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L’Interview Très Stratégique de Hugues Borgia Directeur Général du projet UGC Ciné Cité

Publié le 26 mai 2015 par Darkplanneur @darkplanneur

Le jury du festival de cannes a rendu son verdict en clôturant en beauté cette édition 2015, mais nous chez Darkplanneur en bons subversifs, nous avons décidé de jouer des prolongations en vous proposant une nouvelle semaine dédiée au 7e art, histoire de continuer à se faire plaisir. Premier clap, cette interview riche, et tout en décryptages de Hugues Borgia, Directeur Général UGC Ciné Cité qui a pris le temps pour expliquer sa vision et son ambition au travers du projet « Ciné Cité »

Darkplanneur: Qu’est-ce que le projet UGC CINÉ CITÉ ?

Hugues Borgia: UGC Ciné Cité est un concept né il y a environ 20 ans. L’élément fondateur de ce concept c’était Les Halles. Nous avons repris un cinéma généraliste qui existait avant nous : « Le Forum Horizon », qui projetait plutôt des films en version française. À coté de ce cinéma, trois musées prenaient un énorme espace souterrain: le Musée Cousteau, le Musée des Martyrs et le Musée du Rock. Trois musées, trois faillites. Nous avons acquis cet espace et avons bâti le complexe UGC Ciné Cité Les Halles.

Les Halles, lieu particulier et central dans Paris, sont fréquentées aussi bien par les cinéphiles parisiens que par les « gamins » qui arrivent par le RER. S’est donc forgée notre conviction à partir de ce lieu emblématique, que notre métier était à la fois de créer des lieux de densité (de la densité urbaine, de la densité de population) et une variété d’offres. Nous ne souhaitions pas être restreints dans une catégorie. Avant nos salles s’appelaient : UGC Normandie, UGC Odéon, … Pour incarner ce changement de taille et d’offre nous les avons rebaptisé: UGC Ciné Cité. Ce nom véhiculait notre nouvel objectif : Le cinéma dans la ville, la diversité de l’offre et ce dans le milieu urbain. En toute honnêteté, nous avons été inspiré par une grande et belle exposition qui avait eu lieu à l’époque : « Cité Ciné ». Elle mettait en scène le cinéma à travers, un parcours sonore et visuel et des décors de film reconstitués. Le nom UGC CINÉ CITÉ était un clin d’œil. Ce concept a été enrichi au fur et à mesure, notamment dans trois domaines.

– D’abord en termes d’architecture, le projet des Halles est particulier car il se trouve en sous-sol, mais nous avons décliné le concept à Lyon, et à Strasbourg.

– Puis l’architecture et l’aménagement intérieur qui permettent un nombre d’écrans suffisant pour assurer cette diversité ainsi que l’accueil.

– Et enfin pour couronner tout cela nous avons été les premiers à proposer l’abonnement : Le cinéma illimité. Cela n’existait pas en France.

D: Comment a été accueilli l’abonnement illimité?

HB: Le Cinéma Illimité a été accueilli dans un concert de protestations, y compris dans le métier. Déjà dans les petites salle la  peur s’exprimait également du côté des ayants droits, des metteurs en scène : « c’est pas bien de s’abonner au cinéma, il faut payer son billet à l’acte ». Nous subissions l’idée que l’on dévalorisait le cinéma, avec une espèce d’abonnement forfaitaire « les gens vont rentrer dans les salles, sortir au bout de 5 minutes, re-rentrer dans l’autre ! ». Tous craignaient que l’on transforme le cinéma en une marchandise. Mais non ! Leur répondait-on répondait-on. « C’est l’inverse qui va se passer. On va
créer des passerelles. Les gens n’auront plus la barrière du prix, ceux qui n’allaient voir
que tel type de film vont peut-être aller en voir d’autres,
». On nous accusait d’abêtir les gens, de leur faire bouffer du film américain toute la journée. » La crise était profonde, on touchait au sacré. Alors que la pratique a montré le contraire.

D: L’UGC Ciné Cité ambitionne d’agir sur la restructuration urbaine. C’est à dire ?

