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Entretien avec Eric Lafforgue

Publié le 03 juin 2008 par Pixfan @pixfan

Eric Lafforgue nous fait le plaisir de répondre aux questions de Pascal Montagne.

Pascal Montagne : Une petite présentation de ton parcours : au départ amateur, comment as-tu progressé ? en combien de temps ?

Eric Lafforgue : Je fais sérieusement de la photo depuis 2 ans, avant , je prenais des photos pour ramener des souvenirs! j’ai un parcours multimédia: mobile, radio, tv, presse, il me manquait
une composante photo, j’ai commencé à poster mes clichés sur Flickr, les retours ont été immédiats, je me suis pris au sérieux en m’équipant un minimum, les commandes ont afflué, Kubik m’a proposé d’éditer un livre de mes “Papous”, Hoaqi m’a fait signer un contrat, tout cela en l’espace de 2 ans. Tout est allé très vite en fin de compte. Et puis j’aime bien les défis: être publié en était un nouveau pour moi!

PM : On peut consulter ton matériel sur le net (hasselblad numérique, mark III, M6) mais peux tu nous exposer quelle est la destination / l’utilisation privilégiée de chaque boîtier ?

EL : Dans un monde parfait, je ne shooterais qu’avec le H3D-39 Hasselblad. Mais il a 2 inconvénients: il est gourmand en lumière, et est lent. A part cela, c’est juste un monstre de couleurs et de finesse. Je double donc avec le Canon Mark3, qui est rapide, fonctionnel, mais
qui reste à des années lumières du rendu H3D. Pour le Leica M6, je m’en sers assez souvent pour les photos en noir et blanc, mais les passages de douanes avec les fouilles poussées et les questions sans fins sur les pellicules me rebutent de plus en plus. Surtout à Roissy!
Enfin, je prends aussi un Polaroid, pour laisser des photos aux gens et je me mets à en garder aussi, car le rendu est de plus en plus vintage!

PM : Tu as écris que 90% de la photo c’est un bon sujet, alors qu’est ce qu’apporte en plus un matériel professionnel ?

EL : Le matériel pro est l’assurance de ramener une photo avec une qualité optimale et publiables sur tous supports. J’ai de nombreux regrets lorsque je vois les photos prises avec un petit Minolta à 4 millions de pixels, le sujet est fantastique, le résultat à pleurer!

PM : Pourrais tu décrire ta façon de photographier d’un point de vue technique (réglages, cadrage, etc) ?

EL : Mes principaux soucis sont le point et la lumière. Le point, ça peut paraître étonnant, mais comme je prends beaucoup de sujets en mouvement, pour garder le naturel de la situation, c’est essentiel! La lumière évidement car on ne rattrape pas tout en post prod! Comme je shoote principalement en numérique, le cadrage n’est pas ma première préoccupation.

PM : Beaucoup de photographes ont une certaine inhibition par rapport à leur sujet, ils n’osent pas shooter si ils ne connaissent pas leur sujet, une sorte de timidité photographique. As tu des trucs pour “oser” quelques soit les situations et les personnes photographiées ?

EL : Je n’ai pas de trucs particuliers, et je n’ai pas trop le choix vus la barrière de la langue et les endroits isolés où je me rends, si je ne me décide pas, je rentre bredouille! Avant d’oser, il faut prendre le temps de rester dans un endroit, de passer, repasser, pour se fondre dans les lieux, ça évite de passer pour un mercenaire ou un espion!

PM : Une magnifique photo volée, c’est mieux que ne pas faire de photo et respecter l’interdiction d’un sujet ?

EL : Il y a plusieurs cas de photo dite volée… volée car le sujet vous a vu, mais a refusé…volée car le sujet ne sait pas que vous shootez..volée car le contexte interdit les prises de vues. Dans ces 3 cas, tant que je ne mets pas en danger la personne shootée, je passe outre la réflexion prolongée! Les plus belles photos de certains photographes baroudeurs sont souvent prises depuis la fenêtre d’un 4×4 qui roule! Je ne vais pas dénoncer, mais c’est le cas!

PM : Pour toi, une photo ne doit pas être retouchée, où photoshop est il maintenant un outil aussi important que le boitier photo ?

EL : Je ne shoote qu’en Raw ou 3FR, aussi bien avec le Canon qu’avec le H3D, donc, pour moi, il n’y a pas de débat photoshop or not photoshop. Je dois passer par un outil de “développement” numérique. Je passe par Lightroom ou Phocus, puis je finis dans photoshop. Je ne suis pas un
expert de Photoshop, j’arrive à peine à faire des calques.. Lorsqu’une photo mérite un traitement spécifique, je m’adresse à un vrai pro, comme Pierre Beteille http://www.flickr.com/photos/pookhy/

Question retouches, je pense que seul le résultat compte. regardez Nick Brandt et ses photos d’animaux. Lorsqu’il a dévoilé sa manière de travailler, tout le monde a été bluffé!

