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Interview de Manuel Lempereur, auteur de science-fiction autoédité

Publié le 01 mars 2015 par Thibaultdelavaud @t_delavaud

Manuel Lempereur est un auteur de science-fiction autoédité. Son livre Connexion, premier tome du Cycle des Dômes, a rencontré un grand succès et le deuxième tome, Australopolis, vient tout juste de paraître. Je suis très heureux de l’accueillir et qu’il ait accepté de répondre à mes questions.

Vos personnages principaux ont une particularité qu’on retrouve très peu en littérature : ce sont deux frères siamois. Pourquoi un tel choix ?

L’idée de ce livre m’est venue au cours d‘une conversation avec un ami d’enfance. Je venais de voir un reportage qui m’avait beaucoup marqué sur la vie des frères Ronnie et Donnie Galyon, deux frères siamois attachés par l’abdomen, nés en 1951. Ces deux Américains ont vécu en assumant et en exhibant leur handicap pour gagner leur vie. Cela peut paraître indécent de gagner sa vie de cette façon, mais cette démarche les a amenés à voyager et à apporter du relief à leur existence.

La vie pour eux comme pour beaucoup de personnes lourdement handicapées est loin d’être facile. Leur univers est forcément restreint pour des questions de mobilité mais aussi du fait de leur difficulté à construire une vie sociale et amoureuse épanouissante. Heureusement, certains y parviennent, mais la vie pour eux est un combat de chaque instant qui nécessite beaucoup de courage et de ténacité.

J’ai donc voulu mettre en ligne de fond, le combat de Jacques et de Charlie (Les héros du Cycle des dômes) pour surmonter leur handicap et parvenir à dépasser leur dépendance vis-à-vis des autres. C’est pourquoi le début du roman paraît en décalage par rapport au reste du livre. Je voulais présenter le quotidien des jumeaux dans tout ce qu’il peut avoir de plus banal  tout en prenant le temps de poser les personnages, leur personnalité et les relations que ces deux frères, unis par des liens indéfectibles, entretiennent entre eux.

Tout comme les frères Galyon, Jacques et Charlie passent le plus clair de leur temps à se taquiner et à se chamailler. Ils ont un côté enfantin lié précisément à leur handicap et à la dépendance qu’il implique. Cela donne un côté un peu décalé aux dialogues que certains lecteurs ont relevé dans leurs commentaires. Mais les choses n’en restent pas là et la vie va leur donner une occasion extraordinaire de prendre leur envol et de jouer leur propre partition. L’histoire ira bien au-delà d’une simple aventure humaine et de tout ce à quoi le lecteur pourrait s’attendre. C’est en quelque-sorte un parcours initiatique, une histoire dans l’histoire autour de laquelle j’ai construit un univers purement SF prévu pour se dérouler tout au long d’une grande saga en plusieurs tomes.

Couverture Connexion

Comment avez-vous découvert l’autoédition ?

Connexion est mon premier roman véritablement abouti. Jusqu’ici je n’avais écrit que des bribes d’histoire sans jamais les terminer mais cette fois, j’étais suffisamment passionné par mes personnages pour la mener à terme. Je ne connaissais absolument rien à l’édition et encore moins à l’auto-édition mais une chose était sûre : je supportais très mal l’idée de devoir attendre qu’un éditeur me donne sa bénédiction. Je n’ai jamais vraiment aimé ce genre de rapport avec les gens et plus généralement avec les instances décisionnaires. J’ai toujours eu tendance à ne compter que sur moi-même pour prendre mes décisions.

En effectuant des recherches sur le net, je suis tombé sur votre blog et de fil en aiguille, j’ai découvert un monde de l’auto-édition en pleine effervescence. J’en profite d’ailleurs pour remercier tous ceux, dont vous faites partie, qui prennent le temps de partager leur expérience en la matière. C’est sans conteste ce qui m’a aidé à franchir le pas et à me lancer dans cette aventure que je ne regrette pas. L’ami avec lequel j’avais imaginé les premiers éléments du scénario, a lui-même écrit un ouvrage sur demande d’une maison d’édition, mais 5 ans après, il ne peut toujours pas reprendre ses droits et les ventes n’ont pas été mirobolantes malgré les qualités indéniables de son livre.

