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“L’imminence” de la dislocation de la banquise et d’une “nouvelle ère” dans l’Arctique, par Dahr Jamail

Publié le 22 juin 2015 par Blanchemanche
#climat #Réchauffement #Arctique
“L’imminence” de la dislocation de la banquise et d’une “nouvelle ère” dans l’Arctique, par Dahr JamailÀ mesure que les perturbations climatiques d’origine anthropique s’intensifient, le niveau des mers s’élève bien plus rapidement que prévu. (Photo : Iceberg via Shutterstock)Récemment, j’ai entrepris avec deux amis d’escalader le magnifique mont Baker, au sommet recouvert par un glacier, dans l’état de Washington. Alors que nous étions encordés, grimpant un glacier, notre route déboucha sur un cul de sac, quelque 500 mètres en deçà du sommet.Étant donné que la saison d’escalade était (techniquement) encore peu avancée, et que nous empruntions le trajet normal, nous avons été assez déconcertés de découvrir un pont de neige, sur le point de s’effondrer, traversant un gouffre de trois mètres de large. Comme nous n’avions pas pu trouver un moyen de contourner ce vide béant, nous avons décidé de rebrousser chemin, et de revenir plus tard.Après avoir démonté notre campement, nous en retournant à pied, nous avons fait une pause pour manger dans la petite ville voisine de Glacier (Washington). La serveuse nous parla d’un ami à elle, qui travaillait là-bas à l’US Forest Service [NdT : Eaux et Forêts US], et qui lui avait dit que la région avait reçu l’année passé “le plus petit niveau de précipitations de ces 100 dernières années”.Alors que nous planifiions notre prochaine expédition au mont Baker, un de mes amis de cordée parla avec un guide local, lequel l’informa qu’en dépit du fait que nous n’étions qu’à la mi-mai, “les conditions d’escalade équivalaient déjà celles d’une seconde quinzaine de juillet… les crevasses s’ouvrent, et les ponts de neige fondent déjà comme si nous étions en fin de saison”.Grimper en montagne au beau milieu de perturbations climatiques anthropiques (ACD, anthropogenic climate disruption) est en train de devenir, comme tout le reste dans la vie, de plus en plus ardu – et de plus en plus dangereux, également.Les signes sont partout autour de nous, tous les jours. Il nous suffit d’ouvrir les yeux sur les changements qui interviennent autour de nous. Il nous faut regarder de près, et réfléchir à ce qui est en train d’arriver à la planète.Maintenant, agrandissons le tableau pour notre perturbation climatique du mois, et cramponnez-vous, une nouvelle difficile vous attend.Les transformations dans l’océan Arctique sont devenues si profondes que la région est entrée dans ce que des scientifiques norvégiens appellent une “nouvelle ère”. Il faut s’attendre à des “conséquences d’une portée considérable” en raison du passage d’un état de couverture glaciaire permanente à celui d’une couche plus fine, disparaissant en été, préviennent-ils.Dans l’intervalle, la montée des eaux se produit à présent bien plus vite que quiconque ne l’avait prévu, selon une étude publiée récemment par des climatologues en Australie. L’étude montre que la montée du niveau des mers n’a cessé d’accélérer dans les deux dernières décennies.La NASA, de son côté, a rendu publique une étude révélant que les régions polaires de la planète sont au milieu d’une transformation sans précédent, et montrant que l’énorme plateau glaciaire Larsen B en Antarctique, vieux de 10 000 ans, va bientôt s’effondrer – peut-être dès 2020.Et ces tendances s’accélèrent, ainsi le mois de mars a vu le taux mondial moyen de concentration en dioxyde de carbone atteindre les 400,83 parties par million (ppm). Si l’on en croit la National Oceanic and Atmospheric Administration, c’est la première fois que le taux moyen crevait le plafond des 400 ppm pendant un mois entier, et ce depuis le début de ces mesures à la fin des années 50.La terrePour commencer à propos de la terre et sur le front des sols, les changements arrivent avec une étonnante rapidité.Une étude publiée par des chercheurs en Suède et en Chine révèle à quel point les perturbations climatiques anthropiques peuvent sérieusement altérer les perspectives de survie de la quasi-totalité du vivant sur la planète, et en particulier des oiseaux. Les chercheurs ont montré comment, au cours de la dernière ère