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108 Rois-Démons, de Pascal Morelli

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 2/5 

108 Rois-Démons est un film d’animation de Pascal Morelli, librement adapté de Au bord de l’eau, une oeuvre épique et majeure de la littérature chinoise. L’intrigue du film se situe avant celle d’Au bord de l’eau, dans l’Empire de Chine du XIIème siècle et met en scène le prince Duan qui tente d’échapper au Maréchal Gao, l’assassin de son père. Au cours de son aventure et de son parcours initiatique, sous la coupe du fameux maître céleste Zhang, Duan rencontre un groupe de hors-la-loi avec lesquels il va évoluer et se lier d’amitié. 

Si la forme est très agréable à voir, le fond du film, lui, peine à se mettre en place. 

© Gebeka Films

© Gebeka Films

L’écriture du scénario et ses enjeux

L’écriture du film est très dense. Il y a une profusion de personnages. Nombreuses sont les micro-intrigues. S’intègrent-elles à la trajectoire initiale du scénario ? Malheureusement, elles ne sont que des péripéties périphériques à l’intrigue. Elles sont souvent écrites pour justifier ou affirmer le caractère d’un des personnages. 

Le schéma de 108 Rois-Démons est clair : le Maréchal Gao tue le père du prince Duan, veut prendre sa place et l’éliminer à son tour. Le pouvoir politique qu’il possède est fondé sur le recours au mensonge : il tient le peuple entre ses mains par la peur. Il fait croire au retour des Rois-Démons et à l’enlèvement de Duan par ceux-ci. Décrits comme des êtres cruels, extraordinaires et puissants, les Rois-Démons lui servent de prétexte. Le scénario tend vers une autre direction et ne saisit pas suffisamment le folklore monstrueux et la réaction du peuple à cette annonce. On ne capte presque jamais leurs émotions, ou seulement à de rares occasions. Le scénario ne cherche pas à s’étendre sur les manoeuvres politiques, il met simplement en exergue un conflit particulier. Il n’y a pas non plus réellement de temps de guerre, hormis quelques scènes isolées. 

Les Rois-Démons n’existent-ils donc pas du tout ? Le noeud de l’intrigue réside dans la dénomination des Rois-Démons, non dans l’imaginaire qu’ils pourraient évoquer. Ils sont en effet une création mensongère du Maréchal Gao. Les héros de l’histoire sont considérés comme les Rois-Démons, parce qu’ils sont des boucs émissaires de circonstance. Cette bande de hors-la-loi est recherchée par l’État. Là encore, toute la dimension épique qui pourrait accompagner ces personnages est écartée. Ils sont très rapidement des éléments identificatoires, ne provoquent aucun effroi et en soi, ne sont marginaux qu’en ce que Pascal Morelli entend par originaux. 

Enfin, et ce n’est pas un détail, la place qu’occupe l’humour dans le film est consensuelle. Le comique de situation, principalement, intervient presque systématiquement comme une rupture ou une transition. Il n’est pas utilisé pour suivre les lignes du scénario. Finalement, l’humour installe une dynamique poussive, comme s’il était un recours à la facilité, pour faire rire le public à défaut de l’intéresser à une séquence dans son intégralité.  

Les personnages : caricatures ou archétypes ?

Pascal Morelli dit avoir refusé de tomber dans la caricature et préfère utiliser le mot “archétype”. Dans quelle mesure cette volonté échoue-t-elle ?

Les personnages ont été créés dans le but d’être des références à la culture chinoise. La volonté du réalisateur était de leur attribuer des types, c’est-à-dire une personnalité à laquelle le spectateur s’attendrait et qui pourrait être un moyen d’accès à une partie de la civilisation chinoise. Incarnent-ils vraiment une culture ? N’est-ce pas plutôt l’affirmation d’un caractère dont on parle ? En effet, la description des personnages est précise. Chacun a une capacité, une arme, qu’elle soit physique ou morale, et une façon singulière d’agir sur le monde. La frontière entre types et caractères est donc facilement franchie. 

Du désir de faire des personnages des entités uniques et particulières émane une fracture. Le scénario réunit des individus qui de prime abord ne sont pas faits pour s’entendre et si une harmonie se crée, c’est pour un but commun. L’union et l’harmonie sont factices puisque le but à atteindre se situe à un stade scénaristique et non à un niveau culturel ou sociologique. Ils ne renvoient au monde chinois que par bribes, sans être un ensemble cohérent pouvant s’additionner les uns aux autres. Peut-on parler de sociologie dans un film d’animation ? C’est bien là l’intention du réalisateur : s’il souhaite faire de ses personnages des types, ces derniers reproduisent sa compréhension du monde, soit un pan sociologique de la civilisation chinoise. 