PM : Donc tu considères que la manipulation poussée de l’image fait partie d’un travail actuel de photographe ?

EL : c’est obligatoire, sinon, j’ai une photo plate qui ne correspond même pas aux couleurs naturelles… Pour moi il n y a pas débat.

PM : Peux tu décrire quels sont les modifications les plus fréquentes dans tes photos ?

EL : Recadrage, affinage de la netteté, egalisation de la balance des noirs et des blancs… en général, c’est tout!

PM : Où doit s’arrêter la retouche d’une photo ? bref, à quel moment l’image n’est plus celle du photographe mais du devient celle du graphiste qui la manipule ?

EL : L’image ne peut pas tout à fait échapper à celui qui l’a prise! C’est un peu comme une chanson qui est reprise par un autre artiste…la base reste, c’est l’ interprétation qui change.

PM : Peux tu nous décrire le travail photoshop qu’il y a par exemple sur cette photo :

EL : Ça tient en 3 mots: les noirs ont été poussés dans le raw…ne restent donc plus que le maquillage très jaune, et les poils de barbe! Il faut vraiment des papous avec des maquillages extrêmes pour que ce type de “destruction” fonctionne!

PM : Peux tu nous détailler le processus numérique pour tes photos : un simple développement, utilisation de photoshop, aucune retouche ?

EL :
Première étape: j’essaie de retrouver les couleurs de la prise de vue avec l’exposition, les noirs (beaucoup), la saturation un peu, et la teinte. Je fais celà dans Lightroom. Puis je passe dans photoshop pour retailler la photo en A3, affiner les pixels, et effacer les taches numériques (une vraie galère).

PM : Pour les néophytes, peux tu décrire ce que tu entends par “affiner les pixels” ?

EL : Ça consiste à rendre la photo plus nette en jouant sur le diamètre des pixels..en tres gros!

PM : As tu quelques “trucs” que tu pourrais donner à des “photoshopeurs” débutant ?

EL : Je ne suis pas assez bon sous psp pour me permettre de donner des conseils! je suis plutôt à la recherche de conseils dans ce domaine!

PM : Quelle est ta démarche lorsque tu pars comme dernièrement en Corée du Nord ? sous-question : as tu un concept, un fil rouge qui guide ta/tes session(s) photo ?

EL : La Corée du Nord, c’est spécial car tu n’es pas censé pouvoir faire des photos “librement”. Tu as toujours 2 “guides” qui te suivent et épient tes moindres gestes… Donc j’ai du partir avec du matos light: Canon mark3, ringflash,100mm, 85mm, et 17-35. Le concept était de ne pas
avoir de préjugés et surtout de tenter de voir la vraie vie. Les photos que j’ai ramenées semblent avoir beaucoup touché les coréens du sud car en un week end, 500 000 photos ont été vues sur Flickr ! Je pense que ce doit etre un record pour un set sans paires de fesses!

PM : As tu pu voir la “vraie vie” de Corée ?

EL : J’ai vu ce qu’on a bien voulu me laisser voir, il ne faut pas se faire d’illusion..mais comme je suis allé sur la cote est et au sud du Nord, j’ai pu voir la vie paysanne..le gouvernement ne peut pas tout planquer sur le passage des touristes! C’est pauvre, misérable..mais pas plus ni moins que certaines régions du monde que j’ai visitées. En Corée du Nord, c’est la privation de libertés individuelles qui s’ajoute à la situation déjà pénible.

PM : As tu eu des problèmes pour shooter, des interdictions, des menaces ?

EL : Aucune menace, non. les gens sur place ne font preuve d’aucune agressivité. Interdictions, oui, bien entendu, des problèmes, pas vraiment sauf que sans zoom, on loupe beaucoup de photos lorsqu’il est impossible de circuler librement!

PM : Une question plus technique : quelle est ton utilisation du ringflash, qu’apporte-t-il par rapport à un flash cobra ?

EL : Je trouve que le cobra a une tendance à ajouter beaucoup d’ombres disgracieuses…Le ring flash, même s’il n’est pas efficace à plus de 3 mètres, adoucit vraiment les ombres, voire les gomme. Je l’ai peu utilisé pour le moment.

PM : Quel sont les buts que tu poursuis en tant que photographe ?

EL : Je fais des photos depuis 2 ans, donc je découvre jour après jour cette activité. Je fais ce métier car j’y prends beaucoup de plaisir, et le fait de la partager avec le monde entier via Flickr ou mon site pro, en quasi direct, est une révolution pour le créateur.

PM : Y a t il une motivation plus personnelle ?

EL : Comme je l’ai dit, c’était aussi au départ une sorte de défi dans un milieu que je connaissais pas du tout et qui reste très fermé. Quand je me serai fait une petite place, j’envisagerai peut etre une démarche plus large, plus multimédia. Mais les journées n’ont que 24h!

