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La venus a la fourrure - 8/10

Par Aelezig

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Un film de Roman Polanski (2013 - France) avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric.

Petite leçon de SM. Mais pas que.

L'histoire : Thomas, metteur en scène, désespère de trouver son actrice pour le rôle de Vanda, dans l'adaptation d'un roman du XIXe de Leopold Von Sacher Masoch. Alors que les auditions sont terminées, se présente une jeune femme survoltée, sans gêne, délurée, hyper vulgaire. Pas du tout le rôle ! Elle supplie qu'il la laisse auditionner. Il finit par céder. Et elle se glisse dans la peau du personnage avec un tel naturel que Thomas reste sur le derrière... Et il n'est pas au bout de ses surprises.

Mon avis : Sacré Polanski. Ce n'est pas pour rien que c'est l'un de mes réalisateurs préférés. Encore une petite merveille !

Adapter une pièce de théâtre au cinéma, c'est sacrément casse-gueule et la plupart du temps, l'affaire se vautre, et dans les grandes largeurs. L'unité de lieu, le peu de personnages, l'importance du dialogue qui remplit tout l'espace... incompatible avec la caméra qui par définition aime l'image, le mouvement, la couleur, la profondeur.

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Le réalisateur avec sa comédienne (et épouse)

Bien des réalisateurs tentent alors de faire "comme si" : ils intègrent des personnages secondaires pour mettre un peu plus de vie, ils multiplient leurs mouvements, ils soignent le dialogue (mais le ratent souvent)... C'est parfois bien tenté, mais ça donne une chose hybride et presque toujours sans aucun charme.

Non seulement Polanski s'est frotté plusieurs fois à l'exercice, mais il le fait avec brio (La jeune fille et la mort, que je voudrais tant revoir ; Carnage, moins réussi toutefois...) et là, c'est tout simplement magnifique.

Il y va franco, en plus. Pas de chichis. C'est du théâtre ? Ben on y va. Deux personnages, point barre. Une salle de théâtre. Et aucun effet de caméra. Au contraire, une totale consécration aux acteurs. Champ, contre-champ, mais longs, qui les accompagne, qui les sublime. Le texte est superbe, indispensable dans ce genre d'exercice ; un ravissement littéraire (la forme) et intellectuel (le fond). Et des comédiens absolument FORMIDABLES. Je n'aime pas Mathieu Amalric, mais j'ai adoré ici le voir passer de l'arrogance mâle à la soumission, ridicule, humilié... Et Emmanuelle, je n'ai jamais cessé de dire que cette actrice valait beaucoup mieux que ce qu'on dit d'elle (je la préfère tellement à sa soeur !), m'a scotchée, fascinée. Elle joue prodigieusement un triple rôle : l'actrice qui auditionne (vulgaire, branchouille, superficielle, allumeuse), le rôle qu'elle est censée incarner (une jeune bourgeoise du XIXe, distinguée, effarouchée), mais aussi le personnage qu'elle cache et qui se dévoile peu à peu, une féministe passionnée et rusée ! Emmanuelle, mille bravos et mille mercis ! Quel bonheur de texte ! Quel bonheur d'interprétation !

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Le SM est très à la mode en ce moment avec le roman à succès, et à buzz, j'ai bien sûr nommé 50 nuances de Gray, et le film qui va avec. Un concept qui je l'avoue ne m'attire pas du tout. Moi, c'est plutôt le genre romantique, comme vous le savez. Et j'ai été étonnée de découvrir ici une "explication" à cette envie, chez certains, d'être dominé, jusqu'à l'esclavage ! Dans la pièce/film, adaptée (plusieurs fois) d'un roman de Sacher Masoch (qui a donné son nom au terme sado-maso), le personnage masculin, à partir d'un traumatisme de l'enfance, explique pourquoi il ne peut plus vivre ses amours qu'au travers de cette pratique. La soumission, comme effacement de soi, la soumission, pour ne pas avoir à choisir, à décider, la soumission, pour la félicité de n'être jamais plus en conflit...

Le sujet est doublement d'actualité. Rappelez-vous le dernier roman, polémique, de Houellebecq. Il s'appelle Soumission. Il imagine une France dominée par les Islamistes (d'où le scandale...), puisque la racine du mot islam veut dire "soumis à Dieu". Et le héros se soumet... par peur des représailles, et puis parce que la vie devient facile quand on n'a plus rien à décider. Il y a là quelque chose de très dérangeant, mais aussi de très intéressant.

Moi j'aime ça, quand un film ou un livre me donnent à réfléchir sur une idée, une question.

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Et puis je terminerai sur l'humour et l'espièglerie du personnage de Vanda... qui sous ses allures hyper sexuelles (la comédienne), hyper farouche (le rôle), puis dominante (le rôle... qui rejoint bientôt la réalité), laisse le metteur en scène exsangue, vaincu, ridiculisé, et révèle peu à peu une immense farce féministe... J'ai ADORE !!!

A noter que Polanski offre à sa femme le rôle exactement opposé à celui de Lunes de fiel, où elle jouait une jeune femme asservie aux ordres de son compagnon...

Les critiques sont proches de l'extase (moi aussi) tant pour la mise en scène que pour les acteurs. Inutile de vous répéter tous les compliments. Juste quelques adjectifs qui reviennent : étourdissant, cynique, vertigineux, dérangeant, malicieux, jubilatoire, acide, intelligent, brillant...

Y en a qu'un qu'a pas tout compris apparemment : "Ce fourre-tout clinquant manque singulièrement de mystère." (Première). Dommage pour lui.

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Le film a été nommé 17 fois pour des récompenses, mais n'en a reçu que deux (dont le César du Meilleur Réalisateur), et le public n'a pas vraiment suivi : 260 000 spectateurs en France.

Comprends pas. Pour une fois, je suis d'accord avec la critique, et je ne pige pas pourquoi le film a été boudé. A cause du livre qui circulait en même temps ? Comme par hasard... Les confessions de la jeune fille que Polanski aurait violée à quatorze ans, dans les années 70, affaire pour laquelle il est toujours poursuivi par les Etats-Unis. Le bouquin tombait mal évidemment... Moi je m'en tiens aux déclarations d'Emmanuelle, lorsqu'il a été arrêté en Suisse : "Il est depuis vingt ans un merveilleux mari et un père aimant... ne pourrait-on lui pardonner cette erreur ?" La jeune femme en question a elle-même avoué que la médiatisation de l'affaire lui avait fait plus de mal que "l'agression" proprement dite, agression que l'on remettra à sa place lorsqu'on sait que les parents avaient "arrangé" ce rendez-vous photo sexy entre leur lolita et le réalisateur... qui à l'époque peinait à se remettre de l'assassinat monstrueux de sa femme, enceinte, par une secte satanique. Je ne l'excuse pas, Roman. Je dis juste qu'on n'était pas là pour voir et que ce bonhomme, je l'adore.


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