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Marcher hors de la douleur

Par Carmenrob

C’est pour « réapprendre à marcher hors de la douleur, à marcher comme une femme debout, tranquille dans son mouvement de femme » que Sarah-Mikonic s’est inscrite à la Moteskano, le Chemin tracé par les Ancêtres. Dure épreuve que ce périple hivernal sur le territoire ancestral du peuple Atikamekw, alors que chacun doit tirer son traîneau et ses vivres, et que chacun souffre de la faim, de la soif, du froid et de la fatigue. Moins pénible toutefois que la douleur quotidienne engendrée par un père froid, une mère alcoolique, une sœur morte, suicidée. Moins désespérant que le lent naufrage dans l’alcool qui la menace comme il menace son peuple.Matisiwin

Ce roman ne nous apprend rien des malheurs qui ont ravagé les différentes nations autochtones du pays : confinement dans les réserves, destruction de leur habitat et de leurs territoires de chasse, drame sans nom de l’enlèvement des enfants séquestrés dans les pensionnats, sévices sexuels et psychologiques généralisés, problèmes de violence, de consommation et de suicide qui perdurent. Ce récit initiatique ne nous apprend rien et pourtant, on a l’impression d’être enfin véritablement atteints par la souffrance dans leur chair et dans leur âme de ces êtres transpercés par les tragédies qui émaillent leur histoire et dont les séquelles sont toujours si vives.

Marie Christine Bernard a mis quatre ans à s’imprégner de l’identité des Atikamekw, de leurs croyances, de leurs coutumes ancestrales, de leur trajectoire, et de leur présent aussi, ainsi que pour écrire ce petit bouquin qui nous les présente avec une extrême délicatesse, un immense respect et beaucoup d’amour. Dans une langue sobre, exempte d’effets de style, elle nous fait pénétrer dans leur douleur comme dans leur bonheur. Les faits sont rapportés pour ce qu’ils furent, pour ce qu’ils sont encore, sans tomber dans le piège du manichéisme opposant les bons et les méchants. On ressort de cette lecture avec le sentiment que ces hommes et ces femmes nous ressemblent davantage que nous le pensions. La peur de l’étranger qui nous étreint et nous les fait garder à distance en est ébréchée.

Lecture très émouvante. Apaisante.

Marie Christine Bernard, Matisiwin, Stanké, Montréal, 2015, 153 pages.


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