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Les Parachutes dorés

Publié le 02 juin 2008 par Jlhuss

vivendi_universal.1212352650.jpg Les indemnités de départ des chefs d’entreprises du CAC 40 sont soumis au vote des actionnaires au moment de l’Assemblée générale et sont théoriquement subordonnés au respect de critères de performance, comme le stipule et l’encadre la loi controversée sur le Travail, l’Emploi et le Pouvoir d’Achat d’août 2007…

Un quart des entreprises du CAC 40 prévoit de verser cette année ce qu’il est désormais convenu d’appeler des parachutes dorés, alors que le revenu de leurs bénéficiaires ont également progressé de 58% en 2007.

Pour Didier Cornardeau, président de l’Association des Petits Porteurs Actifs (APPAc), ce système (interview plus loin) ne trouve aucune justification dans le code du Travail et permet aux dirigeants des plus grandes entreprises de s’exonérer de toute responsabilité dans la gestion de leurs affaires. Il souhaite faire évoluer la gouvernance des grands groupes qui font tour à tour la fierté de l’économie française ou la perplexité du public qui peine à comprendre les mœurs qui y ont cours…

C’est pourquoi Didier Cornardeau est devenu la bête noire de certains de ces patrons qui mènent grand train tout en affichant des résultats en demi-teinte.

Le poème de Philippe Gras :

L’industrie a besoin de ces grands capitaines
Qui font tourner plus fort l’outil de production,
Et non ces bons commis qui vont en déduction
Tous les ans supprimer les emplois par centaines.

Voyons où va l’argent qui fuit de nos fontaines :
Ceux qui sont sur la vanne ont reçu l’instruction
D’œuvrer sans cesse avec beaucoup de séduction
Et de garder les mains au chaud dans leurs mitaines.

Il vaut mieux vendre ainsi les profits à l’encan
Que de se libérer trop tôt d’un vieux carcan
D’Ancien Régime et de s’attendre à l’anarchie…

Plutôt qu’un capitaine, il nous faut des commis
Qui sont pétris de ces travers que l’on conchie,
Tant ils nous font rêver des torts qu’ils ont commis.

L’interview de Didier Cornardeau :

Que pensez-vous de ce qui s’est passé à l’Assemblée qui s’est tenue la semaine dernière à la Société générale ?

S’il s’agit vraiment de se battre pour l’intérêt de la société, les petits porteurs d’actions peuvent accepter des erreurs de stratégie, mais ils ne sauraient accepter que les dirigeants des grandes entreprises leur mentent effrontément en divulguant par exemple de fausses informations dans la presse afin de peser sur les cours de la Bourse, et c’est une infraction pénale… Dans une lettre du mois de novembre 2007, Daniel Bouton mettait l’accent sur les bons résultats de la Société générale et s’appuyait sur les propos de Frédéric Oudéa pour affirmer que la crise des subprimes était maîtrisée grâce à une provision de 237 millions d’euros, avant d’avouer en janvier 2008 que cette affaire avait coûté 4 milliards d’euros à la banque, sans compter le trou creusé du fait de la fraude de Jérôme Kerviel. Daniel Bouton, qui se présente comme le spécialiste de la bonne gouvernance des entreprises, serait-il en réalité incapable de maîtriser les comptes de la 2ème banque européenne ? C’est pourquoi les actionnaires ont l’impression que Jérôme Kerviel leur cache la forêt.

Vous n’êtes pas non plus satisfait de ce qui s’est passé chez Alcatel-Lucent, n’est-ce pas ?

95% des fusions réalisées dans le cas de grands groupes sont des échecs et c’est à présent de notoriété publique. Celles-ci ont en général pour motifs une réduction des coûts de production et des licenciements massifs. Lorsqu’on conçoit les entreprises sans usines, il s’agit en fait d’un métier différent. L’intégration d’Alcatel à Lucent était un échec programmé qui avait pour seul objectif de satisfaire l’ego de Serge Tchuruk : la valorisation du groupe est aujourd’hui à 50% de la valeur d’Alcatel avant la fusion. Patricia Russo, de son côté, n’a jamais terminé ce qu’elle a pu entreprendre… Nous aiderons les fonds d’investissement à révoquer ce tandem si les résultats ne s’améliorent pas dans les mois qui viennent, à faire un nouveau montage et à élaborer une stratégie industrielle, car ce sont eux qui donnent les ordres à présent. Il existe en France des industriels dignes de ce nom, comme Thierry Breton, qui a redressé Thomson, ou Didier Lombard, qui fait du beau travail chez France Telecom. Nous connaissons également de très bons techniciens dans les petites et moyennes entreprises, comme Yves Guillemot, à la tête d’Ubisoft. En ce qui concerne Alcatel-Lucent, je ne veux pas donner de nom pour ne pas perturber leurs carrières, mais nous connaissons des cadres de l’entreprise à même de prendre la direction du groupe, car ils connaissent bien leurs produits et les capacités financières de l’entreprise.