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HB: Ce qui est frappant en France particulièrement, (car ce n’est pas vrai partout ), c’est que le cinéma compte politiquement et urbanistiquement. Pour citer un exemple actuel : la ville de Dijon projette de réhabiliter un ancien hôpital en Cité de la Gastronomie. Au sein de ce concept urbain et commercial les porteurs de projet sont en demande d’un élément de divertissement culturel qui attire les flux. Nous sommes donc consultés sur la possibilité de créer un cinéma, alors qu’il y en a déjà dans la ville…L’idée UGCienne de faire de la pratique du cinéma une pratique intime et régulière n’est possible que dans des grandes agglomérations où la sociologie le permet. Notre logique est de concilier à la fois la diversité de l’offre et la proximité. Que tout soit accessible en transport public et si possible entouré de vie. Notre positionnement, par rapport à d’autres formes d’exploitation est d’être auprès des quartiers. Le cinéma est une forme de créateur de lien social et d’animation d’un quartier. Nous ne sommes pas les seuls à participer à ce développement urbain. Il est évident que les salles du MK2 de la Grande Bibliothèque ont fait grandir tout le quartier… Tout comme nos salles à Bercy, et on pourrait multiplier les exemples. Les urbanistes, les aménageurs et nous (les opérateurs), partageons des besoins mutuels. Pour atteindre notre idéal de fréquentation il nous faut être au milieu.

D: Pourquoi n’existe t-il pas des salles en format Imax comme aux Etats-Unis ?

HB: Nous ferons de l’Imax le jour où les metteurs en scène considéreront ce format artistiquement et techniquement légitime et standard. Tant que ce format reste rare nous ne pouvons pas investir conséquemment. Vous ne pouvez pas me citer des exemples de succès récurrents de l’Imax, à part celui de la Villette. C’est un épiphénomène, comme dans certains cas la 3D. Ce sont des choses anecdotiques par rapport à ce qu’est le cœur du cinéma. De nombreux films ne passent pas en Imax. Le film « Je l’adore » n’est pas compatible en Imax. La réponse j’irai la chercher du côté des auteurs et des réalisateurs. Pourquoi n’ y a t-il pas plus de réalisateurs qui tournent en format Imax ?

D: Comment se porte le marché du cinéma en France ?

HB: Nous avons recensé 200 Millions d’entrées fin 2014. La France est le meilleur marché d’Europe, mais c’est à peu près le même nombre d’entrée qu’en 1980.

