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SICARIO (Critique)

Publié le 29 mai 2015 par Cliffhanger @cliffhangertwit
SICARIO (Critique)SICARIO (Critique)SYNOPSIS: La zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue idéaliste du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d'intervention d'élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par un consultant énigmatique l'équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre.

En quelques films ( Un 32 août sur Terre, Maelström, Polytechnique, Incendies, Prisoners, Enemy et aujourd'hui Sicario), Denis Villeneuve s'est imposé comme un véritable esthète du nouveau cinéma d'auteur mondial, un metteur en scène à la patte artistique indéniable, à suivre de très près. Si le réalisateur canadien a su se démarquer, c'est avant tout par ses figures redondantes (appétence pour les personnages ambigus, bourrés d'angoisses et de peurs), ses thèmes récurrents (la religion, la dualité, la violence) et son style visuel enviable (il doit beaucoup à Roger Deakins, son directeur de la photographie attitré depuis Prisoners), le tout articulé autour d'un propos (regard assez critique sur l'Amérique vulnérable). Après avoir présenté le long-métrage Polytechnique lors de la Quinzaine des Réalisateurs au 62 ème Festival de Cannes, il est aujourd'hui de retour sur la croisette, et en compétition officielle cette fois, avec Sicario , un polar de haute voltige, au casting international ( Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin, Jeffrey Donovan, Jon Bernthal). Après un démarrage en trombe - une séquence d'arrestation brillamment mise en scène, suivie de la découverte macabre de cadavres dans les cloisons d'une paisible banlieue pavillonnaire - Villeneuve déploie tranquillement son intrigue, une histoire d'opération militaire contre le trafic de drogue entre les USA et le Mexique, puis nous scotche au siège sans jamais plus nous lâcher, jusqu'à un final hallucinant de maîtrise, d'effroi et d'intensité. Sicario est indubitablement haletant et percutant, stimulé par une tension à couper le souffle, où chaque séquence, montée au couteau, semble avoir été pensée pour provoquer une tachycardie chez le spectateur. On soulignera à cet égard l'incroyable travail opéré sur le son et l'image, le morceau de bravoure au milieu vaut ainsi particulièrement le détour - une authentique scène de guerre, complètement ahurissante, conjuguant l'infiltration d'un cartel puis l'exfiltration d'un baron mexicain de la drogue - filmée en temps réel de manière sèche et brutale, avec une musique de Johan Johannsson composée au rythme des battements de cœur (gimmick très à la mode en ce moment). La mise en scène virtuose de Villeneuve, alerte et pleine d'initiatives, dramatise le danger et crée une sensation d'inquiétude, palpable tout au long de la séquence (et du film), avec une atmosphère tendue, accrue par la photographie démente de Roger Deakins et les performances habitées des comédiens. Dès lors, Sicario sidère par sa puissance visuelle, la justesse de son tempo, l'efficacité de la narration, qui transforme chaque passage en un moment d'anthologie.

SICARIO (Critique)

Une touche de No Country for Old Men par ci (les frontières et les limites qui n'existent plus, la déshumanisation du monde, les séquences de suspense et d'action d'une intensité rare, le nihilisme cinglant du dernier acte), du Michael Mann et Clint Eastwood par là (les fusillades, les poussées étonnantes de violence), un soupçon de Soderbergh ( Traffic) en toile de fond (pour le sujet, la construction chorale et la charge politico-sociale), du Zero Dark Thirty sur la fin (les images " green light " d'assaut undercover), Villeneuve a parfaitement digéré ses maîtres, et réussit parallèlement à imposer son point de vue. Car si certains s'attarderont - à tort - sur la simplicité et la linéarité de la trame, elle n'en demeure pas moins extrêmement riche, imprégnée des idées du cinéaste. Sicario lui permet en effet de mettre une nouvelle fois l'Amérique à nue, retranchée derrière sa sempiternelle hypocrisie. Les failles du système judiciaire, les limites du pays, qui se voile la face contre ses propres maux, le cynisme ambiant sont ainsi révélés avec panache par le québécois, qui s'est accaparé l'excellent scénario de Taylor Sheridan (acteur/auteur, vu dans Sons of Anarchy) pour y convoquer ses thèmes de prédilection. Pour preuve, il est question, un peu de la même manière que dans Prisoners, de deux autorités (le FBI, dont fait partie la très sérieuse mais un peu naïve Emily Blunt et une mystérieuse agence du gouvernement, avec Josh Brolin et Benicio Del Toro en leads/ Jake Gyllenhaal et Hugh Jackman), aux méthodes radicalement opposées (la justice contre la barbarie), qui convergent inexorablement vers le même but (stopper le cartel/retrouver la petite fille enlevée).

SICARIO (Critique)

La réalité des USA dévoilée, les systèmes d'ordre égratignés, on retrouve évidemment tout ce qui fait le sel du cinéma de Villeneuve avec en premier lieu l'intrigue noueuse, des protagonistes tourmentés, perpétuellement en proie aux questionnements moraux, ainsi qu'un plan final d'une puissance hallucinante. A l'instar du père frustré ou du flic obsédé dans Prisoners , de l'inconnu à la recherche de célébrité rêvée dans Enemy, Benicio Del Toro compose ici à la perfection un personnage froid, ni vraiment bon, ni vraiment mauvais, et dont on ne sait jamais réellement pour qui/pourquoi il agit (représailles personnelles ? pantin de l'Etat ?). L'acteur, psychiquement torturé, physiquement métamorphosé, n'avait pas été aussi convaincant depuis des lustres. De même, l'agent du FBI carriériste, professionnelle et volontaire qui revoie ses idéaux à la baisse après avoir cerné les crimes qui gangrènent son pays est campé avec assurance par Emily Blunt, sur une partition assez proche de la Jessica Chastain mi déterminée mi tétanisée de Zero Dark Thirty. Au passage, notons que cette héroïne forte, à l'instar de Maya dans le film de Bigelow, permet au réalisateur d'offrir une dimension très moderne à son thriller, allant même jusqu'à critiquer le sexisme dont elle fait les frais au cours de son périple. On salue enfin la prestance du géant Josh Brolin, qui, en dépit de son faible temps de présence à l'écran et de son rôle assez flou, confirme après son interprétation dingo d' Inherent Vice qu'il est l'un des plus grands acteurs de sa génération. On est curieux de voir ce que Denis Villeneuve fera de Blade Runner 2. D'ici là, Sicario, son dernier long-métrage présenté en avant-première sur la croisette à l'occasion du Festival de Cannes 2015, s'avère être un thriller ambitieux et immersif, d'une remarquable intensité, et totalement en phase avec l'actualité. Il aurait largement mérité sa place au palmarès, ne serait-ce que pour sa mise en scène minutieuse.

SICARIO (Critique)

Titre Original: SICARIO

Réalisé par: Denis Villeneuve

Genre: Drame, Thriller, Policier

Sortie le: 7 Octobre 2015

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Catégories: Critiques Cinéma

Tagged as: Benicio Del Toro, denis villeneuve, EMILY BLUNT, Enemy, incendies, Jeffrey Donovan, Jon Bernthal, JOSH BROLIN, Maelström, Polytechnique, prisoners, Roger Deakins, Sicario, Sicario critique, Un 32 août sur Terre


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