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Hannah Arendt: « la banalité du mal », une théorie controversée

Publié le 21 janvier 2015 par Jessica Staffe @danmabullecultu

«Une enfant au tempérament très vivant, très sensible et pas du tout intéressée par les poupées mais par tout ce qui l’entoure, les histoires et les livres » : ces mots son ceux de la mère d’Hannah Arendt pour décrire sa fille. A la suite de la mort de son père, Hannah Arendt a été élevé par sa mère.

Qui était Hannah Arendt

Issue d’une famille de la bourgeoisie commerciale, la jeune Hannah n’était pas une adolescente facile, elle s’est rebellée contre sa mère. Dès cette période, elle se passionne pour la philosophie. Après son bac, elle commence des études de théologie en 1924-1925. C’est à l’université de Marbourg qu’elle rencontre Martin Heidegger. Déjà reconnu, Hannah est fascinée par les idées philosophiques de son professeur. Une passion nait entre les deux amoureux. Déjà marié, il ne quittera pas sa femme. Hannah Arendt restera marquée par cette histoire et sera d’autant plus déçue quand elle découvrira en 1933 que son mentor intellectuel adhérera au parti nazi. Vers 1928, elle part pour Heidelberg et y suit l’enseignement de Karl Jaspers. Outre la philosophie, le sionisme et la théologie, elle s’intéresse à la politique et étudie avec intérêt la propagande nazie. Cette enquête la conduira à être arrêtée par la Gestapo en 1933. Interrogée pendant huit jours, elle est finalement libérée in extremis. Suite à cet épisode, elle décide d’émigrer en France. Elle y rejoint un groupe d’intellectuels allemands à Paris. Cette émigration lui laissera des traces. Elle demeurera dix- sept ans apatride. Jusqu’en 1940, elle vit en France puis réussit à s’échapper aux Etats-Unis. En France, elle aide la Baronne de Rotschild à accueillir des refugiés fuyant le nazisme. Militante et fervente défenseuse des droits de l’Homme, elle aide de jeunes juifs à partir vivre en Palestine.

Hannah Arendt : Les totalitarismes son grand objet d’étude

Dans sa réflexion, elle mêle ses deux passions : l’histoire et la philosophie politique. Elle se considère plus comme une théoricienne de la politique qu’une philosophe. L’humanité de l’homme représente un thème récurrent dans son œuvre. Dans chacun de ces ouvrages, elle explique le monde dans toute sa complexité en étudiant des thématiques particulières comme les origines des totalitarismes, leur mise en place, leur fonctionnement et leur pérennité mais aussi leur incidence sur l’individu et sa construction. La crise de la culture est liée à la crise de l’histoire. L’acte d’écriture est pour elle un engagement.

Pour comprendre l’implication des totalitarismes elle en a étudié les tenants et les aboutissants. Un régime totalitaire se reconnaît par sa construction. Elle est fondé sur deux piliers : la terreur et l’idéologie. Il ne prend pas en compte l’idée d’état de droit. Le nazisme a repris le mythe de l’homme aryen. De là en a découler la typologie des races et leur hiérarchie. Il s’inspire aussi du modernisme et du futurisme. Ensuite on utilise la terreur pour faire régner l’ordre. Tous ceux qui ne correspondent pas aux critères raciaux établis et/ou qui contestent l’idéologie nazie sont dès lors mis au ban de la société. Au départ, on leur supprime la possibilité d’exercer tels ou tels métiers, d’aller dans certains lieux, de se mélanger à la population et ils appartiennent ainsi à des sous catégories d’hommes. Ce classement dénie toute humanité à certains hommes. Quand aux autres qui décident de suivre le mouvement, le gouvernement totalitaire met en place un régime de terreur. Il faut suivre les règles strictes sans jamais les critiquer.

Le sens critique de l’individu est complètement nié et disparaît grâce à un lavage de cerveau qui commence dès la plus tendre enfance et régit la vie quotidienne. Celui qui déroge à la règle risque d’être banni de la communauté. La terreur annihile toutes nos réactions. Ce genre de gouvernance brime l’individu et le prive de toutes ces libertés. Il le brise également et l’écartant des autres. En instaurant un climat de paranoïa, d’extrême vigilance et de méfiance les gouvernants sèment le trouble dans l’esprit de leurs sujets. Les individus perdent tout espoir et toute confiance en eux. Leur intégrité est bafouée.

