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Le rap en Afrique (subsaharienne) à la croisée des chemins.

Publié le 15 janvier 2015 par Maybachcarter

sark-x-aka(Préambule: cet article a d’abord été publié sur Le Monde Afrique. La version publiée ci-dessous en est la version longue et plus focalisée sur l’Afrique subsaharienne).

Dans le domaine de la musique en Afrique, les époques se suivent mais ne se ressemblent pas.

Pendant les années 70, ce sont les rois de la Rumba congolaise et du soukous qui ont fait bouger tout le continent. Des années 80 à 90, le Makossa venu du Cameroun a produit certains classiques qui continuent d’être repris jusqu’aujourd’hui, tels que le titre « Amio » de Bébé Manga ou encore « Zangalewa » du groupe Golden Sounds (1986). Au courant de la moitié des années 90, le Congo revient au devant de la scène continentale avec le Ndombolo. Ce style musical, accompagné d’une danse du même nom, a été popularisé dans les rues de Kinshasa, et fièrement porté par des troupes de chant et danse aux leaders charismatiques : Roga Roga et Extra Musica, Koffi Olomidé et le Quartier Latin, JB Mpiana et Wenge Musica.

Aux débuts des années 2000, la Côte d’Ivoire déclenche la fièvre du Coupé-Décalé, un genre musical et une danse plus ou moins inspirés du Ndombolo, grâce à un groupe ivoirien de la diaspora, la « Jet Set ». Après un règne quasiment sans partage des ivoiriens sur les dancefloors africains, le Nigeria va de manière aussi rapide qu’agressive, imposer sa musique, et ses artistes  à-travers la NaijaPop ou encore appelée « Afrobeats », un dérivé contemporain du genre créé par le célèbre Fela Kuti. Des artistes comme D’Banj, P-Square ou 2Face Idibia vont complètement changer la donne aussi bien visuelle que sonore, et créer une allée entière pour une nouvelle génération d’artistes.

Alors que l’Afrobeats continue d’influencer considérablement les artistes de tout le continent africain, un genre semble encore en retrait : le Rap.

Pendant les années 90, des groupes de rap tels que Daara J (Sénégal) ou Ak’sang grave (Cameroun) ont été parmi les premiers en Afrique francophone à se créer un public alors que le Hip Hop débutait encore très timidement dans leurs pays respectifs. Krotal, une des figures les plus respectées dans ce domaine raconte : « Le Hip Hop et le rap étaient considérés comme un effet de mode quand j’ai démarré ma carrière au Cameroun. On a eu des pionniers comme Négrissim et Rasyn avec qui on a su ouvrir la voie». Malgré les diverses mutations et périodes d’hégémonie culturelle, le rap va continuer à se développer, principalement grâce à un écosystème qui connaît un développement organique. « Quand nous avons commencé à suivre des groupes de rap au Sénégal et en Tanzanie notamment, courant 90, il y avait du Hip Hop en Afrique, mais pas de scène africaine du Hip Hop. 20 ans plus tard, ça a complètement changé. » relate Thomas Gesthuizen, fondateur du site web AfricanHipHop.com. Des collectifs de quartier à l’organisation de festivals, un semblant d’âge d’or apparaît et permet de révéler des talents du rap localement et à l’étranger. Mais cela ne suffira pas à propulser cette musique au sommet car de nombreux obstacles persistent.

Une panne identitaire

Le rap africain est premièrement confronté à un problème d’identité : Qu’est-ce que le « rap africain » ? S’agit-il du rap fait en Afrique ou du rap fait par des africains ? La thématique est plus que jamais d’actualité avec cette nouvelle vague du rap. Faut-il, comme les sud-africains AKA et DA LES, être entièrement en phase avec les tendances du Hip Hop américain pour plaire au plus grand nombre ou au contraire faut-il, comme le nigérian Phyno ou encore le togolais MicFlammez rapper en patois pour mieux répondre à un public en manque d’authenticité ? Il n’y a pas de formule magique. Dareal, jeune rappeur basé à Yaoundé (Cameroun) explique son choix de mélanger français et argot dans ses textes : « Le rap africain est en train de se trouver une identité, et ça passe forcément par incorporer notre langage quotidien. J’ai été très inspiré par les sénégalais qui rappaient en wolof, cela m’a aidé à me défaire du « calque français » qui fragilise encore beaucoup le rap dans mon pays. » Ce fût le même son de cloche du côté du Gabon dès le début des années 2000, avec notamment les groupes Raaboon et Movaizhaleine qui ont réussi la fusion entre rap américain et musiques traditionnelles gabonaises. Pays très porté par la culture Hip Hop, le Gabon organise chaque année le « Gabao Hip Hop Festival », une des manifestations les plus courues du genre dans la sous-région. D’après « Hokube », producteur Hip Hop,« le rap est le seul genre musical décrivant de manière assez précise le quotidien des jeunes gabonais »… avant de poursuivre, « malheureusement, l’absence de formalisation et le non-respect des droits d’auteur ont découragé toute la génération qui a pris le relais après l’âge d’or du rap au Gabon ». Comme l’ensemble des artistes sur le continent, les rappeurs africains ont dû faire face aux ravages de la piraterie, sans compter l’appui plus que limité des autorités locales. C’est ainsi que les grandes marques ont su s’imposer comme de véritables mécènes indispensables à la vie culturelle, obligeant plus ou moins subtilement les artistes à se conformer pour espérer un soutien financier.

