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Nadia Hashimi : La Perle et la Coquille

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

La Perle et la Coquille de Nadia Hashimi  5/5 (18-06-2015)

La Perle et la Coquille (538 pages) sort le 19 Juin 2015 aux Editions Milady  (traduction : Emmanuelle Ghez)

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L’histoire (éditeur) :

Kaboul, 2007 : les Talibans font la loi dans les rues. Avec un père toxicomane et sans frère, Rahima et ses soeurs ne peuvent quitter la maison. Leur seul espoir réside dans la tradition des bacha posh, qui permettra à la jeune Rahima de se travestir jusqu'à ce qu'elle soit en âge de se marier. Elle jouit alors d'une liberté qui va la transformer à jamais, comme le fit, un siècle plus tôt, son ancêtre Shekiba. Les destinées de ces deux femmes se font écho, et permettent une exploration captivante de la condition féminine en Afghanistan.

Mon avis :

S’appuyant sur la réalité, Nadia Hashimi décrit à travers un double récit la condition féminine en Afghanistan à un siècle d’écart.

Rahima est une enfant de 9 ans que sa mère transforme en garçon. Comme le veut la tradition, elle devient et bacha-posh, prend le nom de Rohim et vient combler le manque d’hommes dans la famille (qui compte 7 filles et un père opiomane) . En contrepartie, Rohim est ravie de pouvoir continuer à aller à l’école avec son cousin et se promener dans les rues sans craindre le regard des hommes.

«  Ma marche se transforma en petites foulées quand je me rendis compte que je n’avais pas besoin d’être pudique et bien élevée. Je testai un vieil homme qui passait par là. Je plantai mes yeux dans les siens, et constatai qu’il ne réagit pas à mon audace. Électrisée, je me mis à courir plus vite. Personne ne me regarda de travers. Mes jambes étaient libérée, je courais dans les rues sans que mes genoux ne frottent contre ma jupe et sans me soucier des regards réprobateurs. J’étais un jeune homme et c’était dans ma nature de courir dans les rues. » Page 67

Mais à 13 ans, elle redevient Rahima lorsqu’elle doit devenir la quatrième femme d’un chef de guerre de quarante ans, puissant et violent (en échange d’une généreuse dote et de terres où l’on cultive l’opium).

« _ Tu es une Rahima. Tu es une fille et tu ne dois pas oublier de te comporter comme telle. Fais attention çà ta façon de marcher et de t’assoir. Ne regarde pas les gens dans les yeux, surtout les hommes, et parle à voix basse.

Elle eut l’air de vouloir ajouter quelque chose mais s’arrêta net, la voix brisée.

Mon père me regarda comme s’il découvrait une nouvelle personne. N’étant plus son fils, j’étais un être négligeable. Après tout, je ne serais plus à lui pour très longtemps. » Page 172

Parallèlement au récit que nous livre Rahima, nous découvrons l’histoire de Shekiba, son arrière-arrière-grand-mère, que sa tante vient lui conter à chaque visite.

« Mes petites, laissez-moi vous en dire plus sur votre Bibi Shekiba. Même si je déteste cette idée, cette histoire est votre histoire, soupira-t-elle en secouant la tête. Je suppose que nous portons tous en nous le destin de nos ancêtres. » Page 175

« _ Ah, et j’espère que tu en appris des choses. Tu es son héritière, après tout. Souviens-toi, ton arrière-arrière-grand-mère était Bibi Shekiba, garde au harem du roi. Dokhtar-em, ma chérie, je ne vais pas bien. Tu n’es plus une jeune fille naïve. Je partirai en paix si tu me dis que toutes mes histoires, tous les mattals que j’ai partagés avec toi, t’ont apporté de la sagesse et du courage. Rappelle-toi d’où tu viens. Bibi Shekiba n’est pas un personnage de conte de fée ? C’est ton arrière-arrière-grand-mère. Son sang coule dans tes veines et renforce ton âme. Marche toujours la tête haute. Tu es la descendante de quelqu’un, pas de n’importe qui. » Page 502-503

Comment vous dire ? La perle et la coquille est fabuleux. C’est une excellente histoire et une réflexion indispensable. Passionnante et éprouvante, elle vous attrape, ne vous lâche plus, vous prend aux tripes, vous touche profondément, vous blesse parfois, vous bouleverse et vous marque.