Bref, je n’ai jamais présenté aucun de mes romans à un éditeur. J’ai choisi de tenter l’aventure de l’auto-édition, tout en étant conscient des difficultés et des limites de ce système. Financièrement, les résultats sont bien entendus faibles, mais dès le début je me suis fixé pour seul objectif de faire connaître mes écrits et des les soumettre directement à l’avis des lecteurs.

Comment avez-vous fait la publicité de votre livre ?

Mis à part l’ouverture d’un compte sur Facebook, je n’ai fait aucune publicité. Je n’ai pas non plus de blog car je travaille à plein temps et la vie de famille m’oblige à choisir mes priorités. J’ai donc privilégié l’écriture à la publicité et à la communication. Je me suis en revanche appuyé sur les promotions proposées par Amazon pour lancer mon livre. J’ai pratiqué en tout, 2 périodes de promotion gratuite sur le premier tome, l’une pour lancer le livre et l’autre pour dynamiser les ventes du tome 2. Ces promotions ne sont pas très efficaces, mais elles aident à intégrer les algorithmes d’Amazon. Surtout, au début, j’ai proposé mon livre à tout petit prix (99cts), ce qui m’a beaucoup aidé à démarrer. À l’époque les lecteurs recherchaient beaucoup ce prix, mais j’ai l’impression que la donne a changé aujourd’hui, notamment avec l’avènement de l’offre Kindle-Unlimited. Je suis parfois étonné de voir des ouvrages auto-édités vendus à plus de 6 euros, rester en bonne place sur Amazon, qui plus est avec peu, voir très peu de commentaires. Je suppose qu’il doit y avoir une logique de rentabilisation des abonnements de la part des lecteurs KU. Bien sûr, je ne parle là que d’Amazon car pour l’instant, je ne propose mes livres que sur cette plate-forme.

On sent clairement un intérêt grandissant pour les nouveaux auteurs et pour l’auto-édition en général et il faut bien reconnaître qu’Amazon a su leur offrir des outils simples et innovants. L’énorme succès de Jacques Vandroux en est un exemple criant qui agit comme une locomotive et contribue grandement à changer les préjugés encore bien ancrés au sujet de l’auto-édition. Pour beaucoup de jeunes auteurs, l’auto-édition n’est déjà plus un choix par défaut et certains rencontrent un succès qu’ils n’auraient sans doute pas eu en signant avec une maison d’édition. Malgré tout, Il est de plus en plus difficile de garder une bonne visibilité surtout dans un genre comme la science-fiction qui ne concerne généralement qu’un public assez restreint comparé aux romans policiers et à la littérature sentimentale qui drainent la très grande majorité du lectorat. Certains auteurs préconisent d’écrire beaucoup pour se faire connaître rapidement du grand public, mais pour ma part, je préfère écrire moins pour prendre le temps de soigner au mieux le style et les personnages. Cela ne veut pas dire que le résultat est parfait et d’ailleurs, il n’existe pas de perfection en la matière.

Pour conclure sur ce sujet de la promotion de mes livres, j’ajouterai que j’ai tenté récemment de faire quelques jours de publicité payante sur Facebook suite à la lecture d’un article publié par Chris Simon qui relatait l’expérience d’un auteur ayant eu recours à ce système. Pour ma part, cela n’a donné aucun résultat tangible malgré près de 150 clics sur la page du livre en  trois jours à peine. L’avantage est que ce n’est vraiment pas cher et surtout, pas chronophage contrairement à d’autres approches, mais est-ce vraiment efficace ? Pour que les gens téléchargent votre livre, encore faut-il qu’ils aient l’habitude de le faire, qui plus est sur la même plateforme. Une expérience très brève donc et apparemment peu efficace. Une campagne plus longue finirait peut-être par augmenter le lectorat, mais je n’ai pas insisté.

Connexion possède un univers propre et détaillé. Quelles ont été vos sources d’inspiration ? Comment avez-vous travaillé pour donner vie à cet univers ?

Mes sources d’inspiration sont multiples, aussi bien littéraires que cinématographiques sans parler des expériences vécues, bien évidemment.

