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Le tour du quartier, de Pierre de Grandi

Publié le 16 juin 2015 par Francisrichard @francisrichard
Le tour du quartier, de Pierre de Grandi

Quand on veut mieux cerner le monde qui nous entoure, rien de tel que de chausser d'autres lunettes que les siennes pour l'observer. Ces autres lunettes permettent en effet de voir ce monde ... autrement. Une lapalissade...

L'expression de lunettes est bien entendu métaphorique. En fait, on prend la place, par exemple, d'un étranger qui découvre notre monde avec ses yeux et avec les préjugés de son monde à lui. Voltaire a utilisé ce procédé avec son huron dans et Montesquieu avec ses persans dans Les lettres persanes.

Dans Le tour du quartier, Pierre de Grandi regarde le monde de quelques humains à travers les yeux d'un être qui leur est encore plus étranger, puisque ce sont ceux d'un chien. Et il ne tombe pas dans un anthropomorphisme facile, sinon par obligation de raconter ce qu'il voit par la voix de ce canidé, non dépourvu d'humour.

Le chien est on ne peut plus chien. Bon, c'est un chien domestique, très attaché, dans plusieurs acceptions du terme à sa patronne, une belle blonde qu'il appelle Chérie et qui sort avec Albert. Il l'aime en effet suffisamment pour ne pas prendre sa laisse en grippe.

Ce chien est un chien sur mesure, " à la fois fidèle et indépendant, exclusivement dédié à sa personne quand elle le souhaite et totalement autonome pour ne pas la gêner lorsqu'elle est occupée". Quand Chérie l'emmène promener il ne tire pas sur sa laisse comme nombre de ses congénères. En contrepartie il a toute latitude, à d'autres moments, pour faire le tour du quartier.

Le kiosque du père Gilbert, le parc municipal, un abribus etc. se trouvent sur son circuit. Pour communiquer avec les autres canidés, et notamment avec sa chienne préférée, il lève la patte et envoie son jet, chemin faisant, à des endroits propices.

Ces véritables conversations canines font appel au nez. Le vocabulaire comprend ainsi, pour un chien lambda, une soixantaine d'idéogrammes: " En faisant remarquer que les chiens ont eux aussi des moyens de communication structurés, je réalise qu'il y a un peu d'humain dans le chien. Ça me rassure, car j'avais déjà observé qu'il y a pas mal de chien chez l'humain."

Lors de ses escapades, le chien fait la connaissance un jour d'un type allongé sur un banc dans un square. Le lendemain il le revoit. Une complicité s'établit entre eux. Les jours suivants, ce type ne revient pas.

Mais le chien le revoit un jour alors que Chérie l'a emmené faire un tour du côté du canal. Un coup de vent et la casquette du type s'envole et tombe à l'eau. Le chien va la chercher et la rapporter à l'inconnu, qui le devient de moins en moins pour lui.

Un autre jour, alors que bravement il est monté en douce dans un bus pour suivre la trace odorante de sa chienne préférée, le chien se retrouve en bord de mer, y rejoint sa belle et batifole avec elle.

Au retour de la plage il aperçoit le même type, rencontré plusieurs fois déjà, à la terrasse d'un restaurant en conversation avec une jeune dame. Pour attirer son attention, le chien ramasse le stylo que le type a fait tomber quand la jeune dame est arrivée...

Le type et le chien arrivent à converser ensemble. Le type a compris qu'il lui faut lui poser des questions fermées auxquelles le chien peut répondre en exécutant les mouvements de la tête que les humains exécutent pour dire oui ou pour dire non. Puis, comme il est tard, le type dépose la jeune dame devant chez elle et le chien en ville où il devait retourner.

Toutes ces rencontres ne peuvent être le fruit du hasard et sont des signes du destin. On doit toutefois patienter jusqu'à un peu plus des deux tiers du livre pour commencer à entrevoir le fin mot de cette histoire racontée jusque-là du point de vue d'un chien. Et le dénouement confirme que le type et le chien font décidément la paire.

Pendant une bonne partie du livre, donc, on veut bien croire qu'il s'agit d'un pur récit canin, même si l'on est confronté à quelques invraisemblances, parce que, dans l'ensemble, c'est très bien vu. Mais réalité et imaginaire finissent par se confondre et contribuer à la confusion des genres...

Comme c'est non seulement très bien vu, mais très bien écrit, on ne se demande pas, avec l'auteur, pourquoi il continuerait à écrire, et on se contente du plaisir qu'il y a à le lire. Comme lorsqu'il fait la description d'un " bénitier végétal":

" Deux grosses carpes se promènent cérémonieusement. Un héron bat des ailes et s'élève, s'éloigne étrangement de l'eau pour aller se placer sur une haute branche. Les arbres qui se partagent le ciel tout autour de l'étang reflètent leur exacte réplique sur la surface lisse de l'eau. Un couple de canards se dandine sur le sentier de terre, l'un derrière l'autre, dodelinant d'une tache d'ombre à un éclat de lumière. Ils se rejoignent dans une grande flaque de soleil: le colvert grimpe sur sa cane et la besogne en lui pinçant de son bec tantôt le sommet du crâne, tantôt la base du cou, le temps qu'une libellule bleue en rejoigne une autre, identique, et que toutes deux disparaissent dans une zone d'ombre. "

Francis Richard

Le tour du quartier, Pierre de Grandi, 244 pages, Plaisir de lire


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