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La conscience au présent existe t-elle ?

Publié le 12 mars 2015 par Anargala
La conscience au présent existe t-elle ?

On entend souvent ceci : "Revenez à l'instant présent, sans passé ni futur", "savourez la conscience de l'instant présent, sans mémoire" ou "découvrez la perception pure, libre de tout concept".Intéressons-nous ici à la première proposition. Elle présuppose qu'il existe plusieurs modes de la conscience : - celui qui est sans cesse tourné vers l'avenir et le passé. Il nous tiraille, provoque souffrance, nostalgie, regret, craintes et espoirs. Elle nous empêche de vivre le présent. Elle est imaginaire, construite, elle projette et vient se plaquer sur le réel comme une film sur un écran de cinéma.- celui qui reste purement présent,comme dans un éternel instant de présence pure, toute entière disponible au présent, à ce qui est, sans déformations.Le but de la vie intérieure serait alors de limiter le premier mode pour cultiver le second. Ce dernier est présenté comme l'idéal, tandis que le premier serait la source de tous les maux.Mais une conscience du présent seulement est-elle possible ? Existe t-elle ?Dans le texte suivant, Bergson prétend que non, car"...conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur ; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d'arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l'inconscience ? Quand Leibniz disait de la matière que c'est " un esprit instantané ", ne la déclarait-il pas, bon gré, mal gré, insensible ? Toute conscience est donc mémoire − conservation et accumulation du passé dans le présent.      Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L'attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L'avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir.      Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu ; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir."Si vous doutez encore de la thèse de Bergson, faites cette expérience : prenez une phrase - "Les carottes sont cuites". Vous dites que vous l'entendez "dans le présent", purement, sans jugement, sans référence au passé. Sans mémoire ni anticipation. Mais c'est impossible. Car dans ce cas, vous ne pouvez comprendre cette phrase. Car alors, quand vous entendez "cuite", "carotte" a disparu, de sorte que vous n'entendez plus la phrase, mais seulement un mot. On dira alors que la conscience du présent pure est celle qui dure le temps d'un mot. Mais même cela est impossible. Car vous ne comprendriez pas même le mot "carotte", car quand vous entendriez "rotte", "ca" aurait disparu complètement. On dira alors que la pure conscience au présent dure le temps d'une syllabe. Mais, quelle que soit la duré retenue, elle n'est un élément de sens que si elle synthétique un élément "présent" avec un élément déjà "passé". Donc, toute conscience est mémoire, et une conscience purement présente est impossible. Ou alors si, mais, comme le montre Bergson, plus cette conscience se recentre sur le présent, plus elle se rapproche de l'inconscience. Une conscience au présent, vraiment présente, c'est une conscience inconsciente, un genre de coma.Au contraire, plus nous unifions en nous du passé avec du présent et/ou de l'avenir, plus notre conscience est intense.Pour la musique, c'est comme pour le langage, car la musique est une sorte de langage. Ecouter en restant purement dans le présent, ce serait être sourd, insensible :Le tantra non-duel, la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), disent exactement la même chose. La mémoire est ainsi la clef de la réalisation du Soi intemporel.Notre Soi, notre vraie nature, la Source, n'est donc pas un substrat inerte sur lequel viendraient se projeter des images venues d'on ne sait où. Notre Soi est l'acte de conscience synthétique, l'acte d'unification du multiple. 

Mais alors, faut-il oublier cette idéal de vie "dans le présent" ? Non. Seulement, il faut le comprendre à nouveaux frais. A la lumière de cette réflexion, la conscient au présent ne désigne plus une conscience qui porterait sur ce qui est en train de se passer (du genre "je ressens mon mal de dent sans commenter, donc je médite"), mais une conscience qui se reconnaît comme acte d'unification du divers donné dans la perception et les souvenirs. Le véritable "présent" est tout simplement la conscience, synthèse vivante qui relie le passé au présent. Nous pouvons la reconnaître à l'occasion de chaque souvenir, donc à travers chaque expérience, puisque chaque expérience est un lien entre passé et présent. En d'autres termes, ce n'est pas la conscience du présent qui sauve, mais bien la conscience du passé. C'est elle, uniquement elle, qui pointe directement vers la nature intemporelle de la conscience, notre Soi, Source de tout et de tous.Bonne soleil à tous !

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