Isaac Asimov est sans doute l’auteur qui m’a le plus transporté. Avant de m’attaquer aux 5 tomes du cycle de Fondation que j’ai dévoré en très peu de temps, j’étais un lecteur zappeur. Sur 10 livres entamés, je n’en lisais souvent qu’un jusqu’au bout. Pour terminer un livre j’ai besoin d’être captivé par l’histoire, avant tout l’histoire. Il faut également que j’y apprenne des choses, que j’aie l’impression de découvrir un univers. Asimov y parvient à merveille et son œuvre est d’une richesse et d’une intelligence peu commune, surtout quand on considère l’époque à laquelle le cycle de Fondation a été écrit. Son écriture est simple et certains personnages sont parfois un peu naïfs, mais cela fonctionne à la perfection.

Alain Damasio est également une formidable source d’inspiration. Son écriture est puissante et poétique. Il est l’un des rares auteurs de SF qui sait combiner avec virtuosité le visuel, le sensoriel et l’émotionnel. Pour autant, malgré l’intelligence et l’engagement politique de ses textes, je n’ai pas trouvé dans ses écrits la même inventivité que chez Asimov.

Dans un genre très différent Le parfum de Patrick Süskind, que j’ai lu adolescent, m’a profondément marqué. Pour moi, la lecture (œuvres de fiction) doit être une expérience à part entière. Elle doit mettre en branle les sens autant que l’intellect, un peu comme lorsque vous rêvez.

Pour donner vie à mon univers, j’ai donc laissé libre cours à mon imagination et à mes émotions, m’efforçant de visualiser au maximum les scènes que je voulais décrire. Certains lecteurs m’ont reproché un manque de descriptions, d’autre l’inverse, mais d’une manière générale, je me contente de décrire uniquement ce qui apporte quelque-chose à l’histoire pour ne pas casser le rythme inutilement, d’autant que dans le Tome 1 j’ai déjà longuement insisté sur la psychologie des personnages. On ne peut pas plaire à tout le monde et certains ont pu trouver que le livre manquait un peu d’action, mais à mon sens, l’action ne prend toute sa force que lorsqu’elle est la résultante d’un cheminement. Le tome 1 devait poser les bases du Cycle et définir la personnalité et les motivations des différents protagonistes.

Couverture Australopolis

Qu’est-ce qui a été le plus difficile ? La phase d’écriture ? Inventer une intrigue  et un univers cohérent ?

Pour le premier tome du Cycle des dômes, Je n’ai pas du tout construit d’intrigue. Je me suis totalement laissé porter par l’écriture. D’une manière générale, je n’aime pas suivre des modèles ou établir à l’avance des schémas qu’il me faudra respecter à la lettre. Je sais que cela se pratique beaucoup et qu’il existe même des modèles passe partout mais c’est précisément tout ce que je déteste, autant dans la littérature que dans le cinéma. Ce genre de procédé fait qu’aujourd’hui trop de livres et surtout, trop de films se ressemblent. L’art devient un produit de consommation de masse et actuellement, beaucoup de livres sont écrits dans un style presque télégraphique, avec des histoires sinon convenues, tout du moins attendues. Il faut écrire vite, tirer sur tous les ressorts que l’on sait efficaces. Je n’ai pas la prétention de faire beaucoup mieux, mais jamais aucun lecteur ne m’a reproché d’avoir deviné trop tôt ce qui allait se passer dans la suite de mon récit.

Lorsque j’écris, j’ai besoin de ressentir une certaine émulation et surtout de vivre pleinement les émotions et les sensations que je cherche à transmettre au lecteur. À mon sens, pour parvenir à ce résultat, il ne faut pas s’imposer trop de contraintes préalables. C’est pour cela que j’évite de construire trop l’intrigue et le scénario à l’avance. L’écriture doit rester un plaisir ce qui est loin d’être évident au quotidien.

Pour écrire, je m’isole une à trois heures par jour, dans un lieu calme, si possible, toujours le même. Je ne m’impose pas un nombre de mots car c’est très variable. En revanche, j’essaie d’écrire quotidiennement. Certains jours, il m’est arrivé d’écrire plus de 12 heures d’affilée, mais généralement au bout de 4 heures l’inspiration commence à s’essouffler et il vaut mieux passer à autre-chose si l’on veut éviter de tomber dans le piège de l’écriture automatique (une écriture moins inventive qui se repose sur ses acquis).

