables suite à un accident, est censé veiller sur son pays, mais son état émotionnel commence à montrer quelques signes d'instabilité : petit à petit, il se détache des contingences humaines et sa petite amie, Laurie, elle aussi ancienne justicière costumée, envisage de le quitter...

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Vous voyez, rien que le simple fait de chercher à rédiger un résumé moi-même, comme un grand, me fiant à mes souvenirs (considérablement renforcés par plusieurs lectures du graphic novel initial) m'a posé quelques soucis : le matériau est dense, et un synopsis ne fait que l'affadir, l'appauvrir jusqu'à le rendre, au mieux, intriguant, au pire, inintéressant.

Alors que dire, surtout lorsqu'on doutait déjà de l'opportunité de porter à l'écran ce qui restera à jamais comme une des meilleures œuvres de science-fiction tout support confondu ?

La réponse à la question est difficile à formuler. Niko évoquait la possibilité, enfin, de « voir cet univers en mouvement » : comment ne pas succomber à l'attrait présenté ainsi, pouvoir regarder évoluer ces personnages que nous avons tant aimés (ou haïs) et de vibrer encore une fois, peut-être plus intensément, à leurs aventures ? Certes, souvent la déception est au rendez-vous quand on poasse du support BD à l'écran de cinéma... Et voilà qu’on redonne dans le fameux couplet sur l’adaptation, son opportunité et les critères d’appréciation. Ce serait oublier que de nombreux films adaptés d’une œuvre manuscrite font partie des meilleures réussites du VIIe Art. Quant à adapter une bande dessinée, il y en a pour tous les goûts et je ne vais pas y revenir en détail (voir la chronique « Fallait-il adapter Watchmen »). Toutefois, gardons en mémoire l’expérience Sin City, qui a frappé les esprits en son temps : Rodriguez et Miller s’étaient évertués à faire du copier-coller à l’écran, estimant peut-être que, sous couvert de « respecter l’œuvre initiale », il n’était nul besoin de rajouter autre chose qu’une bande son bien bourrine. Une erreur fondée sans doute sur un fait bien précie : malgré les nombreux points communs liés au cadrage et au découpage par plans, la bande dessinée et le cinéma demeurent rigoureusement différents dans leur conception de la narration ; Sin City, le film, est joli à voir, parfois même impressionnant – mais creux, mou, artificiel, sans portée ni saveur, très loin de l’impact produit par le comic-book.

[critique] Watchmen :

Après la réussite de 300l’inénarrable Zack Snyder confiait à l’envi sa volonté (plutôt celle des studios) de demeurer autant que possible conforme à l’œuvre originelle de Moore et Gibbons (dont j’ai parlé ici) : rassurant et, par conséquent, angoissant en même temps. Allait-on assister à nouveau à une transposition fade et timide, sur grand écran, d’un récit majeur mêlant nombre des interrogations contemporaines sur l’héroïsme, la guerre, la justice et la politique ? A moins que le gars Zack n’ait décidé d’en remontrer à ceux qui lui reprochent son côté ouvertement pop et charcute dans le script pour n’en tirer que des séquences de combat boostées au time-warp ?

Franchement, il y avait de quoi être circonspect, non ?

Pour ainsi dire, j’y allais presque à reculons lors de la première séance.

Une erreur, sans doute. Car cette légère réticence m’a certainement empêché d’apprécier à sa juste valeur cet excellent film, ce putain de bon spectacle, ni « novateur » (comme le clamaient les affiches) ni révolutionnaire, mais diablement efficace.

[critique] Watchmen :

Le manque de temps pour rédiger un premier article a permis le recul. Recul bénéfique à une juste – en tous cas meilleure – appréhension des qualités intrinsèques de l’œuvre filmique. Ensuite j'ai pu me procurer l'édition Ultimate Cut en blu-ray, afin de coller au plus près à l'oeuvre initiale et vérifier le travail titanesque des adaptateurs.

[critique] Watchmen :

Ce qui m’a impressionné tout d’abord, c’est que le Snyder, à l’évidence, s’en est tenu au cahier des charges : Watchmen, d’un point de vue strictement narratif, a été prodigieusement respecté. Certes, deux des sous-intrigues ont disparu : l’une d’elles, l’histoire racontée au travers d’un comics de pirates - Tales of the Black Freighter - est pourtant visible sur support vidéo, soit à part, soit directement intégrée dans le Director's cut, dont l'édition Ultimate Cut est globalement magnifique et bourré de suppléments (dont la transposition en vidéo des douze tomes du graphic novel) ; supervisée par Snyder aussi, elle est déconcertante par son traitement sans compromis et, si elle enrichit le propos par un parallèle surprenant, alourdit le rythme en répartissant la tension différemment. L’autre sous-intrigue, celle concernant l’enlèvement de scientifiques, a été en revanche carrément oblitérée, dans un souci de lisibilité (d’aucuns diront de simplification, mais baste) afin de mieux coller à une réécriture de la fin qui, l’air de rien, conserve le potentiel de la conclusion originelle en la modernisant tout en en détournant certains aspects - une conclusion qui s'avère une des plus grandes réussites du portage à l'écran. Quant aux fameux dossiers qui séparaient les chapitres de la BD (ils se concentraient essentiellement sur le passé de certains personnages par le biais du roman d'Hollis Mason, véritable livre dans le livre, racontant les dessous de leur vie trépidante), ils semblent avoir été condensés dans le générique présenté comme un défilant de photos animées scandant différents moments clefs des dernières décennies. Générique très réussi d’ailleurs, qui rappelle la meilleure séquence du premier film Wolverine.

