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Nouveaux programmes : l’Histoire de l’Afrique réduite à l’esclavage et à la colonisation ?

Publié le 22 mai 2015 par Lepinematthieu @MatthieuLepine

   Les nouveaux programmes d’histoire font actuellement couler beaucoup d’encre. Instrumentalisée par la droite et l’extrême droite, la polémique n’est faite que d’une somme de fantasmes, de raccourcis et d’ignorances. Ceux qui l’alimentent quotidiennement ne trouvent cependant rien à redire à la disparition du chapitre consacré aux civilisations médiévales d’Afrique subsaharienne (1). Il s’agit pourtant d’une regrettable régression à bien des égards. Pour les collégiens français, l’Histoire de l’Afrique se résumera dorénavant à l’esclavage et à la colonisation…

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Portulan de Charles V, 1375, BNF, Paris.

L’Afrique, angle mort de l’Histoire ?

   « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Ces mots de Nicolas Sarkozy, prononcés lors de son tristement célèbre discours de Dakar (2007), résonnent encore dans les abysses de la bêtise. Ils sont cependant le reflet d’une vision de l’Afrique longtemps et malheureusement encore véhiculée par nos programmes scolaires.

Une visions déformée, réductrice, dégradante et stigmatisante. Celle d’une Afrique dominée, exploitée, enchainée, peuplée d’esclaves et d’indigènes. En effet, jusqu’en 2010, les collégiens français ne découvraient l’histoire du continent africain qu’au travers de deux thématiques : l’esclavage puis la colonisation. Malheureusement, il en sera ainsi de nouveau à partir de la rentrée 2016, puisque le chapitre « Regards sur l’Afrique », enseigné en classe de cinquième, est amené à disparaitre.

Bien que limité, celui-ci permettait cependant de découvrir des civilisations médiévales d’Afrique subsaharienne puissantes et prospères, avec leurs similitudes mais aussi leurs singularités par rapport aux États européens de l’époque. Par cette entrée, les élèves pouvaient entrevoir ce continent et ses populations à travers à un autre angle que celui de la soumission aux forces coloniales.

Ce chapitre donnait aussi à certains collégiens, notamment ceux originaires de pays d’Afrique de l’Ouest, l’occasion de trouver leur place dans l’Histoire. Un enjeu essentiel afin de leur permettre de trouver la leur ici aujourd’hui. Quoi de plus valorisant pour un élève originaire du Mali que de présenter à ses camarades l’épopée de Soundiata Keita ? (2)

En choisissant de supprimer ce chapitre, les auteurs des nouveaux programmes font à mon sens un retour en arrière dommageable. Ceci d’autant plus dans une France où il n’est plus honteux de défiler dans les rues en hurlant « Y’a bon Banania, y’a pas bon Taubira »(3). Limiter l’Histoire de l’Afrique à l’esclavage et à la colonisation, c’est amputer tout un continent des idées de liberté, de dignité, de progrès ou encore de courage.

C’est enfermer et réduire des peuples entiers derrière l’image de l’esclave enchainé ou de l’indigène exploité. Une image renvoyée, directement ou indirectement, sur tous les noirs de France. C’est nier la capacité de ces mêmes populations à construire, à produire, à impulser ou à résister.

Reste donc aux enseignants leur liberté pédagogique, afin de rompre avec cette vision dégradante et stigmatisante de l’Afrique et des africains. Évoquer les formes de résistance face à la traite négrière ou à la colonisation est aujourd’hui un impératif. Impossible d’aborder la conquête du Sénégal sans présenter le combat de Lat-Dior Diop (4) ou celui d’Aline Sitoé Diatta (5).

C’est ainsi, en ouvrant le regard de nos élèves sur l’histoire des peuples du monde entier et non uniquement sur celle de la France, que nous parviendrons à faire vivre l’espoir énoncé par Léopold Sédar Senghor, celui « d’une fraternité dans le respect mutuel et le dialogue des cultures ».

(1) En 2010, les actuels polémistes étaient déjà en tête de la fronde contre l’intégration au programme de cinquième du chapitre consacré aux civilisations médiévales d’Afrique subsaharienne.

(2) Fondateur de l’Empire du Mali.

(3) La justice a récemment estimé que le caractère raciste de ces propos n’était pas avéré et donc relaxé son auteur…

(4) Damel du Cayor ayant mené la résistance contre la colonisation française durant la seconde moitié du XIXe siècle.

(5) Figure de la résistance sénégalaise face à la colonisation française en Casamance.


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