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Misère des trop riches médias arabes (2) : la toute-puissance du Golfe

Publié le 03 février 2015 par Gonzo

médiassoudiens

Vingtième fortune mondiale d'après Bloomberg, trente-cinquième "seulement" pour Forbes, al-Walid Ibn Talal devrait s'en remettre. Tout de même, l'année commence fort mal pour lui. Comme tout (bon) Saoudien, le prince Al-Walid est certainement très touché par la mort, à 91 ans, du roi Abdallah. Mais la révolution de palais opérée avec l'arrivée sur le trône de Salman, son oncle, n'est pas non plus une très bonne nouvelle pour lui. Non pas à cause de la disgrâce, depuis longtemps prononcée, de son propre père, Talal, vingtième fils du roi Abdulaziz, définitivement privé du moindre espoir politique depuis qu'il a émis (il y a très longtemps) l'idée saugrenue d'une constitution pour son pays. Non, les vrais soucis du richissime prince saoudien sont davantage liés à la composition du nouveau gouvernement de son pays. Il l'a d'ailleurs signalé à sa façon sur Twitter (une société où il a injecté 300 millions de dollars) en proclamant haut et fort son allégeance à ses oncles, le nouveau roi et le prince héritier, mais en se contentant de féliciter, sans plus par conséquent, son cousin, Mohamed bin Nayef, nommé au poste de ministre de l'Intérieur. Une réaction très observée dans le monde arabe (son message a ainsi renvoyé plus de 10 000 fois).

Beaucoup moins commentée, mais tout aussi désagréable pour le patron de Rotana, première société arabe dans l'industrie audiovisuelle, est la nomination, au ministère de la Culture et de l'Information, d'un rival, le roturier Adel El-Toraifi. Spécialiste de l'Iran, le nouveau patron des médias saoudiens a en effet longtemps travaillé comme directeur général de la chaîne d'information Al-Arabiyya. Une promotion qui n'est pas forcément étrangère à la fermeture, quelques heures après son lancement, de la nouvelle chaîne d'information Al-Arab. Si tous les détails de cette censure peu commune ne sont pas connus, il ne fait aucun doute en tout cas que cette extraordinaire décision, après des mois de préparation et un gros lancement publicitaire, n'a été prise qu'après consultation des autorités saoudiennes. En effet, depuis qu'elles ont sauvé la dynastie au pouvoir en volant militairement à son secours au plus fort du "Printemps arabe", ces autorités ont la haute main sur tout ce qui se passe à Bahreïn, le petit émirat où Al-Walid Ibn Talal et son équipe ont eu l'étrange idée, il y a des mois de cela il est vrai, d'installer leur nouvelle chaîne.

On a toutes les raisons de penser par conséquent que la fermeture d'Al-Arab, parce qu'elle aurait diffusé dans son premier journal quelques minutes d'entretien avec un des responsables de l'opposition, n'est qu'un grossier prétexte, en plus d'être un affront difficile à avaler pour Al-walid Ibn Talal. En effet, le rédacteur en chef de la chaîne, Jamal Khashoggi, a fait part depuis des mois de ses intentions "libérales", précisément en prenant comme exemple la possible présence, sur les plateaux de la chaîne, d'opposants bahreinis. Avec autant d'argent en jeu, on peine à croire, surtout dans le contexte régional, que personne n'ait pris le temps de tracer soigneusement les lignes rouges à ne pas franchir.

A côté de cet échec retentissant, le lancement d'Al-Araby, une semaine plus tôt, apparaît comme une immense réussite. Placée sous l'égide du Palestien Azmi Bishara, Al-Araby propose une programmation généraliste avec des émissions musicales, des talk-shows, des feuilletons (plutôt de qualité), le tout essentiellement à destination de cette jeunesse arabe qui a vécu de si fols espoirs au début de l'année 2011. Par conséquent, rien à voir en principe avec Al-Jazeera, la première chaîne d'information dans le monde arabe, si ce n'est que l'une et l'autre sont entièrement adossées à la puissance financière de l'Emirat du Qatar. Et de fait, si la nouvelle chaîne orientée jeunesse a pour objectif de corriger l'image du très riche émirat dans l'opinion arabe (voir ce précédent billet, il y a un peu moins d'un mois), les premiers commentaires sur sa ligne éditoriale, avec son soutien très patent aux Frères musulmans notamment, montre qu'elle sera, tout autant qu'Al-Jazeera, le reflet fidèle de ses objectifs politiques.

Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar : la scène médiatique arabe continue à se jouer pour l'essentiel entre gros potentats des pays du Golfe... Et les nouvelles, ailleurs dans la région, ne poussent pas à l'optimisme. En effet, le quotidien beyrouthin Al-Akhbar se faisait aujourd'hui l'écho de rumeurs à propos d'une possible fusion entre les trois principales chaînes, au sein du camp du 14-mars, à savoir Future TV, MTV et la LBC (par ailleurs étranglée financièrement par la société Rotana de Walid Ibn Talal). Les difficultés financières des chaînes libanaises, une situation qu'on retrouve peu ou prou en Egypte, annoncent toujours plus de concentration médiatique péninsulaire...


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