Magazine Bd & dessins

REVIEW : Naive – Altra

Publié le 29 avril 2015 par Vargasama

Naive-Altra

NAIVE

Altra

En France comme partout ailleurs, il est malheureusement de plus en plus difficile de trouver des artistes à part entière, capables d’autre chose qu’une assimilation plus ou moins laborieuse de différentes influences qui suintent à travers leurs créations. Fort heureusement, le génie et le talent ne sont pas morts, la course au rajout de cordes n’est pas une fin en soit et Naive, power trio de trip-hop metal toulousain, fait clairement partie intégrante de ce bastion de groupes qui mettent leurs tripes sur la table pour proposer quelque chose de vraiment personnel.

Sur le papier, la formule paraît pourtant déjà vue bien qu’alléchante pour qui est ouvert d’esprit: un mélange d’électro et de métal alternatif qui flirte avec le rock progressif. On pourra notamment citer Sidilarsen, combo qui a plus ou moins la même recette de départ pour un rendu tout autre, ou encore des choses plus abstraites comme Nine Inch Nails et consorts. Pourtant Naive n’a rien à voir avec ces deux derniers, ni avec quiconque d’ailleurs.

Né il y a 15 ans de la rencontre de Jouch (guitare / chant / programmation) et Mox (batterie / programmation), la formation prend le temps de créer son identité et d’asseoir les bases de son style jusqu’à trouver une stabilité et une complémentarité nécessaire avec l’arrivée de Rico (basse / choeurs) en 2007.
S’en suivent deux albums studios en auto-production : « The End » (2009 – accompagné d’un DVD live) et « Illuminatis » (2012, qui sera réédité en vinyle en 2014). Puis « Remixes », voit le jour fin 2014 comportant 10 titres réinterprétés par 10 artistes tels que Prohom, Undergang ou Da Sexuality.

Après des dates en France, une première tournée en Russie et une participation au Motocultor Festival au côté de groupes mythiques comme Behemoth, Testament ou Kreator, le trio se remet à l’oeuvre et entame la composition de ce qui sera son troisième véritable album.
Toujours en auto-production avec Mox derrière la console et Jouch au design, « Altra » sort le 20 mars 2015 en digital et en physique.

Le premier contact avec ce nouveau disque est visuel. L’artwork, en noir et blanc, comme les deux précédents, reprend la thématique sous-jacente du projet: le lien entre ciel et terre. Un homme en costume lévite et s’élève au dessus d’un paysage montagneux, flirtant avec les nuages, comme un lien entre la réalité et le monde de l’onirisme.
Joli résumé graphique de l’oeuvre du groupe mais surtout parfaite transition du contenant au contenu puisque l’album s’ouvre sur le titre «Elevate / Levitate».

Le premier constat est l’urgence qui se dégage du morceau. Bien qu’il fasse plus de huit minutes, le groupe prend moins le temps au premier abord. Là où les deux premiers disques laissaient de l’espace à l’auditeur pour dépeindre un paysage sonore éthéré et progressif en guise de mise en bouche, cette fois on rentre directement dans le vif du sujet. Cependant, pas de grosse surprise musicalement, les différents éléments de la patte métallique du groupe sont toujours là avec notamment un riff qui oscille entre rock et métal, un groove nourrit à la nitro et toujours ce background électro pour ajouter du relief.
La grosse surprise vient du chant. Jouch explore de nouveaux horizons avec noblesse, farfouille à en flirter avec la justesse parfois mais toujours avec sincérité, ce qui lui ouvre les portes d’une nouvelle palette d’émotions et de sentiments. Parfois plus abrupt, plus direct et moins en retrait. Son timbre en est presque changé sur certaines lignes.
Le titre se termine sur un énorme riff en palm mute profond et puissant. Un équilibre efficace mais fragile entre lourdeur exacerbée et douceur enivrante.

Ce premier titre est une belle entrée en matière et nous conforte dans une certitude: Naive n’a rien perdu de sa superbe, bien qu’il soit assez difficile de surpasser la pépite qu’était « Illuminatis ».

« Altra » nous emmène encore plus loin dans l’introspection, plus profondément dans les entrailles du groupe. Il y a une sincérité nue presque palpable et une maturité qui se dégage de la production de l’album bien que je regrette personnellement un petit manque d’attaque sur les caisses claires.
Le groupe sait se renouveler sans se perdre, avancer sans s’oublier et après tout c’est aussi ce qu’on demande à un grand groupe. De la même manière la prise de risque est louable. Là où le trio aurait pu se contenter de pondre un « Illuminatis N°2 », on sent nettement une volonté d’explorer, de se mettre un peu en danger puis d’ouvrir sur quelque chose de nouveau et c’est là que réside la force de ce troisième album.

“Yshbel” et ses (presque) 9 minutes de voyage épique nous ramène vers quelque chose de plus familier, on se retrouve là où le groupe nous a laissé en bouclant « Illuminatis ». Le titre est hyper équilibré entre sensibilité, montée en puissance et explosion survitaminée. Les envolées métalliques tutoient les passages électroniques plus intimistes, parfois glacés parfois carrément amplis d’émotions. Ce morceau est à lui seul un condensé de ce que Naive propose sur l’album. On y retrouve des éléments des deux précédents, ajoutés à une facette beaucoup plus grandiloquente.

Comme le calme après la tempête, “Mother Russia” entre en scène. Il s’agit ici du titre le plus électro d’ « Altra », qui a pourtant également un des riff les plus rageurs du disque.
On démarre avec des séquences électro progressives et éthérées, avec une dynamique propre et singulière. Une ambiance épurée qui illustre bien l’idée qu’on peut se faire de la Russie au premier abord : vaste, froide, un peu hostile mais au final accueillante, ouverte et plaisante quand on connaît. Le morceau prend le temps de poser le cadre, la voix de Jouch rentre comme un mantra avant de laisser place à une voix féminine qui sera la star subtile du titre et le centre de l’attention.
Du spoken word russe, ça peut paraître abscons sur le papier mais l’idée est brillante et rajoute une dimension nouvelle à l’univers du groupe. Puis enfin la distorsion rentre. L’électro n’est plus mais la voix reste, plaquée au fond du mix. Le riff n’est pas sans rappeler les grands jours de Deftones. Le groupe crée encore la surprise et sort l’auditeur de sa torpeur contemplative.

Amis métalleux, “Monument Size” est faite pour vous. Clairement la chanson la plus brutale de l’album. Les plans s’enchaînent, ça décrasse les tympans et brise deux ou trois cervicales au passage. Le chant est moins dans la mélancolie, il a quelque chose de plus rugueux, les lyrics sont beaucoup plus premier degré. Exit la douceur et la poésie il y a presque un certain danger qui se dégage du titre. Le trio prouve une fois de plus qu’il a beau avoir une forte tendance à la mélodie, c’est avant tout un groupe de métal. Même le break électro montre les dents avec un aspect industriel encore jamais vu chez Naive.
Les choses se calment un peu avant de rentrer sur une montée en puissance où le groupe s’envole littéralement avec une énorme ligne rythmique de guitare appuyée par un chant en choeur qui participe à se sentiment de lévitation.

Puis vient le tour de “Surbe”, le premier single qu’avait révélé la formation avant la sortie de l’album. C’est clairement un hymne taillé pour la scène. Ce titre est surtout un pont parfait entre l’ancien et le nouveau Naive. Dynamique et rythmé, peut-être plus direct aussi. résolument métal mais aéré, dans la lignée de “Belly” qui figurait sur « Illuminatis ». L’instrumental est homogène et fédérateur, d’une efficacité incroyable et laisse place a un chant pour le moins surprenant. On découvre une nouvelle face du prisme vocal de Jouch qui nous emmène dans des contrées décharnées et d’une tristesse infinie sur les refrains pour bien appuyer des couplets qui rappellent Christian Machado d’Ill Nino quand il avait encore des choses à dire.

Les trois musiciens sont maîtres dans l’art de transmettre la mélancolie par bpm. C’est le cas avec le parfait «Waves Will Come». Pour les amateurs avertis, les mélodies évoqueront probablement Agora Fidelio, le second groupe de Jouch dans lequel il officie au côté de Milka (Psykup, MOPA et Terre Neuve Collective) ainsi que Pelo (Psykup, Simone Choule). C’est la seconde perle de l’album et un des titres les plus introspectifs qu’ils aient jamais proposé. Les ressentis sont palpables, authentiques, et nous font basculer du rock progressif à des ambiances propres au trip hop d’un Massive Attack dans une cohérence imparable. les guitares claires sont liturgiques et les voix viennent des cieux, un grand moment de musique.

Enfin, comme sur l’album précédent, « Altra » se clôture sur le titre éponyme de la galette. cinématographique et cathartique à souhait. Il est pour moi le morceau ultime du millésime 2015, la pièce maîtresse et dantesque.
Même en planchant dessus pendant 3 ans le trio n’aurait pas pu boucler la boucle d’une façon plus brillante. Ce titre propose des innovations, quelque chose de jamais vu allié à ce qu’ils savent faire de mieux. C’est aussi le morceau le plus long de l’album, qui culmine à douze minutes quarante et une. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes. Attendez-vous simplement à un riff de clôture qui ravagera tout sur son passage histoire de vous dire au revoir en plein coeur de la tempête…
« Altra » est un disque qui demande du temps. Du temps à l’immersion vu qu’il s’agit de soixante et une minutes denses, homogènes, dynamiques et bien pensées. Mais il demande du temps car une écoute n’est clairement pas suffisante. Outre son aspect surprenant, il s’agit d’un disque à tiroirs qui demande de l’attention. Creuser pour aller chercher ce qu’on doit y trouver, puiser dans ses ressources pour l’appréhender, le comprendre et l’assimiler. De la même manière qu’un film de Gondry ou un tableau de De Chirico, une première lecture ne suffit pas à cerner tout le potentiel et les trésors qu’ « Altra » renferme.
Pour ceux qui les connaissent déjà vous ne serez pas déçus. Pour les néophytes ce disque est un merveilleux moyen de découvrir un univers musical très racé et personnel, qui jongle avec brio en permanence entre guitares, tantôt agressives tantôt aériennes et mélodiques, ambiances éthérées et évolutives. Naive écrit et interprète une fois de plus avec sincérité une musique unique et puissante, basée sur le ressenti, presque mystique, qui invite au voyage qu’il soit intérieur ou physique. Alors laissez-vous aller à la découverte de cet album et soyez naïfs, pour une fois.

metal naïve review rock trip-hop

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Vargasama 4828 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte