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The Sound and the Fury

Par Suzybishop @DLACDI

Je vais vous faire un aveu, qui va sûrement en faire frémir quelques uns. Je ne regarde pas de séries. Ou quelques épisodes en vrac. Mais il est souvent rare que j'y accroche réellement. Jusqu'à l'exception. True Detectivede  Nic Pizzolatto. Alors j'ai horreur des séries policières, je trouve ça profondément pénible et franchement pas intéressant. Mais là, ça a été LA révolution. C'est de l'hypnose. 

The Sound and the Fury

Alors ça parle de quoi ? 1995. Louisiane. Rust et Cohle enquête sur le meurtre bien étrange de Dora Lange, retrouvée accrochée à un arbre affublée de bois de cerfs. Ici, l'enquête ne change pas à chaque épisode. Mais chaque saison se présente comme nouvelle : de nouveaux personnages, un nouveau lieu, une nouvelle enquête. 

 Je crois que le générique vaut à lui seul le détour. La musique, déjà, a quelque chose d'envoutant. Elle est grave. L'image est sombre. Le ton est donné rien qu'au générique : le feu, le noir, la Louisiane. L'introduction nous plonge directement dans le monde sordide et crade de la Lousiane. Je crois que si cette série fait exception, c'est peut-être car elle a tout d'un film. A l'inverse des millions de séries policières dont on nous bombarde depuis toujours, où chaque épisode résout une enquête, et où les amourettes semblent être plus importantes, True Detective parvient à créer une véritable identité tout au long de ses épisodes. On est pas là pour rire. Chaque épisode possède un charme fou, une atmosphère qui lui est vraiment propre et une esthétique qui est tout simplement extraordinaire. 

Je crois bien que ce qui est assez remarquable dans cette série, c'est ces deux personnages principaux. Matthew McConaughey est un acteur que je trouve de plus en plus formidable, et son coéquipier Woody Harleson forme avec lui un duo véritablement passionnant. Rust est un personnage vraiment curieux. Solitaire, nihiliste, alcoolique, drogué. Un personnage assez ambigu, qu'on peine à cerner véritablement. Il y'a quelque chose de fascinant chez lui. Une sorte de désespoir sur le monde, sur l'humanité. Il participe à lui seul à l'étrangeté de la série, au chaos qui s'en dégage. Quelque chose d'imposant, un étrange charisme. Et Marty, une sorte d'antithèse. Qui a autant de mal que nous à comprendre son partenaire. Un personnage ambivalent, parfois antipathique, et en même temps curieusement attachant. Pas attachant, comme on pourrait l'entendre. C'est plus de la fascination. 

The Sound and the Fury

Mais ce qui fait réellement le charme de cette série, c'est que c'est l'exemple même de ce qu'est le Southern Gothic. C'est une des raisons pour lesquelles je suis autant obsédée par cette série. Elle a une emprise particulière sur son spectateur. Sauf que c'est quoi, le Southern Gothic ? C'est en train de devenir une de mes formes préférées du gothique. 

C'est d'abord un sous-genre du gothique "traditionnel", le gothique "traditionnel "  lui issu de Walpole au 18ème siècle. C'est une forme de gothique assez particulière, qu'on ne retrouve qu'aux Etats-Unis. Car comme son nom l'indique, elle ne concerne que les États du Sud, c'est-à-dire : Texas, Mississippi, Tennesse et Louisiane. Entre autres. Ici pas de zombie, d'esprits, de scientifiques fous et de monstres en tous genres. Les vrais monstres sont bien réels, ce sont les hommes. C'est un sous-genre qui débute dans les années 30, avec la publication de The Sound and The Fury de William Faulkner. Un roman absolument génial, qu'il faut vraiment lire un jour, et en VO de préférence, même si c'est très déroutant et assez complexe, c'est fascinant ( et c'est devenu un de mes romans préférés). Donc pour l'histoire, c'est ça, le Southern Gothic. Et en pratique, on peut dire que True Detective en possède toutes les caractéristiques.

D'abord, parce que c'est en Louisiane. C'est un lieu déjà très étrange. Un lieu crade, misérable. La nature semble torturée, les arbres sont tordus. C'est la boue, la terre, la poussière. Un lieu marécageux, sale, hostile. Même l'image respire la poussière, elle est terne, le ciel est rarement coloré, les nuages menaçants. Un lieu hors du temps, reculé de tout ce qu'on connaît. Un lieu trouble, dangereux, où se rassemble une population violente, déboussolée, misérable. Les maisons tiennent à peine debout, les environs sont remplis de bars, de bordels, de clubs de strip-tease. C'est le lieu des prostituées, des dealers, des meurtriers louches, de toutes les ordures possibles et imaginables. Un lieu inquiétant, des habitants souvent peu commodes, fous, terrifiants.  La Louisiane, sorte d'enfer terrestre où les pires crimes adviennent. Une spirale infernale qui entraîne tout le monde, dans la drogue, l'alcool, la mort. Rien ne semble rationnel. Tout est sordide, sale, inquiétant. 