Art ou commerce : l’heure du choix

Sacrifier l’aspect artistique pour faire face à des impératifs commerciaux ? Le dilemme n’est pas nouveau. Aux Etats-Unis, berceau du Hip Hop, le Rap s’est retrouvé confronté au même problème. Après plus d’une décennie de rap engagé et principalement orientés vers une prise de conscience de la jeunesse afro-américaine, Public Enemy et ses comparses ont laissé place à une génération « Bling Bling », qui avait promu les signes extérieurs de richesse comme principal élément de réussite sociale. Si on ne peut pas établir de parallèle trop direct avec l’Afrique, cette dernière se retrouve tout de même face à cette même question. Le décollage économique de certains pays, ainsi que la naissance d’une classe moyenne – peu importe sa définition – fait naître un nouveau type de Rap africain que l’on avait peu entendu jusqu’ici. Festif, léger et résolument « commercial », il est moins question d’éduquer et plus question de… dépenser. Plus qu’une différence artistique, ce sont clairement deux écoles différentes qui marquent désormais leur territoire.

Vainqueur du trophée du « meilleur nouvel artiste 2013 » aux MTV Africa Music Awards, le camerounais Stanley Enow n’en finit pas de susciter autant d’admiration que de critiques, notamment pour son statut auto-proclamé de « King  du rap en Afrique Centrale », une appellation que le rappeur a délibérément choisi de mettre en avant. Si l’egotrip a toujours été au cœur du rap, cet excès de confiance en soi n’a pas tardé à provoquer des réactions diverses au Cameroun, dans un domaine où jusqu’ici, l’humilité – même de façade – était de mise.

L’autre épine dans le pied du rap africain est sa médiatisation, essentielle à son développement. Avec près de 200 millions de jeunes entre 15 et 24 ans, l’Afrique subsaharienne est une zone de choix pour l’éclosion de cultures et sous-cultures ,et les médias jeunesse l’ont compris, à l’instar du groupe français Lagardère qui a récemment lancé Vibe Radio (une radio urbaine) à Dakar ou encore la radio Nostalgie qui – contrairement à sa version française – diffuse les derniers hits à Douala ou encore Abidjan. Cependant, cette accroissement de médias ne joue pas encore à la faveur du rap, comme en témoigne le rappeur ivoirien Christ Carter : « En Côte d’Ivoire, les rappeurs sont encore ghettoïsés. Notamment parce que nos médias locaux ne nous diffusent pas et préfèrent miser sur le coupé-décalé. En tant qu’artistes, nous sommes obligés de dépendre des chaînes musicales internationales pour avoir un peu de visibilité ». En effet, tandis qu’en Afrique anglophone, le s artistes rap disposent de plusieurs chaînes musicales faisant la part belle au rap local (MTV Base, Channel O, HipTV..), côté francophone, ce courant musical doit batailler et souvent, se voir dilué dans d’autres styles musicaux plus en vogue. Cela a notamment poussé plusieurs rappeurs à alterner rap et courants musicaux dominants, comme le duo ivoirien Tour2Garde, auteur du titre coupé-décalé « Makassa », un des plus gros hits de l’été 2014.

Une note d’espoir

Malgré de nombreuses difficultés dont certaines qui font partie de l’histoire du Hip Hop dans son ensemble, l’éclosion du rap sur le continent africain semble aujourd’hui inévitable. Au premier plan, les grandes marques qui offrent des plateformes scéniques pour faire connaître ces artistes. Ainsi, la marque de boissons gazeuses Sprite n’a pas hésité à organiser un concours pour trouver le meilleur rappeur d’Afrique du Sud en avril 2014. Quant à la RTI 2, seconde chaîne nationale ivoirienne, elle a dévoilé l’émission « Rap Academy » au printemps dernier. Et signe qui ne trompe pas, la marque d’alcool irlandaise GUINNESS, qui a lancé sa plus grande campagne publicitaire de l’année sur le continent africain, a recruté pas moins de 4 rappeurs. On observe également une multiplication des collaborations (appelées « featuring ») entre poids lourds du rap de différents pays à l’instar des fréquentes collaborations entre le nigérian IcePrince et le ghanéen Sarkodie. Selon Thomas Gesthuizen, Internet joue et jouera également un rôle décisif : « les réseaux sociaux et le web de manière globale font tomber les barrières linguistiques et économiques en Afrique, il n’y a aucune raison que le rap ne soit pas également concerné ».


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