La question de la cohérence de l’intrigue et de l’ensemble du récit, qu’il s’agisse des personnages ou de l’univers dans lequel ils évoluent se pose constamment. Avant chaque nouveau chapitre, je refais un point rapide sur tous les chapitres précédents et surtout je prends 15 à 30 minutes sans écrire, pour me replonger visuellement dans l’ambiance du chapitre à venir. C’est une sorte de rêve éveillé qui se poursuit ensuite dans l’écriture en elle-même. Après, vient la phase de relecture et de réécriture, une fois le livre terminé. Pour Connexion, elle a duré plus de 3 mois, presque 4. C’est à ce moment-là que je traque les incohérences et que je vérifie toute la structure du scénario. C’est une phase nettement moins agréable mais indispensable. C’est aussi l’occasion de réécrire un très grand nombre de phrases que je juge mal écrites ou insuffisamment travaillées. À ce moment-là, ma femme qui est aussi ma première lectrice m’aide beaucoup. Elle traque impitoyablement les passages qu’elle juge inutiles ou mal écrits. Il me semble que c’est lors de cette phase de réécriture, que l’on progresse le plus au niveau technique.

Pour le tome 2 Australopolis, les choses ont été légèrement différentes car je devais tenir compte de tous les éléments développés dans le tome 1. J’ai donc été obligé de construire une partie du scénario avant de commencer à écrire. Je me sentais un peu moins libre même si j’ai changé beaucoup de choses en cours de route, ne respectant que très partiellement la trame de départ.

Quels sont vos auteurs de science-fiction préférés ?

Comme je l’ai dit tout à l’heure, Alain Damasio et Isaac Asimov comptent parmi mes écrivains préférés en SF.

Je suis moins sensible à un auteur comme Athur C.Clarke car son écriture, malgré une formidable inventivité et une connaissance scientifique inégalable, ne me transporte pas d’un point de vue émotionnel. Je n’aime pas non plus quand la complexité de l’histoire et la multiplication des personnages atteint un tel degré que la lecture devient une épreuve, là où elle devrait rester un plaisir

J’ai lu récemment l’une de vos nouvelles Dévotion Électrique et j’y ai pris beaucoup de plaisir. La nouvelle n’est pas un format que je lis beaucoup mais celle-ci m’a rappelé l’Univers d’Asimov et son cycle des robots. Après la lecture d’une nouvelle, je ne peux généralement pas m’empêcher d’imaginer des suites ou des variantes possibles. L’idée qu’une histoire se termine m’a toujours posé problème, surtout lorsque je suis très attaché aux personnages. C’est sans doute pour cela que je me sens plus à l’aise avec les formats long voir très long, et encore, une fois terminé le cycle de Fondation, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir un pincement au cœur à l’idée qu’il n’y aurait jamais de suite.

Quel regard portez-vous sur la science-fiction contemporaine ?

Je n’aurais pas la prétention de m’exprimer longuement à ce sujet, mais comme je l’ai déjà évoqué, pour moi, la SF devrait veiller à garder une portée philosophique et si possible visionnaire. Elle doit tenter d’imaginer ce que pourrait-êtes demain pour nous aider à faire les bons choix au bon moment. Nous sommes à un tournant de notre histoire à tous points de vue y compris technologiques. Les questions de l’eugénisme, du transhumanisme, de la destruction des ressources, de la gestion politique d’une population mondiale toujours plus nombreuse et beaucoup d’autres encore sont des sujets brûlants. Dans ce domaine, il me semble que la littérature SF a un vrai rôle à jouer. Si elle veut retrouver un peu de sa superbe, il ne faudrait pas qu’elle se contente d’avoir pour ambition de divertir.

Un dernier mot pour la fin ?

Je suis très heureux que vous m’ayez donné l’occasion de m’exprimer sur votre blog et je remercie tous ceux qui, comme vous, font beaucoup pour les auteurs et futurs auteurs indépendants.


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