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Fin des quotas laitiers Beurre d'Echiré, fromage de Comté, les Aop défient les géants

Par Blanchemanche
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 27/03/2015 |  AfpÉchiré (France), 27 mars 2015 (AFP) - Il est 11h passées, Francis Gilbert entame sa deuxième tournée au volant de son 38 tonnes. Il a quatre heures pour charger et livrer plus de 20.000 litres de lait, aussitôt transformés en crème, puis en beurre que s'arracheront les plus belles tables du monde.Fin des quotas laitiers Beurre d'Echiré, fromage de Comté, les Aop défient les géantsSans le beurre d'Echiré, un produit Aop - appellation d'origine protégée - qui fait la fierté des éleveurs, à très forte valeur ajoutée, le lait ne tiendrait pas la route dans cette région du Poitou-Charentes, au centre-ouest du pays, qui n'aura jamais les moyens de rivaliser en prairies avec la Bretagne plus à l'ouest et encore moins avec les géants irlandais ou allemands.Le 1er avril, l'Union européenne tournera la page de plus de 30 ans de réglementation de la production laitière, une libéralisation qui risque de signer l'arrêt de mort de bien des élevages français, pas assez compétitifs pour rivaliser avec les ambitions des voisins européens. Le nombre d'éleveurs en France a déjà fondu de près de 60 % entre 1993 et 2013, passant d'environ 162.000 producteurs à 67.000, selon les statistiques de la filière. Mais ici, ce qui compte n'est pas de produire plus. Plutôt de garder la qualité du produit fini.Au pays des 1.000 fromages, les éleveurs de la Coopérative laitière de la Sèvre misent sur les produits du terroir pour résister. « Ce n'est pas le développement des volumes qui nous intéresse mais de mieux les valoriser », insiste le président de la coopérative Patrick Roulleau. Par exemple, 500 tonnes de beurre passent en cubes pâtissiers et « on aimerait les transformer en plaquette Echiré, mais ça veut dire deux millions de plaquettes à vendre en plus, c'est énorme ». Fabriqué sur la place de l'Église à Echiré depuis 120 ans, son beurre a trouvé sa place aussi bien à l'Elysée, siège de la présidence française, qu'au Japon.« Ici on n'est pas producteur de lait, on est producteur de comté ». A l'autre bout du pays, le long de la frontière suisse dans l'Est, les éleveurs ne redoutent pas davantage la fin des quotas grâce à leur fromage, prisé jusqu'aux Etats-Unis, ancré dans le terroir et protégé par la plus vieille Aop fromagère de France (1956).

UN HECTARE D'HERBE PAR VACHE

A la tombée du jour sur les hauteurs du village de Loray, dans le Doubs (est), Richard Myotte s'apprête à traire ses 24 Montbéliardes, des vaches à la robe fauve et blanche. Le jeune éleveur attire sa trayeuse et s'accroupit au flanc de chacune, qu'il peut nommer. L'opération recommence deux fois par jour : pas de robot de traite, c'est interdit par le cahier des charges. Tout à l'ancienne - sauf le contrôle qualité, impitoyable. Ici, plus que la réglementation européenne, c'est l'Aop qui l'oblige : il lui faut un hectare d'herbe par vache. Avec ses 35 ha de fourrage et 20 de pâture, il ne pourra, s'il le veut, augmenter son troupeau que de quelques têtes. Pas plus, sous peine de sortir de l'appellation. Une des conditions pour figurer dans l'Appellation qui prévoit, par raccourci, 20 kilos d'herbe pour faire 2 kilos de fromage.Il fait encore nuit le lendemain quand Cyriaque Abram, le maître-fromager de Loray, entame sa tournée du lait cru dans onze élevages comme celui de Richard, aussitôt transformé dans la fruitière du village - du latin fructus, pour désigner la coopérative et le travail en commun. « Je collecte le lait dans un rayon de 25 km maximum », précise Cyriaque au-dessus des cuves en cuivre. 8.100 litres ce matin, qui donneront en moins de trois heures une vingtaine de meules, aptes à vieillir jusqu'à quatre ans. « Ici on n'est pas producteur de lait, on est producteur de Comté », reprend Jean-Marie Pobelle, ancien président de la fruitière, maire de Loray jusqu'en 2014. « Ici, on ne s'engueule pas, on serre les coudes. On n'a qu'un seul produit et on ne diversifie pas ». Jaloux de cette production inscrite dans le patrimoine régional, ce septuagénaire taillé comme un roc fut de ceux qui œuvrèrent sans relâche à durcir le cahier des charges du Comté pour le rendre toujours plus contraignant, afin de « renforcer la qualité » et d'« éviter l'industrialisation » du produit.« On peut dire que les anciens ont eu du nez », relève son fils, Damien, qui a repris avec son frère l'élevage familial et préside le Groupement coopératif de vente de fromages. « Notre chance, c'est de compter une fruitière par village depuis le 16e siècle ! ». On compte encore 165 coopératives, appelées « fruitières », en Franche-Comté et 2.600 producteurs de lait sur le territoire de l'Aop. « La fin des quotas, on l'a déjà anticipée. En 1983 on a fait comme une photo de chaque exploitation et arrêté les droits à produire » : 3,5 millions de litres en moyenne par fruitière. « On n'encourage pas à faire du volume car on est conscient de ce qu'on peut vendre - et bien vendre », souligne Damien Pobelle. Les bonnes années, on arrive à 65.000 tonnes de fromage.