La théorie de la banalité du mal

Le système totalitaire supprime aussi l’idée de responsabilité. L’individu devient le maillon d’une chaîne et n’incarne qu’un des nombreux rouages du système. C’est la raison pour laquelle les dignitaires nazis comme Eichmann ne se sont pas considérés responsables de leurs actes. Ils banalisent leurs actes en expliquant simplement qu’ils suivant implacablement les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques sans jamais les enfreindre. En suivant leur raisonnement on se rend compte qu’ils ont obéi à une loi suprême. Eux aussi ne se sont pas révoltés contre l’autorité. Ces hommes n’ont plus d’honneur. Cette théorie de la déresponsabilisation est appelée « la banalité du mal » par Hannah Arendt.

Lorsqu’elle voit pour la première Eichmann lors de son procès, elle est choquée. Elle trouve que Eichmann est médiocre sans aspérité, sans originalité et à sa grande surprise il n’est pas l’incarnation du mal absolu. Finalement il lui apparaît atrocement banal. Cette banalité la surprend. A son grand étonnement, il n’est pas ni pervers ni fanatique. Cette découverte la perturbe et remet en doute toutes ses certitudes et ses croyances. Elle s’était imaginée un tout autre homme. D’une affligeante normalité, il est moyen, bon fonctionnaire. Cette réalité n’empêche pas Hannah Arendt de trouver difficile de juger de tels actes. Il existait une réelle dichotomie entre la banalité de l’homme et l’atrocité des crimes qu’il avait commis.

Son discours tend à montrer qu’il n’existe pas forcément de profil type. Ce fossé rendait du coup encore plus terrifiant les crimes génocidaires qu’ils avaient perpétrés d’une manière rationnelle et systématique. C’eut été plus facile de les juger s’il s’était s’agit de véritables monstres. Si Eichmann et ses autres collègues étaient des monstres, il était simple de s’en débarrasser et la société pourrait ainsi vivre en paix. N’étant pas ces horribles monstres, il était donc compliqué de pouvoir se protéger du mal.

Le principe de « la théorie du mal » interroge la question de l’inhumanité et montre finalement que chaque individu porte une part de mal en lui. Elle lie cependant cette notion de mal à l’existence des totalitarismes. Cette part sombre se révèle d’autant plus dans ces gouvernements. Les totalitarismes tuent l’animal politique qui est nous et brisent toute volonté et toute tentative de révolte. Sans cette liberté d’agir, l’individu devient un pion au service de l’idéologie. Ce qu’il fait est mal mais il ne s’en rend plus compte car il est manipulé et soumis à l’esprit de masse beaucoup plus fort que lui.

C’est dans cet esprit qu’on été géré les camps de concentration et d’extermination. Les déportés étaient mis au ban, complètement déshumanisé. Chacun des prisonniers étai marqué par un numéro comme on marque un animal. Considéré ainsi, ils n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les nazis leur ont pris leur dignité. Ils n’appartenaient plus à la communauté car leurs identités étaient spoliées. Détruits moralement, physiquement et psychologiquement, les condamnés n’ont plus aucune conscience.

Si les dignitaires nazis ne se sentaient pas coupable et ne se considéraient pas comme coupables c’est parce qu’ils considéraient les déportés comme des sous hommes. Ils étaient donc digne d’aucun intérêt. Si on suit leur raisonnement ici, on peut dire que comme les bourreaux n’avaient pas l’impression d’atteindre leurs victimes dans leur chair, ils ne pouvaient pas mesurer le niveau d’inhumanité qu’ils avaient. Ils s’attelaient à leurs crimes atroces comme ils règleraient des problèmes bureaucratiques. Ils se voyaient comme simple exécutant. Ici le concept du mal se rattache à la morale. Où se trouve la limite entre le bien et le mal ?

Selon Hannah Arendt« la notion de « banalité du mal » exprime l’idée que le sujet n’est pas la source même du mal, mais un de ses lieux de manifestations, ce qui oblige à penser différemment sa culpabilité. »

Elle réfléchit beaucoup sur ces thèmes car elle a pu échappé aux camps de concentration alors que tant de juifs ont péri. Elle s’est souvent sentie coupable d’avoir quitté l’Europe et d’avoir été si loin de ce drame. Le concept de « banalité du mal » lui valu d’être incomprise et beaucoup lui ont reproché de minimiser les crimes de Eichmann. Ces accusations l’ont profondément meurtris

Jessica Staffe



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