Que pensez-vous de la mise en examen de Noël Forgeard, ancien co-président exécutif du groupe EADS pour délit d’initié ?

EADS est très important pour nous, car il s’agit là du symbole même de la construction européenne. Les petits actionnaires ont ainsi participé aux augmentations de capital qui s’étaient avérées nécessaires à la survie de l’entreprise. Le problème est également au sommet, et je considère que Noël Forgeard, alors qu’il était co-président exécutif du groupe, était avant tout motivé par son intérêt personnel, c’est-à-dire sa retraite et l’avenir de ses enfants, et qu’il a vu l’opportunité de réaliser une bonne affaire en liquidant son portefeuille d’actions avant que les difficultés qu’allait connaître l’entreprise n’affectent leur valeur. Dans ce genre d’affaire, nous sommes partie prenante et nous offrons nos conseils. Notre objectif est de définir une stratégie industrielle comme ce fut le cas chez Arcelor-Mittal.

Que représentent les petits porteurs dans les capitaux des entreprises du CAC 40 et quels moyens mettez-vous en œuvre afin de défendre leurs intérêts ?

Les petits actionnaires représentent 3% des voix aux Assemblées générales, et il leur est difficile de faire entendre leurs voix dans la mesure où ils sont le plus souvent mis devant le fait accompli par les dirigeants des grandes entreprises. L’APPAc a recours à la justice dans de tels cas, puisqu’elle assure la protection des droits individuels, et elle garantit finalement la bonne gestion des entreprises en offrant un recours aux petits porteurs et aux salariés qui sont les principaux acteurs de leur développement et donc, de la croissance. La 11ème Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris nous a donné raison dans les affaires Marionnaud, Sidel et Regina Rubens l’année dernière, et sa décision a été confirmée par la 9ème Chambre de la Cour d’Appel de Paris : les dirigeants ont été condamnés à 18 mois de prison avec sursis, et 1,5 millions d’euros d’amende majorés des dommages civils à hauteur de 95% du dommage subi par les petits actionnaires ! Leurs dirigeants sont responsables à l’égard de la société des salariés et des actionnaires, et il est nécessaire de faire évoluer la gouvernance des grandes entreprises.

Est-ce la raison pour laquelle vous sensibilisez le public afin de déclencher des actions concertées de la part des petits porteurs d’actions ?

Il y a déjà des procédures engagées depuis 2002 contre Vivendi, EADS et Altran, mais nous sommes opposés au système de la class action, car il génère beaucoup de frais et ne correspond pas à nos moyens. Nous fédérons des gens qui ont chacun leur propre jugement et leurs propres dommages, mais nous ne sommes pas à l’APPAc répartiteurs d’une somme globale. La class action est un système très pernicieux, et dans l’affaire Enron, chacun des plaignants n’a reçu qu’un dollar en dédommagement, tandis que les avocats ont fait d’excellentes affaires ! Dans celle de Vivendi, 20 millions d’euros sont à distribuer maintenant en dédommagement, mais personne ne sait comment répartir cette somme.

Votre action va-t-elle se renforcer dans les prochains mois, au vu des scandales qui défraient la chronique ?

Nous nous engageons cette année à aller plus loin encore en nous présentant en tant que censeurs dans les Conseils d’Administration. Nous offrirons notre savoir-faire aux commissaires aux comptes et aux salariés pour mieux contrôler l’entreprise. Nous nous opposerons également aux fonds spéculatifs dont le seul objectif est de revendre les entreprises par appartements. Nos initiatives ont provoqué une révolution lors de l’Assemblée générale d’Atos, mais dans d’autres circonstances, nous sommes bienvenus dans les Conseils d’Administration, comme chez Mittal où nous serons reçus le 17 juin prochain, ou encore chez Valeo… Nous présenterons nos postes de censeurs très bientôt, le 12 juin.

Avez-vous constaté au cours de ces dernières années une crise du management dans les fleurons des plus grandes entreprises françaises ?