L’auteure use d’une écriture fine, douce, percutante, accessible et fluide, et d’une construction, entremêlant deux récits qui tient le lecteur et apporte rythme et addiction. Le parallèle entre Rahima et Shekiba se fait tout seul tant leurs vies respectives (différentes en apparence) sont identiques dans le fond. Elle donne évidement à réfléchir sur ces exemples qui reflètent douloureusement les conditions des femmes dans ce pays patriarcal, sur la charia, les différences culturelles et la disparité sexuelle. La violence, la négation, le viol et toutes les traditions, coutumes et abus (dont certaines femmes se rendent complices) font d’elles des marchandises, que ce soit il y a 100 ans ou encore malheureusement maintenant.

Il y a là évidemment beaucoup de passages difficiles et révoltants (lapidation, immolation, violences physiques et verbales quotidiennes…). Des moments qui vous font monter les larmes aux yeux, qui vous serrent le cœur et les poings et qui pourraient faire de ce livre une lecture insupportable s’il n’y avait pas le talent de Nadia  Hashimi, sa sensibilité et sa douceur qui rendent ce conte lumineux et ces deux femmes si remarquables. Oui, c’est dur et cruel, mais l’espoir et la liberté restent présents et le livre ne tombe pas malgré tout dans le pathos et l’apitoiement exacerbé.

« Shekiba. Voilà. Voilà le nom que j’aurais choisi. Celui de la bibi de ma bibi. La femme qui avait vécu la double vie que j’avais vécue, qui s’était promenée dans des vêtements d’homme, avait travaillé avec la force d’un homme et s’était débrouillée toute seule. Voilà comment j’appellerais ma fille, si je devais en avoie une. Si seulement. » Page 420

La perle et la coquille est un récit foisonnant qui ne laisse pas de répit au lecteur grâce à l’enchaînement des faits et des deux intrigues. Les pages se tournent à une vitesse incroyable, néanmoins je n’ai pas voulu lire le lire d’une traite (même si le style et l’écriture le permettaient).  D’une grande richesse et d’un réalisme bouleversant, cette lecture s’est faite avec quelques pauses. Et même si j’ai préféré la morceler, l’histoire de Rahima et de Shekiba était tellement présente en moi qu’à chaque fois que je reprenais le livre c’est comme si je venais de les quitter.

Car il y a quelque chose dans magistral dans ce roman. L’auteure n’encombre pas son texte de détails inutiles, elle nous plonge dans l’intimité des deux femmes sans édulcorer ni exagérer le côté larmoyant. Elle vous passionne et  vous émeut par leur courage (leur côté rebelle est incroyable, tout comme le personnage de Khala Shaima, la tante  acerbe mais d’une grande bonté et force de caractère)  et par la dureté de leur vie. Mais le fait qu’elles ne sont que deux exemples parmi tant d’autres vous marque plus profondément et vous pousse à réfléchir sur la nécessité de briser certaines traditions et d’imposer l’émancipation de la femme.

« Les gens proches de la mort n’ont pas grand-chose à perdre. Ils peuvent penser, dire ou faire des choses auxquelles d’autres ne se risqueraient pas. khala Shaima et moi étions toutes deux dans cette situation, elle à cause de sa santé, et moi parce que j’avais perdu l’envie d’ouvrir les yeux le matin. Une conversation commença à prendre forme entre nous. ? Une conversation faite de silence, de mots déguisés, de regards entendus. Elle et moi avions du mal à formuler nos pensées, mais il y avait là un chemin à explorer.

Car comme Khala Shaima l’avait souvent dit, nous avons tous besoin d’une échappatoire. » Page 462

« Je suis désolée, Khala-jan. Je suis désolée de ne jamais t’avoir remerciée de t’être battue pour moi, pour tout ce que tu m’as appris, pour les histoires que tu m’as racontées, pour l’échappatoire que tu m’as offerte. » Page 537

En bref : profond et inoubliable !


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