PAS DE FERMES-USINES

Au prix de cet effort, le lait du Comté est payé 500 euros les 1.000 litres à l'éleveur, contre une moyenne nationale de 350 à 380 euros. « A 30 km de nous, les producteurs de lait générique ne touchent pas la même chose ». Avec la fin des quotas, il le sent, « certains vont vouloir faire plus. Mais on va fixer un plafond, qui reste à déterminer. Et celui qui le dépassera sortira de l'Aoc ».« Si on déroge au cahier des charges, on est mort », confirme Véronique Rivoire, héritière et patronne de la maison Rivoire & Jaquemin, affineurs de Comté à Montmorot depuis 1860. Dans sa cathédrale de pierres, 120.000 meules dont celles de Loray patientent sur des claies d'épicéa, régulièrement retournées et brossées, jusqu'à perdre 10 % de leur poids et gagner ce goût fruité. Mme Rivoire « écoute » ses meules pour en vérifier la maturation. « Entre la coopérative et nous, on a moins de deux heures de route. Tous les savoir-faire et les procédés de fabrication sont consignés. Il n'y aura jamais de fermes-usines par ici », parie-t-elle. Ni de comté au lait allemand ou hollandais.Le Beurre d'Echiré
Le beurre n'est pas l'apanage des Normands. A Echiré, dans les Deux-Sèvres, une coopérative fabrique à la main et dans des barattes en bois, un beurre de luxe, qui se vend 15 dollars au Japon.
La fabrique est restée sur la place de l'Église, avec sa vieille cheminée de briques très révolution industrielle. La laiterie existe en effet depuis 1894. 120 ans plus tard, la coopérative laitière de la Sèvre a su garder son âme avec son produit phare : le beurre d'Echiré, un des rares à détenir une Appellation d'origine contrôlée (Aop) comme celui d'Isigny. Le lait, garanti sans Ogm - c'est-à-dire que les vaches n'ont pas été nourries au soja Ogm importé - est collecté chez 72 éleveurs du coin. La crème est séparée du lait et arrive par tuyaux dans une cuve verticale où elle mature pendant 18 heures avec des ferments lactiques, distillant une odeur enfantine de lait vanillé. La crème épaissie est ensuite disposée dans deux barattes en bois de 900 kilos. Battue à 24 tours par minute, on a de la chantilly, puis de petits grains de beurre. Le rythme ralentit ensuite, 12 tours/minute, pour malaxer et obtenir une masse de beurre lisse et homogène, le tout en 2h30/3h. 
La coopérative jure qu'elle est une des dernières laiteries en France à utiliser des barattes en bois et que c'est ce long processus de fabrication qui donne au beurre son caractère tendre et son petit goût de noisette. « Chez les industriels, la crème va tourner à plus de 2.000 tours/minute. La chantilly va monter en 10 secondes quand nous il nous faut une heure. Résultat : ils produisent 20 tonnes à l'heure, nous, 6 tonnes sur 4 jours », explique Cyril Berger, responsable de la beurrerie. Une fois malaxé, le beurre est mis sur un chariot, découpé à la main et envoyé dans la machine à tablettes. En fin de chaîne, un ouvrier vérifie les plis et les aligne dans des boîtes. 
Ce beurre s'invitera ensuite sur les plus grandes tables du monde. « Il est à l'Élysée nous a dit Ségolène » (Royal, ancienne présidente de la région Poitou-Charentes), glisse amusé le président de la coopérative, Patrick Roulleau. L'Assemblée nationale ou la Reine d'Angleterre en seraient aussi friands. Et il est vendu jusqu'au Japon où l'entreprise dispose de deux boutiques, une à Tokyo, l'autre à Osaka. La poignée de madeleines au beurre se monnaye 15 dollars, comme une simple plaquette. Des cars japonais s'arrêtent même sur la place de l'Église à Echiré pour immortaliser la célèbre petite fabrique française...
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