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Pedro Lemebel, la mort d’un artiste à part

Publié le 23 janvier 2015 par Anthony Quindroit @chilietcarnets
Pedro Lemebel, l'anticonformisme brut (photo Sebastian Tapia Brandes / Flickr DR)

Pedro Lemebel, l’anticonformisme brut (photo Sebastian Tapia Brandes / Flickr DR)

En France, le nom de Pedro Lemebel ne fait pas partie des plus connus. Au Chili, en revanche, l’annonce de sa mort, ce vendredi 23 janvier 2015, a suscité une vague d’émotion importante même si Pedro Lemebel ne faisait pas mystère de ses problèmes de santé. Âgé de 62 ans, il était atteint d’un cancer du larynx.
Pedro Lemebel était un homme atypique, un artiste aux multiples talents. Créateur visuel, il venait de terminer une grande exposition d’œuvres inédites, dans la célèbre galerie d’art D21 à Santiago du Chili. Mais Pedro Lemebel était également un auteur et un poète. En France, seul un de ses romans a été édité, Je tremble, ô matador, traduction de son Tengo miedo, torero, stupéfiante histoire d’un travesti amoureux d’un anti-Pinochet et dont les péripéties se mélangent aux pensées secrètes du dictateur et de sa stupide femme.

Pedro Lemebel ne cherchait pas à plaire (photo Sebastian Tapia Brandes / Flickr DR)

Pedro Lemebel ne cherchait pas à plaire (photo Sebastian Tapia Brandes / Flickr DR)

Pedro Lemebel était souvent comparé à un Pedro Almodóvar époque Movida. L’auteur et plasticien chilien prenait en effet plaisir à s’amuser des tabous, à les faire exploser, à jouer avec face au bourgeois. Lui-même se définissait comme « un auteur, un artiste, visuel, un drogué, un homosexuel, un trafiquant… ». Il avait également été professeur d’art à Santiago. Et un militant. En 1986, alors que le pouvoir de Pinochet ne faisait pas de quartier, son texte « Je parle pour ma différence » devient un manifeste pour la liberté sexuelle. Et lorsque le général putschiste tente de s’imposer à nouveau, via le référendum de 1988, Lemebel crée un collectif d’artistes baptisé « Les juments de l’Apocalypse » qui intervient en public et scande « Homosexuel, pour le changement ».
Par la suite, alors que la démocratie reprend progressivement ses droits, Pedro Lemebel écrit. Des chroniques. Sur la misère à Santiago, lui qui a grandi dans l’un des coins les plus mal-famés de la capitale, à la Legua. Ses textes tapent dans l’œil de Roberto Bolaño avec qui il deviendra très ami. Ce dernier lui permettra d’ailleurs de se faire connaître en Europe, notamment en Espagne.
Avec l’irrévérence pour marque de fabrique, il a continué à écrire, à produire, à se faire aimer et détester, à se faire reconnaître. Mais rarement à être décoré.
Ces derniers mois, son nom était surtout associé à une polémique autour de l’attribution du prix national de littérature. Donné favori par bon nombres de soutiens et supporté par les réseaux sociaux, Pedro Lemebel a finalement été boudé par l’institution qui lui a préféré le plus consensuel Antonio Skármeta, auteur, notamment, du livre Le facteur.
En début d’année, le 7 janvier 2015, il est apparu une dernière fois en public à l’occasion de l’ultime hommage que lui a rendu tardivement le Conseil national de la culture et des arts chilien. Affaibli, il ne réapparaîtra plus.
Ces proches ont annoncé son décès des suites de son cancer du larynx. « Un cancer qui a voulu éteindre sa voix. Mais qui pourrait réussir ça. Sa voix existe et persiste », ont-il lancé. Une voix anticonformiste qui a fait beaucoup pour la liberté d’expression au Chili. Un symbole, à sa manière.


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