L’histoire du marché du cinéma en quelques dates: durant l’après-guerre, les années 50, 400 Millions d’entrées en France. Avec l’arrivée de la télévision qui devient le loisir populaire, tout le monde va au cinéma le samedi soir sans forcément savoir ce qu’il va y voir. Dans les années 70 on est dans la zone des 170 Millions d’entrées. Début des années 80, on est à 200 Millions d’entrées. Dix ans plus tard, on tombe en dessous de 120 Millions d’entrées. En ce moment nous revenons à 200 Millions d’entrées. Allons-nous atteindre les 300 Millions ? Je ne peux pas savoir, le plafond de verre semble se situer autour des 200 Millions d’entrées. Le marché français du cinéma est globalement assez stable. Avec l’augmentation démographique on peut dire qu’il y a une baisse. Le marché est mûr et complexe. Notre enjeu aujourd’hui pour maintenir ce chiffre est de développer les salles, en sachant très bien qu’on ne va pas augmenter le nombre d’entrées en proportion de l’augmentation du nombre d’écrans. Puisque le maillage de plus en plus dense de salles (les grands cinémas dont on a parlé existent déjà pour la plupart) se complète par des constructions plus petites. Les complexes de 7-8/10 salles, comme aux Batignolles, sortent de terre. La solution ne viendra probablement pas  de notre métier, ce sera difficile de faire venir d’avantage de français (plus de 70% des français de plus de 12 ans sont allés au moins une fois au cinéma cette année). Notre taux de pénétration est très fort, il l’était beaucoup moins avant. Les plus de 40 ans avaient complétement décroché des salles, aujourd’hui ils reviennent. Notre objectif volontariste est de faire progresser le taux de fréquentation. La répétition est au cœur de notre effort. La clé de la réussite est la diversité de l’offre. Nous devons absolument inciter les spectateurs à êtrepas curieux de plusieurs types de films. En amont, l’industrie de loisir et de la culture doit y travailler. Une vingtaine d’Opéra sont présentés au public chaque année, avec les directs de l’opéra de Paris et un choix de retransmissions. On a créé un public autour de cette case qui prouve son succès. On vient de créer une autre case, UGC Culte : une offre de films de patrimoine. Des films que souvent les gens connaissent, mais qu’ils n’ont jamais vu en salle. Avec l’arrivée du Replay, du mobile et de Netflix, ne craignez-vous pas une désaffection des salles de cinéma ? Non, parce que tous ces sujets peuvent être des sujets de télescopage en aval de la salle. Je serais plus inquiet si je m’appelais Canal + ou TF1. Car les substitutions sont possibles entre les films sur les chaînes en clair, les chaînes payantes et Netflix. Je trouve que Netflix a justement des fonctionnalités intéressantes. Mais notre avantage est qu’il y a la salle et le reste. C’est en cela que nous sommes très attachés à la chronologie des médias. Notre travail est de sanctuariser la fenêtre des 4 premiers mois sur la salle, nous la défendrons tant que cela nous sera possible. Nos études régulières sur les abonnés prouvent que ces problématiques sont derrière nous, mais de fait les spectateurs sont encore plus exigeants avec les salles. Nos salles doivent être très homogènes. La tendance passée était d’avoir une grande salle prestige et autour des petites salles. Aujourd’hui une idée émerge : celle que toutes les salles soient identiques à quelques détails près. L’éventail se ressert.

D: Comment les UGC Cité Ciné s’insèrent-ils dans les politiques d’urbanisation mises en place par les gouvernements ?

HB: Nos interlocuteurs sont les élus. Pour prendre l’exemple de Paris : la Ville de Paris a une vision pour le cinéma dans la capitale qui doit être un mélange de temples et de salles de quartier. La mission cinéma de la Ville de Paris est attachée à une diversité d’opérateurs. La tendance aujourd’hui est aux appels d’offre, donc on s’inscrit dans ces contraintes.

D: Que dites-vous aux exploitants de salles indépendants, qui voient d’un très mauvais œil votre essor ?

HB: Je leur suggère que le Malthusianisme n’est pas une solution, car si on cesse le mouvement, tout le monde s’effrite. Mais vous avez raison c’est un sujet que l’on rencontre régulièrement. On leur propose aussi d’utiliser notre système d’abonnements : « Mutualisons avec un système de répartition pour que les gens dans une région donnée puissent aussi bien aller chez nous que chez vous ». À Paris cela fonctionne bien. La plupart des petites salles travaillent avec nous. Mais c’est vrai que le corporatisme prône dans notre métier. Nous avons une vision, qui est la suivante : nous revendiquons le droit de faire des lieux qui, comme je vous le disais, sont éclectiques. Il y a un certain nombre de gens qui préfèrent, si vous voulez, les clivages. Que les multiplexes soient clairement sur le cinéma de divertissement Mainstream et que le cinéma d’art et d’essai soit plutôt dans les salles indépendantes. Nous pensons que ce n’est pas le meilleur système, y compris en termes de volume. Beaucoup de producteurs et distributeurs de films nous suivent, je ne connais pas un auteur ou un producteur de film d’art et d’essai qui n’aurait pas envie de voir son film aux Halles, il est bien conscient que c’est aussi là qu’il va faire des entrées.

D: Quelle est la valeur ajoutée des architectes star dans vos projets, les Renzo Piano, Starck etc … ? Est-ce un effet tendanciel ?

