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Malcolm Lowry, Sous le Volcan, chapitre 11

Publié le 08 février 2015 par Transhumain
Malcolm Lowry, Sous le Volcan, chapitre 11

XI

" Soleil couchant " : en français comme en anglais (" Sunrise "), les premiers mots du onzième chapitre sont aussi le titre du chapitre XXXVII de Moby Dick, une rêverie d'Achab - le Consul du Pequod - qui trouve un écho inattendu en pleine tragédie, dans la vallée du Popo...

À la poursuite de Geoffrey, sans doute réfugié dans une Hugh et Yvonne - dont ce chapitre adopte le point de vue - s'enfoncent comme Dante et Virgil en Enfer dans une jungle obscure qui les soustrait au feu du ciel - nature luxuriante et menaçante où s'accumulent les signes symboliques d'une mort imminente. Il ne s'agit pas que de discrets présages, comme ces chrysanthèmes ou ces buissons aux clochettes blanches " langue pendue vers le bas " ; la plume de Malcolm Lowry se fait en effet volontiers prophétique : " Car c'étaient des vautours, lesquels se querelleront à terre jalousement l'un l'autre et se souilleront de sang et d'ordures " (le sang du Consul, pour sûr... à moins qu'il ne s'agisse du leur)... Et si l'on doutait encore du caractère infernal de cette " - et qui s'achève sur ces mots : " Certains racontent / D'étranges histoires d'enfer sur cette âme égarée / Qui rallia le Nord " (" ... Le Nord, c'est-à-dire, pour le cantina sur la route de Pariá n, peut-être même au Farolito, selva oscura sous le volcan, où sinuent des sentiers dessinant la croix du supplicié, l'auteur insiste sur le dernier voyage de ces âmes perdues : " On eût dit d'ailleurs voir son propre esprit irrésistiblement entraîné par le rapide au milieu d'une débâcle d'arbres déracinés et de buissons massacrés jusqu'à la chute finale " - chute aussi bien métaphorique. Menacée par la masse du Popocatepetl et par l'ébranlement d'avalanches titanesques, Yvonne cherche du réconfort dans l'observation des nuées nocturnes mais n'y voit qu'astres éteints, " catastrophiques explosions de planètes " (comme la Justine de Melancholia, Yvonne pense par métaphores : ce qui brûle ici, c'est la demeure de son esprit), la constellation du Scorpion (symbole de Geoffrey) et la grande roue de Ferris de notre galaxie hautaine - et la soudaine disparition de la Lune, prélude à un nouveau déluge symbolique : foudre, tonnerre, cactus effrayants, " oiseaux noirs désincarnés pareils à des espèces d'oiseaux-squelettes ", ou encore ce " linceul de cumulus " qui enveloppe les cimes d'Ixtaccihuatl. Au El Popo, avant de se consumer au mescal, Yvonne croit apercevoir le Consul assis avec son double - encore un évident signe de mort et de désincarnation - alors même que celui-ci est probablement déjà en train de précipiter sa chute au Farolito... Du moins peut-elle y lire, au dos d'un menu, l'étrange poème de Firmin, illustré par quelques croquis (un trèfle, une roue, " voire même une boîte noire allongée, en forme de cercueil Who once fled north ") au cœur de l'orage par un cheval démoniaque en fuite (marqué d'un " 7 " au fer sur la croupe) Dictionnaire des Symboles, le pays des neuf plaines infernales... Dès lors, passés les cactus-candélabres, frappée tandis qu'Hugh se perd en forêt en jouant des chants révolutionnaires , Yvonne n'a plus d'autre choix que de rejoindre le Nord elle aussi, et de s'élever vertigineusement, jusqu'aux étoiles, en direction d'Orion et des Pléiades - poétique ascension tirée de Faust, nous révèle Lowry dans sa lettre à Jonathan Cape, quand " Marguerite est hissée au ciel sur un pavois tandis que le diable descend mécaniquement Faust en enfer ".

" Le vent traversa la forêt à la vitesse d'un train express ", écrit Lowry deux ou trois pages avant la mort accidentelle d'Yvonne , " la foudre s'abattit juste devant eux dans les arbres, avec un fracas de tonnerre cruellement déchirant qui ébranlé le sol... " Et l'on repense alors aux pensées d'Achab à la fin du chapitre XXXVII de (ici dans la belle traduction d'Armel Guerne) : " Le chemin de ma volonté est tracé par des rails de fer sur lesquels est lancée mon âme. Par-dessus les ravins sans fond, par le travers du cœur transpercé des montagnes, par-dessous le lit des torrents, je me rue et ne peux dérailler. Pas un obstacle, pas un coude sur ma voie rectiligne, ma voie d'acier ! ". Ce vent qui se met soudain à souffler sur Hugh et Yvonne, n'est-ce pas l'âme du Consul en chute libre, balancée avec son corps dans la Moby Dick barranca ?...


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