The Sound and the Fury

Le sexe fait partie intégrante de cet univers. Ce n'est pas du voyeurisme, comme ce qu'on peut en voir habituellement. Le sexe est monstrueux. Il met mal à l'aise, il est répugnant. Il est déviant. Le viol, l'inceste, l'adultère, la prostitution, la pédophilie. Et même dans une certaine mesure, des pratiques qui dérangent dans un Etat conservateur et très religieux : le travestissement, l'homosexualité, des pratiques " déviantes". Il est monstrueux, car anormal, terrifiant. On est bien loin de l'érotisme qu'on se coltine inutilement dans la majorité des films et séries. C'est une caractéristique du genre. Il est violent, et devient carrément glauque. 

La série a une atmosphère assez dérangeante. Déjà par son esthétique, crade et terne. Mais aussi parce qu'il nous plonge dans une lente descente aux enfers. Des meurtres, c'est habituel pour une série policière. Mais dès lors qu'ils incluent des enfants, ça prend tout de suite une dimension encore plus malsaine. Et cette tension malsaine ne fait que grandir au fur et à mesure des épisodes. C'est glauque, parfois presque insoutenable. Et ce qui est encore plus étonnant, c'est que tout est souvent dans la suggestion. On ne voit rien, on entend seulement, on imagine, et c'est encore plus terrifiant. L'enquête tourne à l'obsession. On a l'impression de ne jamais pouvoir en sortir. 

The Sound and the Fury

La famille joue un rôle essentiel. Elle se déchire, se sépare, se reconstruit, se tue. Pour Marty, la famille, c'est tout ce que possède un flic. C'est des liens forts. Et ces liens sont partout. Tout ça n'est qu'une immense histoire de famille. On cherche d'abord des liens de parentés avec la famille, une nièce, un cousin, des parents. Souvent inexistants. Le petit-fils de, le cousin éloigné, un oncle. Tous sont liés par des liens sacrés. La famille, c'est le coeur même du Sud. On n'a pas le droit à l'erreur, on a pas le droit de la tromper, de la tuer. Sinon, c'est soi-même qu'on met en exil. C'est n'être plus rien. Au sens littéral comme figuré. Et ces liens familiaux vont devenir de plus en plus repoussant. Le dernier épisode nous plonge dans un profond malaise, et est absolument terrifiant. 

Mais surtout, c'est une forme de gothique. Il y'a toujours quelque chose de bizarre, de monstrueux. Même grotesque. Comme sa forme traditionnelle, le Southern Gothic inquiète. Il lorgne vers l'étrange, le surnaturel. La série entière est baignée dans un mysticisme dérangeant. Il y'a d'abord l'omniprésence de la religion. L'Eglise catholique est partout, et elle fait peur. Pour Rust, la religion c'est une affaire d'idiots. On est face à des croyants qui se réfugient dans la religion, et leur fascination met presque mal à l'aise. L'église devient un lieu profane. Et surtout, ce mysticisme débute avec le meurtre de Dora Lange. Une mise en scène bizarre, inquiétante. Quelque chose d'occulte, une symbolique terrifiante. Des dessins. Les bois de cerfs, le masque. Masque qui deviendra l'un des leitmotivs de la série. Car elle est en quête d'identité : celle du tueur. Le masque réel du tueur. Et paradoxalement, Rust croit que l'homme s'invente une identité. Une symbolique récurrente au fil des épisodes.  Les visions, les fantômes se cachent aussi parfois. Spoiler : Des tueurs à têtes d'animaux absolument terrifiants. La présence du Mardi Gras apporte une dimension grotesque au film. Une cérémonie bizarre, monstrueuse et dérangeante. La présence du Roi Jaune. Et surtout le tourbillon bleu du dernier épisode, réalité ou vision ? Le dernier épisode est angoissant. La présence de l'inceste, qui donne la nausée. Erroll et sa demi-soeur, sortes de débiles profonds effrayants, la maison délabrée et poussiéreuse. Et surtout, cette course-poursuite infernale guidée sur fond de satanisme. Tous ces ingrédients réunis rendent l'épisode terriblement angoissant. Fin 

The Sound and the Fury

True Detective est une série avec un formidable pouvoir de fascination. Tout est fascinant, obsédant. Elle a su créer des personnages mystérieux, jamais gentils ni méchants, une identité visuelle avec un charme extraordinaire. Et ce qui me plaît autant, c'est surtout sa composante gothique. C'est crade, glauque, mystérieux. Mais c'est avant tout passionnant, fascinant, obsédant. A voir de toute urgence, vraiment. Une deuxième saison est en préparation. Un nouveau lieu, des nouveaux personnages, de nouvelles enquêtes. Espérons que la Californie soit aussi lugubre. 


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