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John galliano peut-il renaitre ?

Par Aelezig

Article de Marie Claire - janvier 2015

L'annonce de son retour chez Maison Martin Margiela a suscité la surprise. Et quelques questions. John G. a-t-il toujours autant de talent ? Et surtout : la mode et les clients peuvent-ils lui pardonner ?

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Une nouvelle agitant le monde de la mode attire rarement l'attention de l'ensemble des médias. Ce fut le cas, en octobre dernier, avec l'annonce que le couturier anglais John Galliano allait rejoindre Maison Martin Margelia. A 53 ans, totalement clean, il a le droit a une seconde chance après sa tirade antisémite de 2011, qui a entraîné le crash le plus spectaculaire de l'histoire de la mode. Alors qu'il était mondialement reconnu comme la figure de proue de Dior depuis 1996, faisant de la maison une entreprise fructueuse et une marque flamboyante, Galliano a été jeté dehors, traité comme persona non grata, et a même perdu sa maison de mode - toujours détenue à 90 % par Christian Dior Couture et dessinée par Bill Gaytten, son collaborateur pendant plus de vingt ans. Après avoir imputé son état à l'alcool et aux médicaments, Galliano a récemment déclaré à Maïtena Biraben, sur Canal+, qu'à l'époque, il avait "touché le fond", et que cette vidéo dans laquelle on le voit marmonner "J'aime Hitler" l'avait finalement sauvé. "Il faut voir le côté positif, dit-il. Après ça, on ne peut que remonter la pente : c'est impossible de tomber plus bas", témoignait encore celui qui s'est vu retirer sa légion d'honneur par le président Hollande en 2012.

Le sauveur de Galliano s'appelle Renzo Rosso, industriel italien président d'Only the Brave (OTB), société qui englobe Diesel, Viktor & Rolf, Marni et Margiela. "Renzo est très brillant ; c'est un marginal qui ne vient pas du monde de la mode", explique Maria Luisa Poumaillou, fashion director du Printemps. "Il est une bouffée d'air frais dans le monde de l'entreprise d'aujourd'hui" ajoute le créateur italien Giambattista Valli. Michael Boroian, chasseur de tête spécialisé dans le luxe, explique : "Renzo Rosso n'est pas seulement un visionnaire, il vit aussi sa vie selon son credo : "only the brave"." Tout vient aux courageux, littéralement. Ou : à coeur vaillant, rien d'impossible. Rosso devra s'armer de courage pour affronter les enseignes américaines. Elles sont restées réservées depuis cette annonce, et ne veulent pas contrarier leurs clients. Sans oublier que la 7e avenue, considérée comme le centre de la mode à New York, est en grande partie juive et connue pour sa sensibilité à tout comportement antisémite. En signe d'apaisement, Galliano a rencontré des rabbins influents. Ses efforts ont été salués par plusieurs responsables de la communauté juive, dont la Ligue antidiffamation d'Abraham H. Foxman, qui a déclaré : "Il est temps pour ceux qui se sentent concernés par cette histoire d'aller de l'avant." Il a aussi souhaité à Galliano "beaucoup de succès".

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Reste que le choix de Margiela, marque à l'approche minimaliste, semble être en décalage avec l'esprit Galliano, connu pour sa flamboyance, voire son exhibitionnisme et son son sens de la couleur. Maria Luisa Poumaillou, qui, en tant que directrice des boutiques éponymes, a vendu les collections de Galliano et de Margiela au début des années 90, insiste sur leurs similarités : "Tous deux font avancer la mode par la provocation et partagent un sens du perfectionnisme. A son apogée, Margiela créait les plus beaux cabans, trenchs et pantalons. Galliano excellera là-dedans." Elle souligne que la collection Homeless, inspirée des SDF et créée - avec un scandale certain - par Galliano pour Dior en 2000, "n'était pas si éloignée de l'esprit de Margiela". Une esthétique paupériste cachant l'excellence d'un savoir-faire couture. Sa première collection pour Margiela sera d'ailleurs présentée en janvier dans le calendrier haute couture, où la maison défile depuis 2012 sous l'étiquette Artisanal.

La maison Margiela se refuse à tout commentaire, et beaucoup pensent que cette attitude est parfaite pour le nouveau Galliano. "John est très sensible et vulnérable, explique un ancien associé. Moins il subira de pression de la part des médias, mieux ce sera pour lui. Il a besoin de consacrer toute son énergie à son travail." Il s'est entouré d'une équipe comprenant la styliste Vanessa Bellanger (ex-Dior), Alexandre Roux (ex-Galliano) et Rafaele Hardy, son ancien chef d'atelier chez Dior. Et le couturier peut compter sur le soutien de Rosso, un patron qui "choie les créatifs", d'après Michael Boroian. Les deux se connaissent depuis 2008, et le Women's Wear Daily a rapporté que l'Italien a été "une des personnalités du monde du luxe qui a le plus entouré et soutenu Galliano pendant sa période de réhabilitation". Rosso à refusé d'être interviewé pour cet article. "Il pense qu'il a dit tout ce qu'il avait à dire, et dans le plus pur esprit Margiela, ce seront les créations, les produits et la collection qui diront le reste", a répondu une attachée de presse d'OTB. La première déclaration de Rosso avait déjà mis les choses au clair : "Margiela est prête à accueillir une nouvelle âme charismatique et créative. John Galliano est sans conteste un des plus grands talents de tous les temps. C'est un couturier unique, exceptionnel, qui rejoint une maison qui a toujours réinventé le monde de la mode."

