Magazine Cinéma

[critique] the Voices : la voix de son maître

Par Vance @Great_Wenceslas
[critique] the Voices : la voix de son maître

Etrange mélange de genres que cette comédie horrifique, pas si comique et pas si horrifique que cela mais pourtant très réussie. Avec The Voices, la réalisatrice Marjane Satrapi n'en finit plus de nous surprendre : on a rarement pu ressentir autant d'émotions « contradictoires » que devant ce film jouant sur de multiples niveaux d'interprétation et sur les ruptures de ton. Jubilatoire.

Présenté comme une pure comédie à tendance horrifique dans laquelle un mec un peu simplet fait la conversation avec ses animaux de compagnie, dont l'un - le chat - lui dicte de tuer des gens tandis que l'autre - le chien - tente de lui faire entendre raison, The Voices se présente comme un nouvel OFNI au fun immédiat mais probablement un peu « régressif ». Pourtant, le film de Marjane Satrapi (la réalisatrice de Persepolis), est bien plus que cela. Il vaut bien plus que ce que laisse entendre sa promo (très efficace et réussie), le faisant passer pour un petit divertissement de « plaisir coupable ». Car justement, c'est un film de Marjane Satrapi. Et qu'il est bien plus subtil qu'il n'y paraît.

[critique] the Voices : la voix de son maître

Pour tout dire, on ne s'attendait pas à être autant déstabilisé. Car The Voices, même s'il est évidemment très drôle et amusant, est avant tout un film d'une profonde tristesse dans lequel le côté pathétique du personnage principal prend l'ascendant sur son aspect de prime abord comique. On rit, mais on se rappelle tout le temps que l'on ne devrait pas. Car ce Jerry, « serial killer malgré lui » interprété par un Ryan Reynolds absolument parfait, est avant tout quelqu'un de malade, et pour lequel l'on éprouve instantanément de l'empathie. Un tour de force de la part de la réalisatrice, puisque malgré les agissements inhumains de cet anti-héros, on a toujours envie de le comprendre, de l'aider à aller mieux, en espérant jusqu'à la dernière seconde du métrage une possible « rédemption ». On s'esclaffe devant son comportement de gamin « attardé », on s'horrifie de ses actes, on pleure face à sa détresse. Et la plupart du temps, tout cela à la fois. Bref, on compatit sans le juger. Ce n'est pas un spoiler que de vous confirmer que Jerry ne possède pas d'animaux réellement dotés de parole et que les fameuses voix qu'il entend sont les siennes lorsqu'il est dans son état « normal », autrement dit lorsqu'il ne prend pas ses cachets. En revanche, le film nous a surpris lorsqu'au cours d'une scène particulièrement glauque le personnage, à bout de nerf, décide de se soigner en prenant son traitement, sa vision « idyllique » du monde qui l'entoure (celle qui est montrée aux spectateurs depuis le début du récit pour être précis) s'effritant tout à coup pour laisser place à un endroit sordide appelé la « réalité ». Dès lors, marqué par ces visions cauchemardesques, et quand bien même le film continue par la suite d'opter pour le point de vue « idéal » de Jerry, l'on ne peut s'empêcher d'interpréter le moindre de ses dialogues, la moindre de ses actions, par le prisme de cette démence qui occulte toute notion de véracité. On s'en doutait, désormais on SAIT que ce que la réalisatrice choisit de représenter sur l'écran n'est qu'une déformation, une illusion, de l'esprit de son personnage principal. Ainsi, plutôt que de projeter aux spectateurs ce qui est censé être la « sombre » réalité, elle ne fait que la suggérer. On regarde le film en en imaginant un tout autre, beaucoup plus sinistre.

