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Tournant historique pour l’euro

Publié le 23 janvier 2015 par Sylvainrakotoarison

La journée du 22 janvier 2015 sera à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des pays européens. L’euro devient enfin le levier tant attendu de la croissance économique.

yartiBCE02S’il y a un homme qui, aujourd’hui, est "le plus grand européen", c’est sans hésitation Mario Draghi (67 ans), le président de la Banque centrale européenne (BCE) depuis 1er novembre 2011. En effet, c’est à peu près le seul homme aux responsabilités européennes qui a pris les meilleures décisions pour circonscrire la crise de l’euro depuis 2010. Il vient de récidiver avec une mesure historique et révolutionnaire.

Dans sa conférence de presse du 22 janvier 2015 (texte intégral ici), Mario Draghi a effectivement annoncé ce qui se susurrait depuis quelques jours : la décision de racheter des actifs (des dettes souveraines) à raison de 60 milliards d’euros par mois dans un programme allant de mars 2015 à septembre 2016. Cela correspondra à l’introduction sur le marché monétaire d’une liquidité de 1 020 milliards d’euros au total, ce qui est considérable.

Le verbatim exact (que j’ai laissé en anglais pour les puristes) est le suivant :

« As a result, the Governing Council took the following decisions: (…) It decided to launch an expanded asset purchase programme, encompassing the existing purchase programmes for asset-backed securities and covered bonds. Under this expanded programme, the combined monthly purchases of public and private sector securities will amount to €60 billion. They are intended to be carried out until end-September 2016 and will in any case be conducted until we see a sustained adjustment in the path of inflation which is consistent with our aim of achieving inflation rates below, but close to, 2% over the medium term. In March 2015 the Eurosystem will start to purchase euro-denominated investment-grade securities issued by euro area governments and agencies and European institutions in the secondary market. » (Mario Draghi, 22 janvier 2015)

De plus, la BCE a décidé de baisser de nouveau le taux des opérations de refinancement offertes aux banques (LTRO).
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Le contexte conjoncturel s’y prête bien. D’une part, l’inflation est au plus bas avec risque de déflation. D’autre part, la baisse de l’euro et la montée du dollar renforcnt la capacité d’exportation des entreprises de la zone euro. D’après les observateurs, l’Union Européenne se trouverait en situation de fin de crise et pour retrouver de la croissance, il fallait en effet utiliser quelques leviers de redémarrage.

Le premier levier était le projet de grands investissements européens présenté par le nouveau Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker portant sur 315 milliards d'euros. Le second levier vient d’être actionné par Mario Draghi. L’objectif est de relancer les économies européennes, de développer même l’inflation jusqu’à un seuil de 2%. Avec une telle mesure, l’euro resterait faible par rapport au dollar américain (faire tourner la planche à billet ne renforce jamais une monnaie). Mais cette baisse de l’euro ne provoquerait pas de nouveaux coûts pour les importations énergétiques car elle se réalise aujourd’hui parallèlement à la chute drastique du cours du pétrole.

Toujours opposée à une telle mesure de rachat d’actifs, la Chancelière allemande Angela Merkel a réagi très rapidement à cette décision à l’occasion d’une intervention au Forum de Davos quelques heures après. Elle a répété l’importance de faire les réformes structurelles dans chaque pays pour réduire les déficits publics.

La mesure de la BCE d’ailleurs ne suffirait pas à fermer les yeux sur les dettes abyssales des pays de la zone euro puisque le total des dettes européennes se situe aux alentours de 10 635 milliards d’euros, soit plus de dix fois le montant que la BCE a décidé de rajouter.

L’Allemagne ne figure pas parmi les meilleurs élèves au niveau des dettes souveraines dans l’absolu puisque la sienne se situe aujourd’hui parmi les quatre pays les plus endettés (en absolu), à savoir l’Italie (2 700 milliards d’euros), l’Espagne (2 500 milliards d’euros), la France (2 200 milliards d’euros) et l’Allemagne (1 500 milliards d’euros). La dette par habitant est de 17 500 euros en Allemagne et de 18 000 euros en France. C’est le rapport de la dette sur le PIB qui est assez différent en raison de la bonne santé économique de l’Allemagne : 78,4% pour l’Allemagne contre 93,5% pour la France. Des ratios cependant beaucoup trop élevés.

Cette mesure est donc historique car elle transforme complètement la doctrine de la BCE depuis sa création le 1er juin 1998, où l’orthodoxie de la monnaie forte était défendue avec fermeté par les prédécesseurs de Mario Draghi, à savoir Wim Duisenberg et Jean-Claude Trichet, au risque d’asphyxier tout germe de reprise économique.
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Elle est prise aussi dans un contexte politique particulier.

D’une part, les élections législatives anticipées en Grèce qui se dérouleront le dimanche 25 janvier 2015 auraient de grande chance, selon les sondages, d’être remportées, face au Premier Ministre sortant Antonis Samaras, par le leader de l’opposition de gauche radicale (Syriza), Alexis Tsipras (40 ans), qui fut candidat à la Présidence de la Commission Européenne en mai dernier, avec un programme de renégociation des aides données par l’Union Européenne et le FMI et d’effacement partiel de la dette grecque (qui se situe à 350 milliards d’euros, soit 175,1% de son PIB).

D’autre part, la grande désaffection des citoyens européens pour la construction européenne, exprimée le 25 mai 2014 avec la montée en puissance de partis ouvertement europhobes nécessitait un tel changement de politique monétaire.

Après l’ère de glaciation Barroso, l’euro est maintenant appelé à devenir une véritable monnaie de remplacement au dollar américain. Il ne faut pas avoir beaucoup compris les intérêts économiques et politiques des États-Unis pour penser qu’ils sont très favorables à la réussite de l’Union Européenne et de sa monnaie unique. Au contraire, l’euro va devenir un véritable outil de croissance pour l’Union Européenne, et au final, tous les Européens en seront les bénéficiaires.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 janvier 2015)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Conférence de presse de Mario Draghi du 22 janvier 2015 (texte intégral).
La débarrosoïsation de l’Europe.
Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l'Europe.
Conseil Européen du 30 août 2014.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Déni de démocratie pour le Traité de Lisbonne ?
Guy Verhofstadt
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.

Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Martin Schulz.


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