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Sortie DVD : «Whiplash»

Publié le 10 mai 2015 par Masemainecinema @WilliamCinephil

Au centre : deux personnages. Andrew est jeune apprenti batteur de jazz, et n’envisage son avenir que brillant, convaincu qu’à travers les enseignements du très féroce Terence Fletcher, il atteindra l’excellence. Et leur relation de prendre un tournant sombre à mesure qu’Andrew entame son ascension.

Au centre : un duo d’acteurs impressionnant.

J.K. Simmons bâtit Fletcher sur les fondations d’une violence qui irradie, terrifiante. Comme pour en extraire la monstruosité qu’il suinte lui-même, le Maître façonne ses disciples, travaille ce qui fait leur Être depuis leurs convictions jusqu’à leur chair, approchant son art avec l’inflexibilité clinique d’un chirurgien et la brutalité d’un boucher. Masculine, virile, blanche et enragée : Fletcher ne légitime qu’une seule élite, ne la valide qu’une fois retranchée dans l’obsession. Le personnage de Simmons n’est jamais défini par d’autres traits que ceux qui dessinent sa silhouette de tortionnaire : pas de vécu douloureux dont l’empreinte aurait changé l’homme en tyran. Sa vulnérabilité n’est jamais que simulée, fausse, piégeant autant ses élèves que le spectateur qui adopte tour à tour la perception d’Andrew et de son bourreau.

Whiplash n’a rien d’un film de performance classique dont les étapes attendues, pré-mâchées, emprunteraient aux récits sportifs traditionnels. Bienveillance cachée derrière le caractère trempé du mentor, persévérance naïve et valorisation du rapport à l’équipier : aucun des schémas, aucune des valeurs fédératrices qui s’y retrouvent d’ordinaire ne fait loi dans ce duel.

Comme piégé dans sa toile, Miler Teller épate dans le costume du jazzman en devenir, frappant les caisses et les cymbales sans doublure et avec la fougue enragée que Fletcher lui inspire. L’apprenti semble condamné à plier sous hargne son inquisiteur où rompre. Vient le final magistral, étouffant tant dans la frénésie de sa mise en scène que par l’ambiguïté de sa morale. Le rythme implacable de la confrontation trouve alors un climax suspendu dans le temps : d’une atmosphère nitroglycérinée aux répliques-étincelle, la tension constante de séquences d’ego brutales est centuplée, sublimée.

C’est bien en travaillant son ambiance comme un orfèvre que Chazelle boucle sa boucle avec autant d’impact : le jeune metteur en scène esthétise sa narration avec subtilité, articulant le récit par images-clés et motifs – de chutes en ascensions, Whiplash respire la crainte de l’échec qui paralyse l’Art.

Et quel Art ! D’une bande-son irréprochable aux nuances sombres et dorées de la photographie, Whiplash a une relation quasi-olfactive aux textures des instruments et aux corps qui s’y soumettent entre sueur et sang. Et puis, çà et là, des cadrages ampoulés et twists télescopés trahissent une emphase dramaturgique pesante… des écueils bien vite pardonnés.

Whiplash administre une claque sévère aux films de performance qu’il semble prendre en modèle, et au spectateur qui se risque à tomber dans le piège des apparences. Atmosphère travaillée au corps, intensité des duels entre deux acteurs brillants, final à la noirceur insondable : Whiplash est avec certitude l’un des films les plus marquants et surprenants de l’année passée.

Whiplash-Affiche-France

Whiplash. De Damien Chazelle. Avec Miles Teller, J.K. Simmons, Paul Reiser, Melissa Benoist, Jayson Blair, Austin Stowell, Chris Mulkey, Damon Gupton, …

Sortie DVD le 6 mai 2015.


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