[critique] the Voices : la voix de son maître

The Voices stimule ainsi constamment ses spectateurs, en jouant sur ses multiples niveaux de lecture. Le résultat en devient de fait extrêmement dérangeant, car l'on a rarement pu ressentir autant d'émotions « contradictoires » que devant ce film aux ruptures de tons parfois choquantes ou simplement surprenantes, mais toujours cohérentes. Préférant le hors-champ aux démonstrations gratuites et plein cadre d'effets gores (pour une raison à la fois artistique mais également financière comme nous l'a souligné la principale intéressée à la suite de la projection), Marjane Satrapi ne réalise pas pour autant un film dénué de violence ou de tension, bien au contraire même. The Voices est indéniablement un film d'horreur, et il arrive à instaurer une sensation de malaise que nombre de productions plus bankables n'atteignent jamais.

[critique] the Voices : la voix de son maître

Toutefois il ne mise pas tout sur ce genre, tout comme il ne mise pas tout sur la comédie. Il arrive en revanche à garder un équilibre parfait sans tomber dans la facilité de ce qui aurait pu devenir une grosse pantalonnade sans intérêt. Il faut dire que The Voices bénéficie d'un scénario très bien écrit, à quelques exceptions près (comme le dernier acte un peu décevant compte tenu de ce qui a précédé), qui parvient à maintenir l'attrait des spectateurs pour des personnages a priori peu attirants (quand ils ne sont pas totalement détestables). Car outre Jerry, c'est surtout ce Monsieur Moustache, son chat psychopathe à l'accent écossais, qui symbolise toute la méchanceté et la folie du film. Chacune de ses apparitions est délectable, ses joutes verbales avec Bosco le chien le rendant encore plus ignoble, et donc irrésistible. Comme le dit si bien Marjane Satrapi elle-même, après tout, l'on peut trouver le chat méchant et le chien gentil, mais on peut aussi trouver le chat pertinent et le chien complètement niais (il débite poncifs sur poncifs tandis que Monsieur Moustache, lui, se révèle au minimum digne d'être écouté). Le contraste avec leurs attitudes dans la réalité est encore plus saisissant (pour ne pas dire vraiment triste quand on découvre comment ils vivent, même si Jerry n'est jamais négligeant avec eux).

Retour gagnant pour Ryan Reynolds, qui s'offre avec ce film un rôle en or aux multiples facettes (il double 4 autres personnages notamment). L'acteur n'a jamais été aussi bon que dans ce registre, à l'instar de Channing Tatum, pour qui la comédie a été une véritable révélation. A ses côtés, Gemma Arterton (Byzantium) et Anna Kendrick (The Hit Girls) ne déméritent pas, bien au contraire. Côté mise en scène, en dépit d'un film peut-être un poil trop long, c'est du tout bon : cadres idéaux, photo superbe, on sent clairement que la réalisatrice ne s'est pas imposée de limites malgré le faible budget qui lui a été alloué (9 millions de dollars). On pense très souvent à Tim Burton d'ailleurs, dans le portrait caustique des autochtones de cette petite bourgade des Etats-Unis dont le quotidien va être bouleversé par un personnage en marge.

[critique] the Voices : la voix de son maître

Pour résumer, avec son concept original, sa réalisation inventive, ses acteurs hallucinants et la subtilité de son scénario, The Voices a tout pour devenir un film culte. Une vraie belle surprise, jubilatoire. On vous le conseille !

[critique] the Voices : la voix de son maître

Titre original

The Voices

Mise en scène 

Marjane Satrapi

Date de sortie

11/03/15 avec Le Pacte

Scénario 

Michael R. Perry

Distribution 

Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick & Jacki Weaver

Photographie

Maxime Alexandre

Musique

Olivier Bernet

Support & durée

35 mm en 2.35 : 1 / 109 minutes

Synopsis : Jerry vit à Milton, petite ville américaine bien tranquille où il travaille dans une usine de baignoires. Célibataire, il n’est pas solitaire pour autant dans la mesure où il s’entend très bien avec son chat, M. Moustache, et son chien, Bosco. Jerry voit régulièrement sa psy, aussi charmante que compréhensive, à qui il révèle un jour qu’il apprécie de plus en plus Fiona - la délicieuse Anglaise qui travaille à la comptabilité de l’usine. Bref, tout se passe bien dans sa vie plutôt ordinaire - du moins tant qu’il n’oublie pas de prendre ses médicaments...


Retour à La Une de Logo Paperblog