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Je ne suis pas un numero

Publié le 12 mai 2015 par Dominique Le Houézec

"Les grandes personnes aiment les chiffres." (« Le petit prince » A. de Saint-Exupéry, 1943)
suis numero

Notre société moderne nous informatise et nous attribue des numéros spécifiques (INSEE, assurance maladie, URSSAF, centre des impots, permis de conduire, digicode...) qui risquent de gommer nos identités réelles avec tout ce qu'elles comportent d'histoire, de vécu, de  complexité et de vie vivante dans la  relation aux autres. Même le système médical est contraint d'utiliser le langage des chiffres et des codes destinés à chaque affection. Chaque malade hospitalisé se voit attribuer à sa sortie un dossier informatisé codé. Chaque patient qui consulte son médecin se voit attribuer un code correspondant à l'acte médical réalisé que sa carte Vitale va transmettre au centre de sa caisse d'assurance maladie. Ce traitement déshumanisant donne envie de crier, tel Patrick McGoohan, le héros de la série télévisée britannique des années 67-68 "le Prisonnier": "Je ne suis pas un numéro!" 



Une femme est opérée du genou. Le chirurgien orthopédiste rédige un compte-rendu indiquant qu'elle est obèse. Sa belle-fille, Elisabeth Toll, proteste dans un texte plein d'humour contre l'utilisation de ce mot (1)

JE NE SUIS PAS UN NUMERO

Elisabeth Toll, photographe 

Elle dit en substance ceci : "Oui, ma belle mère a un poids tel qu'on peut parler d'obésité, mais elle n'est pas seulement obèse. Elle est retraitée de l'enseignement secondaire, elle aime jardiner, elle aime lire, elle chante merveilleusemnt bien, elle adore peindre et elle continue à faire tout cela bien qu'elle et son mari (qui a 80 ans, qui a été dentiste, qui a toujours été un père et un grand-père attentif qui s'est formé tout seul à l'économie et qui adore voyager) soient tous deux préoccupés par l'évolution de leur maladie de Parkinson".

Elisabeth Toll fait remarquer qu'autrefois (mais est-ce que cela a vraiment disparu?), on parlait couramment de "l'appendicite du 5" ou de "l'accident de train du lit 8". Ces appellations, dit-elle, sont déshumanisantes. Elles laissent au malade le sentiment qu'il n'a pas été perçu comme une personne dans toute sa complexité (et sa richesse) et elles restent pour toujours dans les dossiers médicaux.
Les patients ont diverses qualités qui peuvent contribuer à les aider à faire face à leur maladie et à guérir ou évoluer au mieux. Le rôle du médecin devrait être de rechercher ces qualités et d'en faire des auxiliaires des soins.
L'étiquetage rapide à partir de données chiffrées (ici le poids) donne une fausse assurance de technicité et d'objectivité. Elle donne aussi aux administrateurs des hopitaux l'idée fausse qu'ils peuvent connaître et évaluer l'activité médicale à partir de paramètres aussi limités. Or le temps passé au lit du malade par les soignants à l'écouter, le rassurer, lui expliquer ses problèmes de santé et sa prise en charge ne sont jamais pris en compte car cette relation humaine est impossible à mettre en chiffres et à coder. 
Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupery l'avait merveilleusement compris:
« Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? " Alors seulement elles croient le connaitre. Si vous dites aux grandes personnes: "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit..." elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire: "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient : "Comme c'est joli!"
Ainsi, si vous leur dites : "La preuve que le petit prince a existé, c'est qu'il était ravissant, qu'il riait, et qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c'est la preuve qu'on existe", elles hausseront les épaules et vous traiteront d'enfant ! Mais si vous leur dites: "La planète d'où il venait est l'astéroide B 612", alors elles seront convaincues et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ca. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes. Mais, bien sur, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numéros ! »

Jean-Pierre LELLOUCHE & Dominique LE HOUEZEC



(1) E.TOLL: "Obesity. Not otherwise specified." JAMA March 20, 2013 : 1123-1124


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