Magazine Politique

Le livre posthume de Bernard Maris : “Français, vous n’êtes pas coupables”

Publié le 23 avril 2015 par Blanchemanche

“Et si on aimait la France” sort ce mercredi chez Grasset. Dans ce court recueil, l’économiste chroniqueur de “Charlie Hebdo”, assassiné le 7 janvier, dresse le portrait de la France qu’il aime et dont il déplore qu’on la contemple de manière si pessimiste.
livre posthume Bernard Maris “Français, vous n’êtes coupables”
( J.-F. Paga/Grasset)Ils étaient au moins deux, au sein de la rédaction de Charlie Hebdo, à terminer un ouvrage quelques jours avant que la fusillade n’ait lieu. Tandis que Charb achevait sa Lettre aux escrocs de l’islamophobie, l’économiste Bernard Maris, chroniqueur pour l’hebdomadaire satirique et sur France Inter, peaufinait son livre : Et si on aimait la France. Le mardi 16 décembre, il présentait son projet chez Grasset. Le 2 janvier, il envoyait l’ensemble des pages à la maison d’édition. Cinq jours plus tard, l’oncle Bernard n’était plus. Le sort de l’économiste est d’autant plus poignant que son livre tenait à vanter les mérites de son pays, “sa démographie, son goût pour le chaos, son immigration” et visait à en apaiser les inquiétudes superflues. Le manuscrit sort aujourd’hui, “publié dans son état originel, inachevé mais nécessaire”, tel que le précise l’éditeur.Ainsi que l’écrit Bernard Maris dès les premières pages, son livre est là pour dire : “Non, Français, vous n’êtes pas coupables, vous ne devez rien ; le chômage, la catastrophe urbaine, le déclin de la langue, ce n’est pas vous ; le racisme, ce n’est pas vous, contrairement à ce qu’on veut vous faire croire. Vous n’êtes pas coupables.”Les 1 000 France de Bernard MarisBernard Maris s’adresse d’abord à ces Français “désespérés si drôles”,parmi lesquels il inclut son nouvel ami Michel Houellebecq (“Son dernier roman, Soumission, est un éloge de la France”). A lui et aux Français tristes qui ne voient de leur pays qu’une “version doloriste, celle de De Gaulle au début des Mémoires de guerre, ou la perçoivent comme “une douleur, un mal de dos”, l’économiste offre son propre regard sur la France, ouvert et connaisseur, empreint des connaissances historiques, géographiques et culturelles qu’il avait acquises en 68 ans.
“J’ai vu (un peu) le monde. J’ai négligé mon pays. Je l’ai négligé comme une évidence. Et j’ouvre les yeux sur ceux qui lui ravissent son âme, sa beauté. Le salaud (au sens de Sartre) qui construit dans la Somme la “ferme des mille vaches” ; les salauds qui la conchient de bretelles, de ronds-points, de supermarchés (…) ; ceux qui lui arrachent ses vêtements, l’éducation, la connaissance, la langue, la République, (…), la laïcité, l’intelligence, le rire.”
Bernard Maris dépeint donc plusieurs France dans ce recueil de 140 pages. Il y a, bien sûr, celle de sa ville de cœur (“Qui n’aime pas Marseille, n’aime pas la France ; qui ignore que la France est née à Marseille, existant, commerçant, s’enrichissant depuis six cent ans alors que l’île de la Cité était vide, ignore la France”) ; celle des femmes (qui “arbitrent les élégances du goût, des lettres et de la politique” : mesdames de Chevreuse, Roland, Tallien, Hélène des Portes) mais aussi la France de 1800, lorsque avec ses 29 millions d’habitants, elle était encore “le pays le plus peuplé au monde derrière la Chine et l’Inde”.Toujours fin, drôle, poli, l’économiste à qui il aura fallu une vie pour bien choisir ses deux grands défenseurs de la France – François Cavanna (fondateur de Charlie Hebdo“le meilleur conteur de l’histoire et de l’architecture de Paris”), et Mustapha, “algérien, correcteur de son métier(à Charlie Hebdo, entre autres – ndlr), immigré”, lui aussi décédé dans l’attentat du 7 janvier – livre un kaléidoscope de ses souvenirs, de son savoir et de son désir de voir naître une France patriote et réunifiée, encline au changement. Un détail et non des moindres : “Revenant de Rome, ville où je pourrais définitivement vivre, je me sens plein d’optimisme pour la France.”La politesse à la françaiseIconoclaste ou désenchanté ? Progressiste ou un peu nostalgique ? L’Oncle Bernard joue sur plusieurs tableaux, bien qu’il déplore ceux qui, aujourd’hui dans les salles de classe, sont responsables de la dégradation de la qualité du système éducatif. “Quel historien s’interrogera un jour sur le carnage que fut l’enseignement en France des années 70 à nos jours ?” regrette-t-il en voyant les bacheliers de 2014 traiter Victor Hugo d’“enfoiré” sur Twitter.