HB: Le souci d’architecture et d’aménagement intérieur est une nécessité dans notre métier. Les cinémas des années trente étaient magnifiques, en terme de décoration etc … Ceux construits dans les années soixante-dix ont été faits n’importe comment, car l’idée était de rajouter des écrans à une époque où la concurrence avec la télévision était plus faible, les gens étaient presque prêts à s’asseoir par terre pour voir les films. Je suis plus nuancé quant au Star System en architecture. Tous les bons architectes ne sont pas nécessairement des stars. La réalisation d’un cinéma stimule un architecte, c’est un objet qui reçoit un public, où les enjeux de volume, de circulation et de scénographie sont cruciaux. Cela redonne un statut aux salles, une dignité, un cachet. 

D: La tendance actuelle semble être au rejet des grands multiplexes, et au retour aux salles plus confidentielles, et surtout en centre ville versus les périphéries, vous sentez-vous en danger ?

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HB: Nous ne nous sentons pas en danger, car nous visons déjà les centres. La notion de centre et de périphérie est très subjective. Lorsque l’on crée un cinéma à Aulnay-sous-Bois, vu d’ici quand on est avenue Hoche, Aulnay-sous-Bois c’est la périphérie, mais pour ses habitants c’est un cinéma de centre-ville. Je parlerais plutôt de zone urbaine ou non. C’est vrai qu’il existe des cinémas au milieu des champs de betteraves. Je ne dirais pas qu’il y a un rejet des multiplexes, car le multiplexe offre des qualités de projection qui sont quand même très appréciées des gens, les résultats le montrent. Cependant, là où vous avez raison, c’est que la demande de proximité grandit. Les Halles, c’est un multiplexe de 20 salles, mais il a aussi une fonction de proximité. Les gens y arrivent en trois stations de métro. Pour répondre à cette demande nous devons continuer le développement des salles. Le choix, les spectateurs ne l’ont pas dans un cinéma à deux salles. Et c’est là une subtilité de notre métier : comment concilier à la fois la proximité et la diversité ? Cette tendance aux salles plus confidentielles est aussi la réponse à un nouveau phénomène : le vieillissement des spectateurs. La spectatrice femme, l’abonnée de plus de 60 ans, est redoutable. Elle est là tous les jours. Toute une série de salles (l’Odéon, la Pagode … ) est fréquentée par un public, plutôt plus adulte, qui apprécie aussi de ne pas avoir une foule et ces grandes allées et venues, etc… La diversité est là aussi, ce n’est pas l’un contre l’autre. Il y a des cinéphiles qui en couple vont aller à la Rotonde voir un film, et qui à un autre moment avec leur enfants, ou leurs petits enfants, vont aller à Bercy voir un film en 3D. Les gens ont souvent un cinéma de référence, on le voit dans les statistiques, la proximité étant un élément clé, c’est normal. Le cinéma qui démontre très bien cela, c’est le Luxor, dont le lancement est un succès.

D: Quelle serait pour vous la salle de cinéma ultime ?

HB: Pour vous répondre je vais emprunter la vision de l’architecte Alberto Cattani.

Il a une sensibilité du volume des salles de cinéma qui est exceptionnelle. La salle ultime ce serait une espèce de lévitation, des fauteuils détachés du reste du monde ainsi que l’écran, … et tout le reste serait oublié. Alberto Cattani travaille ses salles avec des doubles peaux pour faire oublier l’enveloppe, et nous faire sentir dans un cocon immersif et flottant. La salle ultime serait une dématérialisation des enveloppes, il ne resterait plus que les fauteuils et l’écran …

D: Quelles seraient pour vous les révolutions ou les grandes tendances à venir pour 2015-2016 ?

HB: Un projet de cinéma peut mettre dix ans … les deux prochaines années, c’est court. Notre calendrier à court terme va voir sortir une ou deux opérations d’envergure type Paris 19e, et un nouveau concept qui demande des autorisations administratives, pour nos nouvelles salles.

Les salles traditionnelles ont leur succès et leur intérêt car elles sont proches des gens, nous devons les faire évoluer. Comment retrouve-t-on de l’espace ? Comment on redesigne ? Comment on redonne du confort au niveau de l’accès et du hall ? Comment les cafés trouvent de l’espace sur les terrasses ? Comme on ne peut pas pousser les murs, on va aller vers de plus petites salles en terme de volume, mais avec des proportions bien meilleures…quitte à perdre des places mais à gagner en confort.


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