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Oriane Jeancourt Galignani : L'Audience

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

L'Audience d’Oriane Jeancourt Galignani   4/5 (19-12-2014)

L'Audience (297 pages) est paru le 21 aout 2014 aux Editions  Albin Michel.

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L’histoire (éditeur) :

Dans une petite ville du Texas, une jeune enseignante, mère de trois enfants, attend en silence le verdict de son procès.
Qu'a-t-elle fait pour être traînée en justice, et risquer cinq ans de prison ferme?
Elle a entretenu des rapports sexuels avec quatre de ses élèves, tous majeurs. Un crime passible d'emprisonnement au Texas, depuis 2003.

Mais pourquoi l’accusée, Deborah Aunus, s’obstine-t-elle à se taire ? Pourquoi son mari, combattant en Afghanistan, se montre-t-il si compréhensif ? Pourquoi les déclarations de sa mère l’accablent-elles ?

Au fil d’un récit implacable, écrit d’une pointe sèche et précise, Oriane Jeancourt Galignani tient le journal de cet ahurissant procès où la vie privée d’une femme est livrée en pâture à la vindicte populaire, et sa liberté sexuelle pointée comme l’ennemie d’une société ultra puritaine. Construit à partir d’un fait divers qui a bouleversé l’Amérique, ce huis-clos haletant donne lieu à un roman aussi cru que dérangeant. 

Mon avis :

Deborah Aunus  est accusée d’avoir entretenu des rapports sexuels avec quatre de ses élèves, acte interdit au Texas, considéré comme un crime passible d’une peine d’emprisonnement depuis 2003. Divisé en quatre parties, correspondant aux quatre jours d’audience, l’intrigue se reconstruit entre souvenirs de la  « présumée coupable » et les divers témoignages des « victimes » et de la famille. On apprend ainsi à connaître cette jeune femme revenue s’installer dans sa ville natale il y a deux ans pour accompagner sa mère malade, mariée à un militaire en poste en Afghanistan, mère de trois jeunes enfants, qui a obtenu un  poste de professeur de mathématiques au lycée.  Par ennui, par solitude, par défi, par jeu, par désir, pour le plaisir de plaire…elle se laisse entraîner dans une spirale malsaine qui la conduira jusqu’au procès.

En vérité on ne sait pas grand-chose de ses motivations puisqu’elle fait le choix du 5ème amendement et garde le silence, qu’lle brisera qu’une unique fois pour corriger un détail surréaliste sans grande importance.

L’audience ma mise mal à l’aise. Ce n’est pas tant ces trois semaines de mœurs très libres de cette mère de famille qui m’ont dérangée (on est tout de même loin de Prédatrice), mais davantage cette manière d’être jetée en pâtures, d’être exposée au public, aux média, à la justice, d’être jugée comme une pauvre nymphomane sans essayer de comprendre ni de dédouaner ses actes tout de même entièrement partagés avec quatre jeunes hommes, qui ne manquent pourtant pas d’indiquer leur volonté de séduire et de profiter de cette femme facile. Voilà ce qui m’a marquée, tout autant que le fait de ne pas arriver à dégager les zones d’ombres qui entourent ses motivations et son passé.

L’audience met clairement en avant l’hypocrisie d’un système qui d’un état à l’autre juge coupable ce genre de pratiques, des médias qui n’hésitent pas à se pointer chez les bouseux sentant la bonne odeur du scoop arriver, le puritanisme Texan et celui d’une Cour qui pointe du doigt l’adultère de Déborah alors que le juge (portant lui-même marié et soit disant impartial) attend malgré tout avec impatience la fin de chaque journée d’audience pour retrouver la procureure en « privé ».  Montrée comme une prédatrice par des moralisateurs à outrance, jugée pour 16 charges d’accusation, et ouvertement dénoncée par une maman qui dès le début n’a cherché qu’à la condamner, Debbie ne peut laisser indifférente.

Quelle étrange famille d’ailleurs. Il semble que certains non-dits hantent encore Déborah entre cette étrange maison aux volets clos et les souvenirs douloureux d’un noël en 1995 avec son frère 18 ans. On en voudrait presque à cette coupable-victime d’être si en retrait, d’entretenir ces zones obscures, et d’apparaître du coup antipathique. On a besoin d’en savoir plus et de faire la lumière sur ces souvenirs refoulés tout juste évoqués par quelques allusions. Et puis ce mari, ce héros de guerre qui n’est ici qu’un homme effacé  qui s’en remet à Dieu. Et enfin, cette odieuse mère, qui connait si bien sa fille et sa réputation sulfureuse… Les liens familiaux sont franchement  mis à mal.

« Elle passe la vidéo une, deux, trois, neuf fois, pour sentir un peu la présence de Chris dans sa chambre. Enfin, c’est ce qu’elle dirait si la connexion ne s’était pas coupée. Elle tairait le reste. L’étranger qu’il devient sur cette vidéo, comme les premiers jours de ses retours de missions, lorsqu’elle a le sentiment d’héberger un inconnu, à sa table et dans son lit. L’homme en armes qu’il demeure même avec ses enfants, ses gestes précautionneux en traversant le salon, comme s’il soupçonnait quelques mines sous le carrelage. » Page 116

Dans ce roman Oriane Jeancourt Galignani ne jette pas la pierre, elle expose les faits et nous laisse seuls juges ou simples observateurs. Dans un style sans difficulté, direct, clair et maitrisé, elle arrive parfaitement à dégager  la duplicité d’une Amérique bien-pensante, fermée à toute différence elle dénonce la légitimité d’une loi et l’injustice d’un système. Déborah pourtant si absente dégage  une forte empathie mais ne laisse pas de place à l’attachement.

L’audience, inspiré d’un fait divers réel (l’affaire Brittni Colleps, condamnée par l'Etat du Texas à cinq ans de prison), a su me captiver, m’interroger (tout en me laissant avec quelque interrogations), et me frapper. 


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