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Monologue d’un homme au portable (très énervé)

Par Montaigne0860

(Il boutonne sa chemise pendant qu’il parle au téléphone, tête penchée, le portable coincé entre son épaule et son oreille)Vache de chemise, les boutons, impossible, vacherie ! Allô, Marilou…Ben qu’est-ce que tu fiches ? … Mince le répondeur ! Bon, ben oui je vais laisser un message..[Si vous souhaitez modifier votre message appuyez sur la touche dièse]. Oui, je sais connasse !! C’est ça… ouais, la touche dièse.

Bon dis donc Marilou, je te laisse un message donc. Je t’attends là. C’est le désert ici. Je t’attends. Je t’annonce que le chat a eu sa ration de friskies. Je lui ai même donné tout le sachet parce que je sais pas quand on rentrera, on est pressés. Je sais, il va tout dégobiller sur le tapis, mais j’ai pas le temps. Tu laveras le tapis demain. Bon, dis donc faut que tu te grouilles là. Augustin et Louise se marient dans une demi heure. La 46 est toujours bloquée à cette heure là, le soir. Ben oui, ils se marient un vendredi. Tu sais on en avait parlé, je suis témoin du marié. Tu te souviens ils ont divorcé et là ils se remarient. Alors grouille-toi. Vache de chemise, elle veut pas se boutonner. Qu’est-ce que tu avais besoin de m’acheter des chemises que je ne peux pas fermer ?

Zut, le message est fini. Faut que je rappelle (Il retape le numéro préenregistré) :

C’est toujours moi. Oui, Marilou grouille toi. Je t’attends. Saleté de chemise ! C’est de ta faute. Non, attends, c’est pas ce que je voulais dire. Excuse. J’efface, j’efface, j’efface.

La touche dièse, la touche dièse, la touche dièse… elle est où cette vache de touche ? Ah oui, j’efface, oui, j’efface, bon tant pis, j’efface. Ah ça y’est maintenant, la chemise ça va à peu près. Vacherie de cravate, elle est où ? Ah non, la veste, la veste avant, pour voir, la veste avant, la veste avant… (Il enfile la veste et porte négligemment la main à la poche. Il sort un papier) Ben c’est quoi ce papier ? Ah oui, la CPAM. Ouh lààà, mais c’est qu’ils me doivent un bras ces cons là ? Tu vas voir, le numéro… tu vas voir… le numéro, oui… un 08, oh là, ça va pas le faire, je le sens ça va pas le faire. Je le sens pas, je le sens pas.

Allô ? Allô ? La CAPAM ? [Le numéro que vous avez demandé n’est pas en service actuellement] Pas en service ? Pas en service ? Non, mais le vendredi après-midi, la Caisse d’assurance maladie, y’a plus personne, j’te jure, les 35 heures, les connards… Ah non mince, je me suis gourré. C’est 08 40, pas 08 41, et cette vacherie de chemise qui se rouvre, j’te jure les mecs qui ton inventé des boutonnières comme ça, ils seraient là je les étranglerais. Je te jure Marilou, toi et tes chemises ! Faut toujours qu’elle m’achète, toujours toujours toujours, des trucs immettables. Et pis la couleur ! De la pisse de chat ! Non mais j’te jure !

Allô, Marilou ? Ah non, merde c’est la CPAM. Allô, la CAPAM ? Y’a quelqu’un ? [Tapez le 36 19 puis tapez 1 pour les réclamations, tapez 2 si vous êtes demandeur d’emploi, tapez 3 si vous voulez ]… Oh, arrêtez bande de nases ! Et puis merde je tape 1. [Tenez-vous prêt à indiquer votre numéro de sécurité sociale]… Et la musique maintenant ! Vivaldi ! Le printemps ! Alors qu’on est en octobre, j’te jure. Eh au fait, mon numéro de sécu ? Mais je le sais pas. Mais je n’en sais foutre rien de mon numéro de sécu ! Ah oui, il est là sur la feuille, oui, je suis prêt, je suis prêt, je suis prêt. Allô… Vivaldi ?… Bon en attendant j’ai le temps de refoutre mon bouton. Vacherie de bouton, c’est bien un coup à la Marilou, ça encore. Non, attends, je mets le haut parleur comme ça j’ai le temps pour le bouton et même la cravate, vu que le vendredi après-midi, j’ai des doutes pour la CAPAM. Feignants ! Voilà. Haut parleur ! Merde, j’ai tout arrêté, j’ai appuyé sur le mauvais bouton… Faut que je recommence !.. Ah non, Marilou d’abord.

