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Une robe de la couleur du temps

Publié le 30 mars 2015 par Pralinerie @Pralinerie

Après la lecture psychanalytique des contes de fées, la lecture sociologique, vient la lecture spirituelle. Vous connaissez mon goût pour les contes, leurs réécritures, leurs interprétations, toujours plus riches et variés. Eh bien, ce petit ouvrage de Jacqueline Kelen vient compléter mon regard sur ces histoires. Elle part du présupposé que leur symbolique, multiple, pourrait notamment être une projection de la vie de l'âme. Donnant grandeur et magie à la vie humaine, et notamment à la vie spirituelle, les conte rappellent " la présence d'un autre monde et la haute destinée à laquelle [celui qui les écoute] est promis, ils le convient à une grande aventure qui ne se termine pas sur terre, et lui révèlent sa part de lumière, un trésor qu'il devra défendre et faire fructifier malgré les embûches, les mirages et les tentations [...] ils déploient le paysage d'une vie féerique, non point chimérique ; une vie qui, n'étant ni restreinte ni asservie au monde matériel et temporel, n'est autre que la vie spirituelle ". Et c'est peu dire que ce n'est pas aisé quand on lit les aventures et les défis que remportent les héros des contes.

Attention, c'est très orienté vie de l'âme, vie terrestre et vie spi, vie après la mort, etc. Il est certain que le sujet ne va pas tenter tout le monde !

Et pourtant nous signale J. Kelen, c'est faire taire la plus belle part de notre être, notre âme. A se contenter de plaisirs temporels et matérialistes, nous nous coupons de ce qu'il y a de grand en nous, nous nous détachons de notre intérieur pour n'être plus que superficialité... Alors que l'âme se nourrit justement de voyages certainement plus grisants que votre dernier séjour aux Maldives. Le rôle des contes pour amorcer ce voyage n'est-il pas essentiel ? Et les contes, en apprenant et en faisant grandir, apparaissent comme des premières gouttes de sagesse pour nos vies. Si la critique induite de notre société est assez fatigante, elle n'a pas toujours inutile.

Reprenant en quelques paragraphes l'essence du conte qu'elle analyse, l'auteur nous en livre une interprétation spirituelle. C'est ainsi qu'elle procède pour les 17 chapitres suivants. Certains semblent un peu répétitifs, notamment dans l'idée de la chute et de l'ascension de l'âme mais je vous livre un petit condensé de tout cela (par contre, pour le conte, je vous laisse le soin d'aller lire ceux que vous ne connaissez pas).

L'analyse du conte, qui souligne sa temporalité (passage des saisons) comprise comme la traversée de la vie à la mort, est plutôt convaincante. Elle va bien au-delà de l'interprétation sociologique traditionnelle d'une quête d'identité.

Pour moi, c'est un des contes les plus tristes. Cette mort, ce froid, ce soir de fête interdit à la fillette, ces passants indifférents... Et pourtant, la lecture de J. Kelen en fait quelque chose de très beau. Cette petite marchande, invisible aux yeux des hommes, n'est-elle pas notre âme à laquelle personne ne veut prêter attention ? Et pourtant, n'est-elle pas la seule à survivre à notre passage ? Les petites allumettes sont toutes les possibilités qui viennent réchauffer l'âme, l'intelligence et le cœur pendant une vie limitée. " Pendant ce rapide passage sur terre, qu'est-ce qui me fait vivre ? A quels moments, en quel état me sens-je véritablement vivant ? D'où vient la joie véritable ? " Voilà qui peut donner à cogiter...

Il est ici question du pacte entre l'âme et le corps, le temps d'une vie...

Barbe-Bleu, conte effrayant s'il en est. Cette chambre secrète aux femmes assassinées. Cette clé maudite. Brr... Dans son analyse, J. Kelen identifie Barbe-Bleu au temps et à la mort. Qui peut lutter contre eux ? Et loin de condamner la curiosité de la jeune épouse, elle en fait le réveil salvateur de la jeune fille. De même que son recours à sa sœur aînée, vue comme la grâce qui accompagne la conscience vers le monde spirituel. " De quels biens a-t-on rempli cette existence si courte ? Inutile de se plaindre, de se dérober, de chercher des excuses. On avait toutes les clés en main : celles des plaisirs et des passions, celles du pouvoir, de la richesse, de l'ambition, et aussi la petite clé qui ouvre la porte de la conscience ".

Après l'inspiration et l'impulsion de départ, nos vaillants animaux s'arrêtent en chemin. Car l'intention ne suffit pas... N'est-ce pas aussi une mise en garde contre la sécurité et la collectivité qui peuvent entraver nos aspirations ?