Refuser la caricature, c’est souvent essayer maladroitement d’élever ses personnages au rang de la vraisemblance. C’est d’autant plus problématique qu’on se trouve ici face à un film d’animation, où la vraisemblance est moins évidente et attendue. Plutôt que de contourner la caricature, il faut l’embrasser et l’affronter à la fois. Si les personnages n’étaient pas perçus d’emblée comme des individualités autonomes, ils pourraient former une unité solide, embrassant la caricature d’une part et l’affrontant d’autre part, en touchant du doigt une vérité par la différence. Malheureusement, les héros de 108 Rois-Démons ne sont pas différents les uns des autres, ils sont inconciliables et opposés.

Zhang-le-parfait, le maître céleste aveugle, est le guide de Duan et l’accompagne dans l’évolution de ses trois âges : prince, disciple et brindille. C’est un être impertinent, loufoque, dont la sagesse paraît être une fantaisie de sa vieillesse. Il est celui qui incarne le parcours du film. Il est omniprésent du début à la fin, de l’élément perturbateur à sa résolution. Par téléscopage, il est le modèle de Duan comme il est le modèle pour l’histoire. Il porte le message du film et son sens. On peut alors se demander si Zhang est une caricature ou un archétype, étant donné son importance dans le scénario. Le fait est qu’il n’échappe pas à la surdéfinition de l’archétype : il est une personnalisation de la caricature. À trop vouloir en faire un élément original de l’intrigue, le personnage n’a aucune épaisseur, aucun relief. Au fond, c’est un antihéros lançant çà et là des aphorismes qui seront finalement entendus. Il n’est défini par aucun type mais il renvoie davantage aux personnages de guide, dans les films d’animation, sans être ni tout à fait original ni tout à fait crédible. Moqué par les autres personnages de l’histoire, Zhang a une perspective comique et c’est là sa seule réalisation personnelle. 

© Gebeka Films

© Gebeka Films

De l’adaptation à la vulgarisation

On ne pourrait attendre de 108 Rois-Démons de faire une adaptation fidèle de l’oeuvre massive qu’est Au bord de l’eau. Ce n’est pas ce qu’a cherché non plus Pascal Morelli. Il s’agit ici d’une inspiration libre, venant imaginer ce qu’il y se passe avant.

Communément, le spectateur s’attend alors à retrouver un univers proche, une ambiance, et plus encore : une essence de l’oeuvre chinoise. À un niveau narratif, Pascal Morelli s’approprie les codes du classique chinois, extérieurement à tout jugement de valeur, qu’il le fasse bien ou mal. C’est une adaptation par la reprise et la référence. 

C’est à la lumière de la culture chinoise que 108 Rois-Démons échoue. Le character design a beau être réussi et tracer les traits subtils des personnages, il n’en est pas moins déroutant de les entendre parler français. C’est un film français, pourquoi remettre en cause cette identité artistique ? Tout simplement parce que Pascal Morelli s’attaque à un monument de la littérature chinoise. C’est un livre peu connu en France, on en connaît davantage l’adaptation vidéoludique éditée par Konami : Suikoden. Le réalisateur ne s’attaque pas à bras-le-corps à l’adaptation, il choisit d’en faire un prequel. En ses propres termes, il préfère le mot de “préface”, afin de donner envie aux spectateurs de “s’immerger dans cette oeuvre épique”. Les deux échecs du film sont alors la caricature de ses personnages, à laquelle on ajoute un regard français qui ne fait que rendre hommage, sans interroger l’oeuvre et en transposer l’essence. 

Si le film suit une évolution classique et européanisée, c’est parce qu’il se limite à la vulgarisation d’un univers, qu’on aurait attendu plus dense, plus complexe. Il apparaît limpide. Bien sûr, on ne réclame pas de ne rien comprendre, mais jamais il n’y a de moment qui déstabilise ou intrigue, comme si le scénario était supposé faire exotique sans être authentique.  

© Gebeka Films

© Gebeka Films

Que retenir de 108 Rois-Démons ?

Si avec le recul le film ne convainc pas, il faut lui reconnaître une réussite visuelle et une mobilisation d’excellentes techniques d’animation. C’est un film visuellement magnifique et la vocation d’adaptation de Pascal Morelli est louable. Malheureusement, les objets et les sujets ne sont pas suffisamment épiques et approfondis.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

Film en salles depuis le 21 janvier 2015


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