Magazine Culture

Le Quatrième mur [Sorj Chalandon]

Publié le 05 février 2015 par Charlotte @ulostcontrol_
Bonjour à tous !
C'est une amie de prépa qui m'a conseillé le roman dont je vais vous parler dans cette chronique. Lauréat du Prix Goncourt des lycéens en 2013, son sujet m'intriguait et me faisait peur : je craignais d'être perdue dans trop d'informations à propos du Moyen-Orient que je connais mal et d'être noyée dans des détails politiques ou religieux. Je me suis finalement lancée et le moins que l'on puisse dire est que je n'ai aucun regret !

Le Quatrième mur [Sorj Chalandon]« L'idée de Sam était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m'a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l'a fait promettre, à moi, petit théâtreux de patronnage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m'offre brutalement la sienne... »

Fidèle à ses idéaux et gonflé à bloc de l'envie de les défendre coûte que coûte, Georges est un étudiant qui fait de chaque combat politique une affaire personnelle et de chaque guerre la sienne, se disant prêt à utiliser tous les moyens nécessaires pour faire triompher la liberté. Jusqu'au jour où il rencontre Samuel Akounis, un grec dont l'histoire personnelle est lourdement marquée par l’Histoire avec un grand « H ». En effet, Sam est juif et est également marqué par la dictature des colonels dans son pays. Riche de ses expériences, il va apporter toute sa sagesse et son apaisement à Georges. Metteur en scène, il a non seulement le projet de monter l'Antigone d'Anouilh au Liban, mais veut en outre réunir sur scène des acteurs de toutes les confessions : chrétiens, chiites, druzes, juifs, etc., dans le but d'arracher une heure de paix à la guerre. Mais voilà : Samuel est gravement malade et ne peut achever lui-même ce projet. Il demande alors à Georges d'y aller et de le faire à sa place. Georges accepte.
« Je n'ai pas regretté tout de suite. Ni dans le couloir de l'hôpital. Ni dans la rue, respirant l'hiver à pleine vie. Ni dans les escaliers, montant lentement vers la voix de ma fille. C'est face à Aurore que j'ai douté. » chapitre 8, p.98
Dans ce roman, Sorj Chalandon met à la fois l'accent sur le contexte et sur l'intrigue. Le premier est celui de la guerre au Liban, du conflit entre les peuples et les religions, et le quotidien criblé de balles et de violence. L'intrigue quant à elle se concentre sur le défi de Georges : mettre en scène Antigone au Liban. Ces deux éléments font de ce roman une histoire inédite, originale et passionnante à suivre, et se mêlent dans un équilibre parfait de telle sorte que le contexte vient renforcer l'intrigue, la soutient, lui donne du sens et vice-versa.
C'est d'abord à la réalité de la guerre que va être confronté Georges. Héritier de Mai 1968, il se considère comme un « rebelle » prêt à tout pour défendre la liberté et la justice, seulement ses actions en France sont bien loin de la réalité du conflit au Liban. C'est un quotidien de violence, de menace et de peur que Georges va découvrir.
« Il m'a expliqué que nous serions à découvert pendant huit minutes. En danger de mort. Que nous passerions dans l’œilleton de tous les snipers de la ville. D'abord, des chiites et des nassériens qui occupaient la tour Mirr. Un immeuble en construction de quarante étages que la guerre avait abandonné aux combattants. Ensuite, les fusils nous uivraient tout le long du Sérail et de la place des Canons. On ne sait jamais ce que va faire un doigt sur la détente. En arrivant au carrefour de Sodeco, nous risquions d'être pris pour cible par les tireurs chrétiens. Ceux embusqués dans la tour Rizk, qui surplombe Achrafieh, et ceux qui protègnt la maison jaune. » chapitre 12, p.143
Le Quatrième mur [Sorj Chalandon]
Même s'il n'est pas soldat, cette expérience va faire de Georges un autre homme : il n'est plus capable de vivre comme avant. Comment supporter les petits tracas du quotidien après avoir vu des gens tuer et mourir ? Et cela va même plus loin puisque Georges devient incapable de vivre autrement. Chalandon aborde en effet dans ce livre un sentiment d'autant plus humain qu'il est ambigü et trouble : celui de l'attraction que la guerre peut exercer sur soi, de l'ivresse de la violence que l'on peut ressentir et du plaisir que l'on peut y prendre. Georges en vient presque par moments à aimer l'état de guerre, qui devient pour lui le seul mode de vie possible. La guerre prend alors parfois une tournure sublime lorsqu'elle est décrite du point de vue de Georges et c'est cela que j'ai trouvé très intéressant et passionnant : comme dans les tragédies grecques, le sublime et l'horreur, le sublime et la violence se cotoient et se confondent presque.