PM : En tant que professionels, on entends quelquefois qu’il faut d’abord faire la photo et/ou le sujet que le client veut, plutôt que la photo et/ou le sujet que le photographe souhaite. En temps que photographe professionnel, comment te places tu par rapport à ça ?

EL : Pour le moment la question ne se pose pas, car je ne fais pratiquement pas d’ “assignment”. On m’en a proposé, mais je n’étais pas disponible, et les sujets ne m’intéressaient pas ou je ne savais pas faire, tout simplement!… Faire des photos de moulins en Hollande, c’est pas trop mon truc, par exemple! Le mois dernier CNN Traveller m’a commandé un sujet sur les Halles..Etant toulousain, c’était intéressant car j’avais du mettre les pieds 2 fois dans ma vie dans ce quartier…

PM : Quel types de relations entretiens tu avec les personnes que tu photographie, expliques tu ta démarche ? scénaristes tu certaines photos avec vos sujets ?

EL : J ‘essaie le moins possible de scénariser, autant shooter en studio à ce moment là! J’ai eu la chance de voir des Maîtres de la photo en action sur le terrain, ils scénarisent beaucoup, c’est assez surprenant! Je suis naïf sans doute!

PM : C’est assez curieux cette scénarisation, considères tu que c’est toujours de la photo ou une sorte de “théâtre photographié” qui est donc dévalorisé ?

EL : ça reste un support photo, mais il faut voir comment c’est “vendu” au spectateur pour ne pas le tromper sur la réalité supposée.

PM : Qu’est ce qui fait une bonne photo : le regard du photographe,la force du sujet, le moment ?

EL : Le sujet, le contexte, puis le photographe. A moins de prendre en photo des œufs au plat, je suis très tributaire de mes sujets comme je suis plus porté vers le portrait et l’humain. Le contexte ,car un bon sujet dans une lumière pourrie ne rendra rien (ombres sur le visages, absence d’éclairage…c’est commun!)

PM : Quel est le cliché connu que tu voudrais avoir fait ?

EL : Celle d’Armstrong sur la Lune… Mais je n’étais pas assez bon en math et physique à l’école…

PM : Quel est le cliché que tu voudrais ne jamais faire ?

EL : Je suis plutôt positif dans mes sujets, même en Corée du Nord, j’ai essayé de montrer qu’il y avait de la vie, des sourires. J’admire les reporters de guerre qui shoote des situations dramatiques, au péril de leur vie, je ne sais pas si je serais capable de faire la même chose.

PM : Quel est ton prochain projet ?

EL : Mettre à jour mon stock de photos! Et aller vers l’Amérique du Sud, que je ne connais pas du tout..Panama, Guatemala. Et peut être revenir en Corée du Nord si je peux avoir un visa!

PM : La photo aujourd’hui est beaucoup plus présente sur le net que dans les galeries, et se transforme avec le net : flickr, photosig, etc. peux tu nous donner tes impressions sur ces évolutions ?

EL : Je suis le premier bénéficiaire de cette révolution numérique grâce à Flickr! J’avais tenté d’envoyer des sujets à des magazines via des CD, je n’ai jamais eu de réponses! Grâce au web, ce sont eux qui me trouvent et pas moi qui dois les chercher! Le flux est inversé…Certes, la concurrence est mondiale, instantanée, mais tout le monde est sur un pied d’égalité!

PM : La diffusion en masse des photos par Flickr (tes clichés sont téléchargeable en 800px par 1000px souvent) ne te gêne visiblement pas, n’as tu pas peur de dévaloriser ton travail ?

EL : Les gens qui me piquent les photos ne sont pas les medias qui payent, ceux là sont clean, et ne se risqueront pas ce type d’action illégale. Mettre mes photos en plus petit ne les avantage pas toujours.. Flickr est une superbe vitrine, mes photos font 7000×5000 pixels pour certaines, les mettre en 500×300 , c’est un peu gâcher!

PM : Y a t il des photographes inconnus que tu admires, de futurs Eric Lafforgue qui se feront connaître aussi par le net ?

EL : Flickr en est plein! J’aime bien ce que fait Nygus par exemple, un photographe polonais, il n’est pas inconnu, mais gagnerait à être encore plus connu!
Le Flickr de Nygus : http://flickr.com/photos/nygus/

PM : le mot de la fin ?

EL : Si tu es blonde, avec une forte poitrine, et que tu aimes la photos, je peux te donner à tagger les 5000 photos que j’ai en retard. Je crois que c’est une bonne conclusion!

:-)

Merci Eric d’avoir consacré du temps pour cette interview, nous te souhaitons une longue carrière, et encore plus de succès.

Retrouvez toutes ses photos sur Flickr : Eric Lafforgue et sur son site : Eric Lafforgue.


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