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La vie c'est pas juste

Par Pseudo

Agnès Saal - copy REA.jpgLa vie quelquefois c'est pas juste. Tenez, voyez cette pauvre Agnès Saal — l'affaire date de quelques semaines, mais enfin il faut bien prendre le temps de la réflexion.

Agnès Saal, vous avez entendu parler de son cas. C'est l'image même de la méritocratie républicaine, qu'un sort méchant s'acharne à ternir. Un mal bien français finalement. Tentons de résumer.

La petite Agnès voit le jour dans cette bonne ville de Tunis, au sein d'une famille israélite d'antique implantation, discrète et besogneuse. Papa parcourt le quartier des Souks, à négocier ses pièces d'étoffes ; maman tient la maison, fée du logis qu'on imagine volontiers gérant la pénurie, si tant est que cela eût été nécessaire — ce qu'à Dieu ne plaise il semble que ce ne fût pas, du moins si l'on s'en rapporte au lignage maternel, voué à la finance. La colonisation française s'en était venue, en son temps, et puis s'en est allée aussi, sans bouleverser plus que ça le cours de cette vie paisible. 

Mais en 1967, big bang : les secousses de la Guerre des Six-Jours font justement craindre pour le cours de cette vie, en terre arabe. Alors la famille se replie en France. Et notre petite immigrée de vivre désormais la rude école de la vie, sur la terre froide des Gentils — qui ne le sont pas tant que ça, gentils, à y regarder de plus près, mais qui se foutent bien de la Guerre des Six-Jours, eux au moins. C'est toujours ça.

C'est là que l'histoire se fait belle : la petite exilée soudain adoptée, puis nourrie par l'école de la République. La République laïque, l'indivisible, la fraternelle, la libre-penseuse. Nourrie par les tables de multiplication, nos-ancêtres-les-Gaulois, les déclinaisons latines — je parle du collège d'avant René Haby, plus grand monde s'en souvient —, la théorie des ensembles, le Lagarde-et-Michard...

Et de belle l'histoire va devenir exemplaire. Notre petite Agnès, la brindille méditerranéenne jetée d'un monde à l'autre, par son travail, son courage, son acharnement, se retrouve à Sciences Po et dans la foulée intègre le Saint des saints, l'Ecole nationale d'administration. Promotion «Solidarité» — quel symbole ! Elle n'a pas 26 ans et la voilà administrateur de la France. Mon Dieu le chemin parcouru !

La République est un miracle laïc — faudra-t-il que Manuel Valls s'époumone à nous le répéter ? Agnès, la petite pupille de Marianne, a grandi. Elle a occupé des postes lourds et austères, au Centre national du Cinéma notamment, où elle a su mobiliser ses vertus de gestionnaire avisée : directrice administrative et financière, présidente de la commission d'aide sélective à la distribution... Ça n'est quand même pas rien tout ça. Et directrice générale de la Bibliothèque nationale de France, puis du Centre Georges-Pompidou. Pom-pom-pidou !...

Pom-pom-pidou ! Oui, chantons, dansons, car la République c'est aussi un miracle socialiste. Agnès sait renvoyer l'ascenseur — l'ascenseur social. Que rejoint-on, brindille transplantée, quand Jules Ferry, le petit père Combes, l'ENA, ont fait de vous un nobliau d'Etat ? Hé, le parti socialiste, pardi ! Voilà donc Agnès, reconnaissante, engagée comme militante dans cette belle armée à parements roses. D'abord conseillère au cabinet de la Culture, au temps des deux Catherine du gouvernement Jospin — Trautmann et Tasca —, puis plus tard, impliquée dans la campagne présidentielle de François-l'Enhardi. Tant et si bien que devenue protégée d'Aurélie Filippetti, ayant accédé entretemps au rang d'administrateur général — le sommet hiérarchique de l'Administration d'État —, elle est installée en 2014 dans la fonction de P-DG de l'Institut national de l'Audiovisuel. Une consécration. Et, c'est bien normal, le confort qui va avec.

Las ! Les méchants n'aiment pas la réussite (républicaine) des brindilles méditerranéennes — voyez les ergotages qu'ils font à Najat Vallaud-Belkacem. Voilà-t-il pas qu'au sein même de l'INA, à peine dix mois qu'Agnès en est devenue la patronne, une taupe n'hésite pas à balancer au conseil d'administration de la maison, la veille d'une réunion, une méchante dénonciation accompagnée de la copie des factures de taxi de Mme la pédégée... 40 915 euros (quarante mille neuf cent quinze), dont semble-t-il 6 700 (six mille sept cents) rien que pour M. son fils — qui n'a rien à faire avec l'INA, d'ordinaire.

Fleur Pellerin, ministre de tutelle, aurait pu ordonner une enquête interne : qui sont les calomniateurs ? De quel parti sont-ils ? Quels intérêts (troubles) servent-ils ? Même pas ! L'aboulie est telle dans ce gouvernement qu'on n'a même pas eu le réflexe de défendre un serviteur de l'État de cette trempe : on a laissé Agnès, seule face à la conspiration, poser sa démission, et s'engager à rembourser de sa poche une partie des dépenses dénoncées par la vox populi. Elle qui s'était engagée, à sa prise de fonction en avril 2014, à «une gestion janséniste»!

«Janséniste ?»... Décidément nos délateurs anonymes — sinistre relent — ne respectent plus rien, voilà qu'on s'attaque aux jansénistes à présent... Un mal bien français, on vous le disait — Ah, si au moins nous avions un Pascal !

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(Photo : Agnès Saal, © REA)


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