Sous l'apparence inoffensive du combat initial contre les mouches, notre auteur voit un combat spirituel contre les forces du mal qui permet au tailleur de témoigner et de progresser dans ses quêtes. Et ce, toujours dans la joie !

Une quête spirituelle sous couvert de quête sentimentale.

A chacun de trouver, loin du confort familier, sa propre voie, celle où il pourra s'accomplir pleinement. Parmi les épreuves du chemin, il y a l'ogre. N'est-ce pas notre propre égoïsme ? notre peur ? Bref, ce qui nous arrête en route. Et si l'on triomphe des épreuves ? Notre rôle est ensuite d'accompagner et de transmettre ce que l'on a reçu.

Une robe de la couleur du temps

Sur le soin que l'on doit prendre de son âme pour qu'elle ne s'égare ni ne se fasse dévorer...

Pour moi, ce conte était essentiellement une mise en garde contre la manipulation, à laquelle seul un enfant pouvait échapper. C'est une histoire de pouvoir, celui des forts, des intelligents, du nombre, de la rumeur... de tout ce qui entrave le discernement. Mais après tout, qui a réellement envie de voir clair, de se confronter à la réalité ?

L'auteur y lit aussi autre chose. Et si les tailleurs étaient de bonne foi ? Et s'il aidaient le roi dans sa progression spirituelle, ornant son esprit de nouvelles qualités ? Et si finalement, la stupidité était celle des cœurs insensibles à l'invisible qu'est ce monde spirituel ? Et l'enfant serait alors celui qui n'est pas encore développé spirituellement, mais entièrement plongé dans l'empire matériel et sensoriel... A vous de trancher ou de garder l' ambiguïté.

Sur l'irremplaçable présence vivante, sur la singularité de l'âme dans un monde de machines interchangeables.

Rien ne le fait trembler, pas même la mort ! Il n'y a que l'amour qui clôt ses aventures, advenant comme une grâce, qui le bouscule.

Un peu déçue par l'interprétation de ce conte, qui est mon favori. Il s'agit encore du voyage de l'âme...

La métamorphose de de la jeune fille est là encore l' épanouissement de l'âme. Certains détails comme la citrouille, les souliers de verre, etc. permettent des liens avec la mythologie celtique voire l'alchimie. Je vous laisse le découvrir, c'est plus ou moins convaincant.

Blanche-Neige, c'est encore et toujours l'âme (oui, vous avez compris le principe !) et la marâtre, le monde sensoriel, trompeur. Et là, le chemin est d'une intransigeance absolue : tu te laisses avoir par ce monde, il te détruit.

Un récit initiatique de l'âme, qui soupire après la sagesse, qui progresse avec le temps, entre le temps limité de nos vies et le temps immuable de l'âme. Avec un joli passage, comme à plusieurs endroits du livre, sur la couture dans les contes de fées.

Loin de nos interprétations utilitaires et rationnelles des contes de fées, Jacqueline Kelen propose de plonger dans leur magie et dans leur sens divin. Elle y lit des récits initiatiques pour la progression spirituelle de l'âme humaine, bien loin de nos préoccupations quotidiennes. Par cet ouvrage, elle invite à s'interroger sur notre usage du temps et de notre intériorité. Que faisons-nous de nos existences ? Comment soignons-nous notre âme ? Sans jamais parler de vertu ou de religion en particulier, l'auteur puise à des sources diverses : sagesses anciennes, mythologie, paganisme, alchimie, astrologie, christianisme... Tout en récusant les uns et les autres selon les besoins. Tout est loin d'être convaincant à mes yeux mais je salue cette tentative de renouveler l'interprétation des contes. Suivant une progression spirituelle, les 18 chapitres sont autant de pierres à l'édification de cette théorie. Le mauvais, c'est bien souvent ce qui est du domaine du monde matériel ; le bien, du monde spirituel. C'est un peu le Platonisme appliqué aux contes. Vous allez me dire que le conte de fées est binaire par définition, qu'il n'y a pas de nuance. Et si c'est logique pour le conte, c'est tout de même un peu gênant pour l'interprétation, qui devient très manichéenne et tend à condamner en bloc. Si ces points peuvent être pénibles, l'ensemble n'est pas forcément à jeter.

On peut aussi poser la question du choix des contes : tous concordent à la démonstration spirituelle. Y-a-t-il des contre-exemples ?

NB : j'ai craqué sur le titre, ça m'a toujours fait rêver les robes de Peau-d'âne et le tableau choisi pour la couverture est superbe !


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