Oui, c’est exact ! Je me sens parfaitement en phase avec la thèse que Ghislaine Ottenheimer a développée dans son livre Les Intouchables, Grandeur et Décadence d’une Caste, en 2004… On fait souvent ce reproche à nos dirigeants, et on a le sentiment de vivre un capitalisme d’Ancien Régime. Il faudrait maintenant inventer la démocratie du capitalisme. C’est pourquoi nous sommes heureux de voir les débats de plus en plus constructifs pendant les Assemblées générales, et qu’il y a désormais des échanges fructueux entre les gros et les petits actionnaires. C’est déjà la réalité à l’Étranger, aux Pays Bas, chez EADS, ou au Luxembourg, avec Arcelor-Mittal… Je suis également favorable à la participation et au renforcement des fonds salariaux dans les capitaux des entreprises. Ils y ont droit ! Les fonds salariés, actionnaires de référence, représentent le ciment de l’entreprise et à ce titre ils doivent être présents dans les Conseils d’Administration et doivent pouvoir influencer la croissance de l’entreprise. D’autre part, je ne suis pas opposé aux dirigeants qui investissent personnellement. Il y a encore des capitaines d’industrie en France, et des sociétés telles que Arcelor-Mittal, LVMH, Michelin ou PSA sont très bien gérées.

Ces dirigeants que l’on sent aujourd’hui englués dans des affaires qui les dépassent ont-ils été choisis pour développer nos plus belles entreprises, pour porter haut les couleurs de la France ou pour d’autres raisons ?

Au début, ils étaient sûrement de bonne foi, mais leur défaut est qu’après 50 ans, l’homme agit par intérêt et il dérape, le pouvoir lui monte à la tête. Je constate que plus les dirigeants d’entreprise sont mauvais et plus leur patrimoine grossit ! Pierre Bilger, quant à lui, a su reconnaître ses erreurs et restituer son golden parachute. L’influence du gouvernement est également très importante dans les sociétés du CAC 40. Lorsqu’il est devenu patent que Noël Forgeard s’est laissé aller, Nicolas Sarkozy a exigé son départ. Ce n’est pas fini : d’autres cadres supérieurs du groupe vont être entendus par la justice et seront sanctionnés par l’AMF. Il ne fait plus de doute à présent que le pouvoir devra prendre ses responsabilités et débarquer Thomas Enders. Il est convoqué dans le cabinet du juge mercredi… Louis Gallois ne pourra pas rester longtemps sur la même ligne et va devoir plier aussi. L’influence politique est nécessaire dans certains secteurs stratégiques, mais pourquoi l’État se mêle-t-il de yaourts chez Danone ? C’est vrai que le protectionnisme est nécessaire aux pays en voie de développement, mais c’est le libéralisme qui convient le mieux aux pays développés. La croissance de la nation se mesure au nombre de ses chercheurs, de ses ingénieurs… L’Irlande a réalisé la sienne en développant la recherche et le développement, tandis qu’on supprime les budgets de R&D chez Alcatel !

Peut-on faire confiance aux énarques et aux X-Mines pour diriger de grandes entreprises françaises alors qu’ils sont formés avant tout pour assurer le bon fonctionnement de nos pouvoirs publics ?

Le général de Gaulle avait eu l’idée géniale de supprimer l’Ena, mais il était visionnaire ! À droite ou à Gauche, personne n’a jamais voulu prendre de décision pour changer les mentalités. Nous subissons donc les conséquences d’une politique bipolaire qui ne fait pas place aux idées nouvelles. Il faudrait évoluer un jour, alors qu’il y a un grand fossé entre les 5 ou 6 personnes qui composent le Conseil d’Administration et les 3.500 actionnaires qui se pressent aux Assemblées générales… Les administrateurs sont complètement déconnectés des réalités, ils vivent dans leur monde et fonctionnent avec une culture de l’actionnaire dormant, qui vient juste engranger les bénéfices. Or, celui-ci investit dans une entreprise où il existe un projet industriel, et il serait bon que la composition du Conseil corresponde à la diversité des mentalités et des aspirations de tous les actionnaires qui souhaitent s’investir aussi dans le développement de l’entreprise. J’ai participé à plusieurs d’entre eux et j’ai constaté qu’avant 2002, des administrateurs de banque ne possédaient même pas les documents comptables de leur établissement. Aujourd’hui, c’est l’inverse, on assiste à un déluge de rapports, on noircit du papier, on surinforme…

Les parachutes dorés apparaissent-ils désormais comme une prime à l’incompétence ?

Il n’est pas possible d’expliquer juridiquement un golden parachute. Un salarié qui doit quitter l’entreprise part avec 6 mois de salaire au plus. Les dirigeants sont des super-salariés qui se sont octroyés un droit nouveau, et le Conseil d’administration devrait assurer son contrôle. Ils sont hélas pourvus par cooptation et c’est le jeu des chaises musicales. C’est pourquoi nous souhaitons limiter les fonctions d’administrateur à deux mandats.

La revue de presse :

La loi contre les parachutes dorés part en vrille.

Des “parachutes dorés ” dans le quart des sociétés du CAC 40.

Un quart des sociétés du CAC 40 ont mis en place des “parachutes dorés”
LE MONDE | 31.05.08 | : Les “parachutes dorés” ont de beaux jours devant eux

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