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Sage dans son costume

Le portrait de Galliano accompagnant cette annonce a aussi beaucoup fait jaser. Sans commune mesure avec les déguisements qu'on lui connaissait, le couturier y apparaît tout en contrôle. Caressant son chien installé sur les genoux, il arbore un costume et un regard intense, sans son sourcil arqué ni l'ombre d'un sourire. Cette photo a été prise par Patrick Demarchelier, photographe français connu pour son travail avec LVMH. Le fait que ce vrai businessman ait accepté de réaliser ce portrait confirme leurs liens d'amitié et sous-entend que Galliano occupe une place singulière sur l'échiquier mode. "Parce qu'il est exubérant, mais aussi parce qu'il a cette urgence et cette facilité à créer, tout en ayant une solide technique, analyse Olivier Sailland, directeur du Palais Galliera. La première fois qu'il est apparu à Paris, au début des années 90, il y avait quelque chose de très XIXe siècle et de très attirant chez lui. C'était le genre de personnage qui pouvait faire des merveilles en travaillant dans sa chambre de bonne", poursuit l'historien.

A l'aube des années 90, avant de rejoindre LMVH, Galliano a connu la débrouille, le squat chez les copains parisiens et les défilés bricolés avec les moyens du bord. On se souvient de Kate Moss, en 1993, chaloupant sur le podium en crinolines pour la collection Princess Lucretia et jouant le rôle de la grande duchesse Anastasia fuyant les loups. Du défilé désormais légendaire de Galliano pour la collection automne-hiver 1994-1995, dans l'hôtel particulier de Sao Schlumberger, où les dix-sept looks, créés en trois semaines et mixant les références années 40 et kabuki, étaient portées par la crème des tops, Evangelista, Campbell... "Un de ces moments de la mode où on sent que tout va changer" se souvient Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue Etats-Unis, citée par Vanity Fair en mai dernier. "Le talent de John, c'est de nous faire rêver grâce à son extraordinaire imagination, reprend Maria Luisa Poumaillou. En réintroduisant la robe longue coupée en biais - ces tenues soyeuses qui épousent parfaitement les formes, à la façon de Madeleine Vionnet -, il a changé la manière dont les femmes s'habillent en soirée."

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Tout change lorsque Galliano signe avec Givenchy, en 1995. Lui et son équipe - Amanda Harlech, Steven Robinson et Bill Gaytten - ont désormais leurs propres ateliers et peuvent commander des tissus sans se soucier des dépenses. "C'était une période magique" se souvient Suzanne Von Aichinger, qui a "collaboré en tant que mannequin". "John était courtois et respectueux, tout en étant débrouillard et extrêmement drôle". Il était aussi très innovant. "Il fut le premier créateur à donner à chaque mannequin une coiffure particulire : ça les différenciait pendant le défilé", explique la coiffeuse Odile Gilbert, qui a traviallé avec lui. Impressionné par son talent stupéfiant et son aisance avec les médias, Bernard Arnault lui confie Dior en 1996. Cette maison étant considérée comme le joyau de la noble couronne LMVH, Arnault prend un risque, mais il en est mille fois récompensé. Entre 1998 et 2005, les bénéfices de Dior triplent grâce aux vêtements créés par Galliano, et les succès commerciaux de certains hits, tel que le Saddle en 2009. "J'ai dû apprendre à m'adapter à la fois à la population de Miami, au marché asiatique et aux dames cherchant à s'habiller pour des barmitzvah" confie Galliano au Harper's Bazaar Etats-Unis en 2007. Ses défilés aux thèmes exotiques sont très attendus, et ses campagnes de pub capturent parfaitement l'esprit sexy bling de l'époque. Peu à peu, son narcissime fait dériver son style vers ce que Harper's Bazaar Etats-Unis décrit ainsi : "Des proportions démesurées, des talons extrêmement hauts, des faux-cils surréalistes descendant sur les joues..." Et le milieu de la mode de se demander si Galliano est encore capable de créer des "vrais vêtements"...

En avril 2007, son ami Steven Robinson meurt d'une crise cardiaque provoquée par la cocaïne. Dévasté, Galliano s'isole au point de devenir inacessible. Bien que le discours officiel vante ses régimes spéciaux et ses entraînements sportifs, les rumeurs gonflent : Galliano serait hors de contrôle. Le PDG de Dior, Sidney Toledano, le met en garde à plusieurs reprises, mais malheureusement, le point de non-retour est atteint avec la vidéo tragique de 2011.

Attendu en janvier

Heureusement, Galliano est aimé, chéri et bien entouré. Ses proches amis l'ont envoyé en désintoxication en Arizona, Kate Moss l'a invité à créer sa robe de mariée, et Anna Wintour lui a obtenu un "stage" de trois semaines auprès d'Oscar de la Renta. Désormais, tous les regards sont tournés vers la première collection Margiela qu'il présentera en janvier. Ses pairs sont déjà unanimes : il a manqué, et il peut revenir à son meilleur. "John va retrouver sa fibre avant-gardiste, ce sera une explosion d'idées et de vêtements qui ont une âme", prédit Maria Luisa Poumaillou. "C'est toujours très excitant quand un génie prend la suite d'un autre", déclare pour sa part le créateur Haider Ackermann. "Galliano est un grand styliste, et quand on est un grand styliste, on le reste à vie", ajoute Inès de la Fressange. D'autres veulent croire au pouvoir de la compassion et du pardon : "John a payé le prix fort. Il est temps de passer à autre chose", dit Christian Louboutin. Qui résume à lui seul la bienveillance dont le milieu fait preuve à son égard en lui souhaitant.. "le meilleur du meilleur".


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