Allô, Marilou ? Grouille-toi nom de dieu ! Le mariage ! … Mince, encore le répondeur ! Un message, oui, oui…. Touche dièse, je sais…. Bon alors, Marilou, qu’est-ce que tu fous nom de dieu ! Le remariage de Louise et d’Augustin. Tu te souviens dans ta petite tête de pioche ? Je te l’ai re-re-redit ce matin que c’était ce soir. Mais toi tu t’en fous du remariage de ces deux cons là. Moi aussi ok. Mais là je suis témoin. Grouille-toi ! Tu fais quoi là ? Pourquoi tu décroches pas nom de dieu ! Réponds !! Rappelle-moi et plus vite que ça ! La 46 est bouchée… maintenant on est en retard ! Grouille ! La vache la vache la vache ! Bon maintenant la CAPAM…08 machin. Voilà

Allô ? Oui, je sais… le 36 19 taper 1 etc. etc. etc. Oui, ok, c’est bon voilà, ne nous énervons pas…Je tape 1. Vivaldi ! (Il chantonne rageusement le printemps en rythmant la musique avec le portable dans la main) Vivaldi, s’il avait su qu’on ferait chier le monde avec sa musique comme ça, il se serait flingué Vivaldi, il se serait jeté par la fenêtre Vivaldi, il se serait fait moine Vivaldi, il aurait composé des messes des morts Vivaldi ! .. Bon c’est pas le tout moi la cravate, nom de dieu, la cravate…Voilà, voilà (Il tient toujours le portable à la main, essaie de nouer la cravate d’une main) voilààà…. [Dès que vous serez en liaison avec votre correspondant, cet appel vous sera facturé 1 euro 80 la minute] Quoi ? 1 euro 80 ? Les vaches de vaches qui me doivent une fortune et en plus faut que je raque le téléphone au prix de l’entrecôte ! Il a bien fait de mourir Vivaldi, entendre des trucs pareils, un euro 80 la minute, ça fait cher du printemps ! Ah oui, la cravate, le nœud de cravate… (Il repousse le chat du pied) Non, casse-toi le chat ! Casse-toi ! Fiche le camp saleté de chat ! Je t’ai déjà donné à bouffer ! Va bouffer ! T’as à bouffer nom de dieu de chat ! (Il trébuche en écartant le chat du pied… esquisse une chute). Il a failli me tuer cette vache de bestiole, vacherie de chat, va bouffer ! File, sale bête ! Tiens au fait, à propos de sale bête… et Marilou ? Elle rappelle pas… ah ben oui que je suis con, j’appelle la CAPAM, donc elle peut pas me rappeler, c’est cet abruti de Vivaldi qui l’empêche de me rappeler. L’abruti ! (Il coupe le téléphone en scandant)Vi-val-di a-bru-ti !

Bon j’arrête tout. La CAPAM, la cravate. J’arrête, j’attends. J’attends. J’attends. (Il se regarde les mains, sifflote le printemps, se balance d’avant en arrière) Voilà, tant pis pour le retard, j’attends. Le portable je n’y touche plus. D’ailleurs je vais me désabonner. Ça me rend dingue. Le téléphone. Le portable. Tant pis pour Marilou. Le mariage et tout le tremblement. J’attends. Je me calme. Je me calme. Je suis calme. Je suis très calme. Quel désert ici ! Un désert ! Tiens j’entends le chat qui dégobille ! Tant mieux ! (Le portable sonne, il se rue sur l’appareil)

Allô ? Vivaldi ? Quoi ? Marilou ? Quoi ? Tu m’attendais à la mairie ? Mais on avait dit que …Ils sont remariés, ces deux cons là ? C’est fait ? Tu m’as remplacé comme témoin ? Oui, tu as bien fait Marilou … Oui, tu as bien fait… Oui, bien fait…Oui, j’ai été retardé Marilou… La 46, le chat, la chemise, les friskies, Vivaldi, la cravate, la Caisse Primaire, vendredi, les boutons… ben oui Marilou. Ben oui, Marilou, non, non, je n’ai pas bu, j’te jure que j’ai pas bu, non. Bon à tout’, à pluss. Bisous, oui, bisous.


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