Prenons par exemple la scène où Georges découvre Imane après que son village se soit fait massacré : ce passage m'a presque donné la nausée, mais lorsque l'on fait attention au texte, on a presque l'impression qu'il décrit une peinture ou une mise en scène. Malgré toute l'horreur, on a quand même l'impression que Georges y voit quelque chose de sublime, comme s'il édifiait la guerre en quelque chose de noble.
« C'était effrayant. C'était bouleversant. Un instant, je me suis dit que j'avais plus vécu en cinq jours que durant ma vie entière. Et qu'aucun baiser de Louise ne vaudrait jamais a petite Palestinienne, retrouvant les mots d'un poète en levant le poing. J'ai secoué la tête. Vraiment. Secoué pour chasser ce qu'elle contenait. J'ai eu honte. Je pouvais rentrer demain, laisser tomber, revenir en paix, vite. Un sourire de Louise et une caresse d'Aurore étaient les choses au monde qui me faisaient vivant. Et je me le répétais. Et je n'en n'étais pus très sûr. Alors j'ai eu peur, vraiment, pour la première fois depuis mon arrivée. Ni peur des hommes qui tuaient, ni peur de ceux qui mouraient. Peur de moi. » chapitre 12, p.160
L'intrigue est elle aussi lourde en émotion. Le projet de monter Antigone au Liban est l'occasion pour l'auteur de montrer la force que peut avoir le théâtre et l'art en général en temps de guerre. Malgré les difficultés que rencontre Georges pour convaincre les différents acteurs de participer au projet, cette pièce prend par la suite une dimension symbolique pour chacun de ces acteurs : si la liberté d’interprétation de l’œuvre est totale et que chacun choisit d’en faire la lecture qui sert à ses opinions, l’important est que chacun s’approprie cette œuvre avec beaucoup d’émotion. La tension qui règne entre ces personnages ennemis dans le décor d'une ville et de bâtiments criblés de balles donne ainsi naissance à des scènes chargées d'émotion.
Je n'aurais pas pensé aimer autant une histoire qui me semblait si atypique, et pourtant Sorj Chalandon m'y a embarquée dès les premières pages. Le livre s'ouvre en effet sur un premier chapitre assez déroutant puisqu'il s'agit d'une scène qui se déroule en réalité plus tard dans l'histoire (on le comprend rapidement), ce qui attise notre curiosité dès le début et nous donne une envie monstre de tourner les pages pour savoir le pourquoi du comment.
Ce chapitre introduit ainsi une certaine tension dans le récit puisque le lecteur est complice de l'auteur : on sait ce qu'il va se passer. Le style de Chalandon est brut, sans artifice et on y sent beaucoup de tendresse pour ses personnages. La magie opère d'elle-même.
Le Quatrième mur [Sorj Chalandon]
Ce livre a été un gros coup de coeur pour moi et j'ai la désagréable impression de ne pas réussir à lui rendre justice dans cette chronique, de ne pas retranscrire assez bien les émotions que ce roman m'a filées. J'ai été touchée par le tempérament passionné de Georges, par le gouffre dans lequel on le sentait s'enfoncer, par les acteurs, par les scènes terribles décrites... Cette histoire n'a rien de politique ou de donneur-de-leçon, au contraire elle est pleine de tolérance, d'ambition et d'espoir, à l'instar du projet fou et idyllique porté par Georges. Comme lui, on prend nous aussi ce projet à coeur et on se prend d'affection pour tous ces acteurs.J'ai eu l'impression troublante que tout était réel. Une fiction m'a rarement fait passer des émotions avec autant d'intensité !
Y a-t-il un livre dont vous appréhendiez la lecture et qui finalement vous a énormément plu ? Le Quatrième mur est un livre que je vous conseille absolument ! Son intrigue hyper originale ainsi que sa capacité à émouvoir et à engager le lecteur en font un superbe roman. N'hésitez pas à me dire si c'est un livre qui vous fait envie et à me laisser vos impressions si vous l'avez déjà lu !

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Charlotte 266 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine