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Le Méridional : un roman du métissage, de la jubilation et de l art de chiner

Par Gangoueus @lareus
Dans son nouveau roman, Henri Lopes nous propose une plongée dans le thème du métissage.  Jean-Michel Nzikou, passeur de cultures et d'altérité nous présente les grandes lignes de ce roman. Première critique du roman Le méridional sur le blog Chez Gangoueus. Lire la suite...
Le Méridional : un roman du métissage, de la jubilation et de l art de chiner
Quoi que l’on dise, les écrits de l’écrivain congolais Henri Lopes sont à part. Ils sont à la littérature francophone africaine et à la littérature congolaise en particulier ce que les habits du dimanche sont à la messe : une sacrée coquetterie, lumineux et mâtinés d’un raffinement sans égal !

En effet, Le Méridional, le dernier roman qu’il vient de signer aux éditions Gallimard, laisse apparaître sous un jour nouveau les qualités d’un immense écrivain parvenu au sommet de son art. A la manière de ce que les congolais appellent mufudê ! Entendez par-là une mangue de fin de saison aux senteurs de térébenthine, gorgée de soleil et succulente à souhait du fait de s’être longuement attardée sur l’arbre.C’est peu dire que Le chercheur d’Afriques est un écrivain dont l’œuvre devenue « classique » est lue et étudiée chez lui et partout ailleurs à travers le monde, principalement dans les universités américainesLe Méridional : un roman du métissage, de la jubilation et de l art de chinerAvec Le Méridional, Henri Lopes nous fait explorer de manière jubilatoire et passionnante ses thèmes de prédilection : le métissage, la langue comme métier à métisser où chaque écrivain s’emploie à se faire sa propre langue, un peu comme un violoniste fait son propre son. Autrement dit, le langage de l’écrivain en tant qu’œuvre esthétique obtenue à partir de toutes les autres préoccupations de l’auteur sont la mémoire, l’oubli, la transmission, le passage de l’oral vers l’écrit, la matérialisation à l’écrit des paroles et des gestes qui les accompagnent, la peinture, la sculpture, la musique, l’art de chiner.

Le méridional ou une digression heureusePour tout dire Le méridional est une digression heureuse une brève de comptoir, une brève d’hôtelier devrait-on dire, qui s’est mue en grande Histoire.

Temps habité, la grande Histoire apparaît tel un tissage de bouts de vies singulières, vies que le narrateur s’est employé à chiner, à dégoter de Saint-Germain-des-Prés au café de Flore à Paris, à l’île de Noirmoutier en plein pays vendéen et au Congo des années soixante, pour les assembler à la manière du peintre dans une sorte de technique de collage.Il est aussi question de fleuve, de vents marins, de mer en furie, de gréement dont on peint la coque comme nulle part ailleurs, de partie de pêche au carrelet, de sentier de terre, de promenade, d’accent maraîchin, de musique, de bon vin de Mareuil, de secrets de famille, de badinerie, de camaraderie virile, sur fond de manille, — interminable partie de carte, véritable allégorie de la vie —, qui se termine tragiquement d’exil, de prison et de remords.Dans ce décor exotique à souhait, un Congolais s’efforce à faire oublier son passé qui remonte à la surface comme quand la mer rejette sur la plage des restes d’un bateau naufragé. Les restes d’un passé douloureux qui épouse l’Histoire du Congo, celle du soleil des indépendances africaines.

Et le matériau de l’histoire dans tout ça, dites-vous ? Le roman, son neuvième, est sans rappeler l’autoportrait de Norman Rockwell, qui s’élabore par niveaux successifs, tel un mille feuilles. L’épure devenant plus précise progressivement comme par paliers : La vie fuyante du personnage central, au départ, se laisse apprivoiser par le narrateur, avant de s’égrainer : lascive comme une rumba, « le troisième mouvement de la neuvième symphonie de Beethoven », puis lancinante, taraudée qu’il est par son lourd passé. Mozart, pas Wagner. Et Bellini pour les voix.

La linéarité y est rompue par digressions, formes de didascalies qui traduisent une certaine volonté de l’urgence de transmettre pour que la tradition soit sauve. La tradition, c’est l’oralité qu’il s’efforce de raviver à travers les anthroponymes, et les toponymes, les cris, les voix, les accents, les tics, les polyphonies, la musique, la rumba.

Le méridional ou l’art de chinerChiner dans chaque langue, dans chaque bibliothèque, pour bâtir sa propre langue comme l’enseigne Proust qu’il cite, les textes dont il reprend les chutes pour faire son propre roman (Pascal, Kourouma, Sony, Mabanckou,— son protégé— Felix Leclerc, Georges Brassens ainsi que Marx et Lénine qui sont ici subtilement moqués comme on agirait avec des cousins à plaisanterie dans la cosmogonie africaine, depuis Noirmoutier à coup de « bon Diou » lâché de bon cœur. Le vin de Mareuil une fois devenu gai.

Gaspard Libongo alias Le méridional compose, se déleste, se met en abîme, se livre, transmet. Une histoire, son histoire qui est un peu celle de tous. Une histoire faite des chutes du fil de l’Histoire des hommes qui font et défont un pays dont les rêves voguent au gré d’un fleuve musculaire : le fleuve Congo.Un roman dont la composition n’est pas sans rappeler les techniques de l’école de peinture de Poto-Poto, de sculpture de Rodin ou Giacometti : silhouettes filiformes, sentiment d’inachevé, d’épuré, sorte d’éloge du dépouillement, une ascèse peut-être… avec cette audacieuse ambition de faire sourdre le plaisir du texte avec le moins de matériaux possibles, faits de bric et de broc, véritable cabinet de curiosités linguistiques. Matériaux sublimés par l’épuration des lignes de la langue.Où l’on découvre que l’authenticité d’une histoire, la beauté et la force d’un propos peuvent porter en elles les germes d’une universalité féconde. C’est au creux de la fragilité, l’incertain, des matériaux composites choisis, à travers la subjectivité et le génie créateur de l’écrivain que la disponibilité du sens et le plaisir du texte jaillissent : Le Petit bonheur que chantait naguère Félix Leclerc que Henri Lopes a su saisir et célébrer.

Jean-Michel NZIKOUPasseur d’Altérité et de cultures.

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