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Graham Gouldman, The Graham Gouldman Thing (1968)

Publié le 28 mai 2008 par Oagd

The Graham Gouldman Thing, par Thibault Balahy


Voilà un disque qui, pour commencer, appartient à une catégorie pas si ordinaire : celle des collections d'auto-reprises. Jusqu'en 1968, date de parution de  cet album, Graham Gouldman est un auteur-compositeur de l'ombre, pondant essentiellement des hits en or massif pour des groupes de sa ville, Manchester (Herman's Hermits, Hollies), ou du reste de l'Angleterre (Yardbirds). A compter de 1972, il deviendra le leader d'un groupe auteur de quelques très grands succès devenus étandards d'une certaine pop seventies : 10 CC. Entre ces deux étapes, en 1968, avant trois années de reprise de son travail de compositeur professionnel pour d'autres, se produit cette parenthèse qui nous intéresse aujourd'hui, The Graham Gouldman Thing, où l'auteur-compositeur décide de devenir aussi interprète, et de revisiter les standards écrits de sa propre plume.

 

Flashforward : nous sommes en 1998, dans une émission de télévision britannique qui a pour principe de réunir trois songrwiters et les faire chanter leurs propres chansons mais aussi celle des deux autres invités. Ce jour-ci, elle fait se côtoyer Neil Finn (Crowded House), Roddy Frame (Aztec Camera) et Graham Gouldman. L'ambiance est plutôt cordiale, la greffe des univers de chacun se fait harmonieusement, on décèle par exemple une vraie joie collective quand tous s'attaquent au chaloupé Oblivious d'Aztec Camera. Mais le sommet émotionnel se produit lorsque Gouldman interprète, seul, Bus Stop, écrite en 1965 pour les Hollies. Il faut alors voir notamment l'attitude de Roddy Frame, hochant doucement la tête tout en baissant ses yeux. Il paraît avoir été profondément marqué par le récit de cette rencontre avec une jeune fille au pied d'un arrêt de bus un jour de pluie, qui se termine après quelques ellipses en mariage - happy ending contredit par une mélodie dévorée par le regret et la nostalgie. Gouldman chante avec une grande dignité, n'en rajoute pas, sa voix est demeurée telle quelle, il ne cherche pas à montrer qu'il a été une pop-star, ou quelque chose d'approchant - il ressemble du reste alors physiquement, ainsi qu'on me le fit remarquer un jour, à Enrico Macias.

 

En 1968, il pose, mince, portant chemise bouton d'or sur veste croisée, superbe, devant un mur de briques pour présenter sa fameuse chose, The Graham Gouldman Thing. Ce disque est le troisième que je vais évoquer sur On a Good Day à comporter un mur de briques sur sa pochette, après Michael Head et The Impressions. Le constat de cette récurrence doit bien tout de même interroger sur le ou les symboles que celui-ci peut revêtir. En l'occurrence, et en opposition à la pochette des Impressions, sur laquelle tous les membres du groupe posaient, on avancera que c'est la sensation de solitude qui domine ici. Celle de l'homme qui précisément, a toujours écrit pour des groupes sans en faire partie et qui, à l'instant de réincarner ses chansons de proche jeunesse, se doit de le faire seul.

 

Le disque s'ouvre ainsi : La voix de Graham Gouldman n'apparaît que dans le canal droit de la stéréo, la guitare acoustique en filigrane : « There comes a time when a father must say, to his daughter : « my dear, I'll show you the way » ». Puis les instruments arrivent au bout d'une dizaine de secondes, violons et guitare électrique descendant à l'unisson, avec une même solennité. « These are the impossible years ». En écho à ce constat, se rapportant à l'adolescence des jeunes filles, paraît dès le début se dresser celui-ci : il n'est pas simple d'éviter l'impression d'égocentrisme vain dans le cadre d'un projet discographique comme celui-ci. Aussi la production et les arrangements (signés de John Paul Jones, le bassiste de Led Zeppelin) paraissent-ils vouloir imprimer tout le long la marque, sinon d'une austérité, d'une sévère réduction de moyens par rapport aux pimpantes versions hit singles connues de ces chansons. Par contraste avec le swingin' London et le Merseyside arc-en-ciel du début de la décennie, se développe alors ici peut-être le début d'un spleen de Manchester.

 

Prenons le cas de la plus connue de ces chansons : No Milk Today, rendue célèbre mondialement par les Herman's Hermits, devenue l'un des symboles de la British Invasion, de cette Angleterre qui fit swinguer le monde - et trembler les planches de la scène du Ed Sullivan Show. Dans la version de The Graham Gouldman Thing, l'introduction d'origine à la guitare est remplacée par une ligne de violon plaintive aux accents tziganes qui, dès le départ, en modifie la perspective. Le titre ne paraît plus se rapporter uniquement au sentiment adolescent de frustration amoureuse et sexuelle, mais receler aussi à présent une vérité plus littérale, se poser en trait d'union avec l'histoire de cet arrière grand-père russe de Graham qui quitta son pays muni d'un seul sac pour s'installer en Grande-Bretagne. Ce lien généalogique est expliqué dans les notes de pochette originales du disques, rédigées par le père de Graham, Hymie. Un père très très présent, pour un disque censé être celui de l'affranchissement de toute dépendance à autrui. My Father, la chanson, va jusqu'à dire : « mon père sait plus de choses que je n'en saurai jamais. Si seulement je pouvais être comme lui ». Difficile de déceler la part exacte de spontanéité du propos - le père serait-il alors juste derrière, tel celui de Brian Wilson, Murray, prêt à assumer sa fonction de tyran en cas de non allégeance de sa progéniture ? J'aime à croire que non. Et qu'il fut de l'initiative même de Graham Gouldman d'affirmer qu'en rupture avec le message dominant de rébellion à l'égard des parents formulé par le rock&roll, il existait une manière de parler de sa famille en des termes laudateurs sans crouler sous les poids de la honte ou de la ringardise.

 

Dans le fond, c'est un album qui paraît souvent appartenir davantage à l'immédiat après-seconde guerre mondiale qu'aux années soixante. Il paraît aussi appartenir plus à la vieille Europe dans son entier qu'à la stricte Grande-Bretagne (le rythme et le motif de guitare de Pawnbroker, par exemple, ont plus à voir avec le sirtaki que le twist). A l'instar toutefois de Pet Sounds, il use de nombreux ressorts sonores pour plonger l'auditeur dans certains de ses plus intimes souvenirs d'enfance - le bruit d'un klaxon de vélo, le chahut d'un groupe d'écoliers... A l'instar aussi des Kinks de la même époque, Graham Gouldman semble goûter se trouver dans une position d'observateur jamais complètement détaché - et pouvant manifester même une véritable empathie à l'égard des deux personnages de Upstairs, Downstairs, ce garçon et cette fille qui s'aiment sans se l'avouer et, respectivement, écoute la radio seul pour l'un, attend patiemment pour l'autre. Lorsqu'il sera aux commandes de 10 CC, Gouldman changera d'angle et de stratégie, cassera la baraque avec un slow (I'm Not In Love), conçu comme une anti-chanson d'amour, s'adonnera plus qu'à son tour au pastiche, bref à une mise à l'écart de l'expression pure de ses sentiments. Demeure néanmoins cette mystérieuse chose, dont l'impalpable nature, étrangère à toute forme de nombrilisme ou de contingences matérielles, avait de toute évidence ressurgi lors de l'émission de télévision anglaise de 1998.


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