[critique] Watchmen :

L’autre point fort est sans doute le traitement des personnages, qui se parent de nombreux dialogues du comic-book : si on peut hoqueter sur l’apparence d’Ozymandias (de loin, le plus éloigné de l’image dessinée par Gibbons et dont la tenue fait immanquablement sourire), on se fait vite au costume ultra-moulant de Laurie Jupiter (la seconde Silk Spectre) et on ne peut qu’être fasciné par Rorschach, loin des canons hollywoodiens et pourtant toujours diablement séduisant dans sa démarche. Du coup, on commence à regretter quelques lourdeurs dans certains plans téléphonés (la caméra qui s’attarde sur ce gars, là, comme pour dire au spectateur de faire gaffe ; les travellings arrière qui vont bien mais trahissent un manque de réelle créativité) et on grimace au premier effet time-warp dont 300 est gavé (après tout, on retrouve dans le générique la même équipe technique et artistique). Et quand il semble que cela va se corser, on se laisse prendre au jeu. Certes, Snyder en rajoute (très) généreusement, développant les combats et tournoyant autour des protagonistes comme un vautour affamé, mais ils sont tellement intelligibles, destructeurs, percutants et, finalement, fun, que c’en devient jubilatoire. Vous me direz, on s’éloigne du propos d’Alan Moore. Peut-être, bien que, la tension retombée, un monologue de Rorschach pestant contre la vermine hantant la cité, les mœurs perverties des habitants et les pratiques douteuses des politiciens revient nous replonger dans le débat, tentant de restaurer un peu d'authenticité dans le récit.

Et Watchmen, le film, c’est un peu ça, cette espèce de balancement incessant entre des moments quasi-magiques où l’on perçoit le regard acerbe du formidable auteur sur l’Amérique, ses excès et sa grandeur, et ces autres, plus concrets, violents, explosifs, bardés d’effets spéciaux et sous-tendu de basses affolantes, où les héros se battent contre l’adversité, se taillant un chemin vers une vérité qui leur échappe à chaque fois surtout lorsque, confrontés à sa terrifiante réalité, ils préfèreront s’en détourner. Tous. Sauf un.

[critique] Watchmen :

Ce film en impose, impressionne. Un collègue, cinéphile vertueux assez réfractaire au cinéma grandiloquent et aux blockbusters, en est revenu presque transfiguré : il ne connaissait pas le comic-book. Il m’a parlé de chef-d’œuvre. Je n’ai pu que lui répondre, interloqué : « C’est vrai, t’as aimé ? » A vrai dire, je n’en revenais pas. C’est là que je me suis rendu compte que, après tout, ça n’était pas si mal que ça. Que j’avais vraiment pris mon pied. Et que je continue à l'apprécier, malgré la longueur de la version que je privilégie.

Quelques autres aspects pourraient affaiblir le film, comme ce choix discutable de certaines chansons pour ponctuer une bande originale manquant de punch, mais il peut s’enorgueillir de dialogues percutants et d’une agréable gestion de la violence.

Chef-d’œuvre ? Le comic-book l’est, assurément. Le film a réussi au moins ce pari [critique] Watchmen : insensé de nous en livrer une vision satisfaisante. Alan Moore, comme il l’a lui même affirmé, ne le regardera jamais, mais je ne pense pas m’avancer en estimant que de nombreux lecteurs y ont trouvé leur compte. Et de plus nombreux profanes s’y s'ont ébaubis. Les trois heures du Director's Cut sont plus que suffisants, mais essayez donc une sfois l'Ultimate si vous en avez la possibilité.

Beau boulot, Zack !

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Titre original

Watchmen

Réalisation 

Zack Snyder

Date de sortie

4 mars 2009 avec Paramount

Scénario 

David Hayter & Alex Tse d'après l'oeuvre de Dave Gibbons & Alan Moore

Distribution 

Jackie Earle Haley, Patrick Wilson, Billy Crudup, Malin Akerman, Jeffrey Dean Morgan & Carla Gugino + la voix de Gerard Butler

Photographie

Larry Fong

Musique

Tyler Bates

Support & durée

Blu-ray Warner "Ultimate Cut" (2011) en 2.40:1 / 215 min

Synopsis:Aventure à la fois complexe et mystérieuse sur plusieurs niveaux, "Watchmen - Les Gardiens" - se passe dans une Amérique alternative de 1985 où les super-héros font partie du quotidien et où l'Horloge de l'Apocalypse -symbole de la tension entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique- indique en permanence minuit moins cinq. Lorsque l'un de ses anciens collègues est assassiné, Rorschach, un justicier masqué un peu à plat mais non moins déterminé, va découvrir un complot qui menace de tuer et de discréditer tous les super-héros du passé et du présent. Alors qu'il reprend contact avec son ancienne légion de justiciers -un groupe hétéroclite de super-héros retraités, seul l'un d'entre-eux possède de véritables pouvoirs- Rorschach entrevoit un complot inquiétant et de grande envergure lié à leur passé commun et qui aura des conséquences catastrophiques pour le futur. Leur mission est de protéger l'humanité... Mais qui veille sur ces gardiens ?

Never compromise. Not even in the face of Armageddon.

Rorschach au second Hibou, avant de tirer sa révérence.

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