L’batard d’Victor Hugo il ferait mieux d’se les fumer ses brins d’herbes la. #bacfrancais— ✨ We love u Zayn ✨ (@Mathilda_Bncfr) 18 Juin 2014
De la vieille France qu’il a tant aimée, et toujours épaulée d’une kyrielle de références, Bernard Maris voudrait retrouver la galanterie. Une caractéristique française qui devrait progresser, sinon revenir :
“Chacun son camp : le duc de Nemours courtisant la princesse de Clèves, ou la pauvre Adèle de Pot-de-Bouille besognée sans façon par ses patrons. Et entre les deux les mille et une manières du commerce érotique, de Choderlos de Laclos à Henry Miller. Mais dans tous les cas, la galanterie est sublimation d’une pulsion. Ce qui n’est pas facile : les brames de cerf de Patrick Balkany lorsqu’il vit, à l’Assemblée, Cécile Duflot se présenter en jupe, en témoignent.”
Puis, plus loin :
“La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage.”
Un changement culturel radicalNéanmoins, au moment où il écrit ce livre, l’économiste toulousain ne saurait avoir plus d’espoir pour la France.
“Hormis quelques émotions criées et ravalées, les Français adoptent un changement culturel radical envers leur passé chrétien. Ils l’ont toujours fait : en 1969 avec la loi Neuwirth et en 1974 avec la loi Veil, deux lois de la droite, l’une de Pompidou et l’autre de Giscard, auxquels il faut rendre hommage. (…) Le peuple est tout à fait disposé au changement. Ceux qui brament à ‘l’impossibilité de réformer la France’ sont des incapables, des lâches ou bien les deux ensemble.”
Multiculturels et métissés, les Français sont bien trop unis dans leur diversité, selon Maris, pour devenir des “hommes homogènes” : “La France ne peut élaborer de stéréotype. (…) La France est une tension perpétuelle vers l’homme universel”. Pour y arriver, quoi de mieux que de cesser de piétiner la France périurbaine où lui-même a grandi :
“Une France périurbaine méprisée (…) dans les films, dans les romans, avec l’image d’Epinal du bougon en surpoids derrière sa clôture ornée d’un panneau “Chien méchant” (…) L’étalement, l’effrayante laideur du périurbain, le mariage de la voiture et du centre commercial, l’irruption d’Internet qui favorise encore plus l’isolement, l’absence de contact, sont en train de tuer tout ce qui pouvait faire unité, confiance, solidarité. Des hommes se croisent en voiture, rentrent chez eux, allument la télé, font des courses, vivent, meurent. Où est leur liberté ? Leur solidarité ?”
La gentrification des “friqués”Nouveaux oiseaux de mauvais augure, les bobos sont pour lui responsables d’un phénomène de gentrification nuisible à Paris comme aux villes qui l’entourent :
“ Les bobos sont de haute qualification, volontiers voyageurs, volontiers ‘couples mixtes’, écolos ; ils mangent bio et aiment les animaux ; ils participent de l’internationale bobo, qui habite les centres villes partout dans le monde (sauf à Marseille, encore populaire, mais pas pour longtemps). Ils ne sont pas racistes. Ils font de gros efforts pour que leur nounou mauricienne obtienne la nationalité française. Ils votent évidemment à gauche (la preuve, Paris). Ils sont tolérants et communautaristes (même s’ils ne répugnent pas au double digicode, comme l’explique Alain Finkelkraut : “les bobos typiques célèbrent le métissage et vivent dans des forteresses”). Ils sont la mondialisation heureuse. L’immigré est mondialisé par le bas, le bobo par le haut.”
Perdue entre ses traditions et la diversité qui la caractérise, de plus en plus bousculée par le multiculturalisme, la France confuse de 2015 a depuis longtemps oublié, selon l’auteur, l’axiome que les enfants des années 50 criaient en boucle à la récréation comme un cri de guerre, “On est en république ! ” Bernard Maris ignorait alors que le 11 janvier qui suivrait, le pays entier se rappellerait l’impact de ce dernier mot, sur une place éponyme à Paris.
http://www.lesinrocks.com/2015/04/22/actualite/le-livre-posthume-de-bernard-maris-pour-decrisper-les-francais-11743693/9782246852193-X_0Et si on aimait la France de Bernard Maris,  140 pages (Grasset).

Retour à La Une de Logo Paperblog