glaciaire, eut lieu un sévère déclin pour la vaste majorité des espèces étudiées, ce qui est justement ce que nous observons actuellement. Une quantité massive d’espèces d’oiseaux connait actuellement un déclin dramatique.Un exemple frappant de ceci se produit en Ohio, où les oiseaux sont dévastés par les conséquences des ACD, selon le meilleur scientifique de la société Audubon, qui s’attend à ce que les choses empirent.En Californie, la méga-sécheresse actuelle est déjà responsable de la mort de 12,5 millions d’arbres dans les forêts domaniales de cet état, selon les scientifiques de l’US Forest Service. Les scientifiques s’attendent à ce que la mortalité massive se poursuive. “Il est presque certain que des millions d’arbres supplémentaires vont périr au cours de l’été prochain alors que la situation de sécheresse continue et devient toujours plus persistante”, déclare le biologiste Jeffrey Moore, responsable temporaire du programme régional de reconnaissance aérienne pour l’US Forest Service.Des recherches récentes sur la Californie montrent aussi que les forêts y sont en fait devenues des pollueurs du climat, plutôt que des réducteurs de dioxyde de carbone, du fait encore de l’impact des ACD. L’étude montre aussi que les gaz à effet de serre s’échappent des forêts de l’état plus vite qu’ils n’y sont réabsorbés, les incendies amplifiés par les ACD portant l’essentiel de la responsabilité.Presque partout dans l’ouest des États-Unis frappé par la sécheresse, les animaux sauvages meurent littéralement pour de l’eau, étant maintenant contraints de chercher eau et nourriture dans des zones éloignées hors de leur territoire, ce qui conduit à un accroissement important de la mortalité.Une autre étude récente montre qu’à mesure que les ACD progressent, les étendues de forêts majestueuses deviennent courtes et broussailleuses, à cause des changements de circulation des fluides dans le fonctionnement interne de la végétation.Pendant ce temps, les niveaux de dioxyde de carbone croissants et autres conséquences des ACD ont un impact massif sur la capacité des populations indigènes à pourvoir à leur propre santé, au fur et à mesure que les plantes médicinales disparaissent. Ce problème va bien au-delà des États-Unis : sur les 7,3 milliards de personnes vivant actuellement sur Terre, environ 5 milliards ne se rendent pas dans une pharmacie pour obtenir ce qui leur est prescrit.Sur ce point, une récente étude troublante dans Proceedings of the National Academy of Sciences[Actes de l'académie nationale des sciences] montre que le réchauffement climatique a déjà fait baisser les rendements en blé aux États-Unis. Aussi, nourrir 7,3 milliards d’humains (au moins) deviendra de plus en plus problématique.Plus largement, un récent rapport de scientifiques en Australie avertit que les ACD conduiront à l’accroissement des maladies, des morts et des conflits violents, au fur et à mesure que les pays se battront de plus en plus pour les ressources en nourriture et en eau.L’eauComme à l’accoutumée, c’est dans le domaine de l’eau que les conséquences des ACD sont les plus flagrantes, qu’il s’agisse d’un manque ou d’un excès d’eau.Dans le premier cas, nous avons le lac Mead, au Nevada, la plus grande réserve d’eau des États-Unis, qui a connu son niveau le plus bas de toute l’histoire connue.Là-haut, dans le nord-ouest pacifique – pas la région à laquelle on penserait lorsque l’on parle de sécheresse – une étude récente a découvert que davantage de montagnes étaient dépourvues de neige plus tôt dans l’année qu’elles ne l’étaient auparavant, étant donné que cette région a eu un hiver en grande partie dépourvu de neige, avec des manteaux neigeux à leur plus bas historique. Les gérants des eaux avaient espéré que les neiges tardives, ou bien les giboulées de printemps, rempliraient les nappes ; mais elles ne se sont pas produites. Au contraire, sur les 88 sites surveillés dans l’état de Washington, 66 étaient dépourvus de neige début mai, et 76% des sites à neiges permanentes contrôlés connaissaient un plus bas niveau historique d’épaisseur neigeuse en avril. En temps normal, à cette époque de l’année, ces sites devraient connaître leur maximum d’accumulation neigeuse.Les choses sont devenues assez critiques pour que le gouverneur de l’état de Washington, Jay Inslee, décrète à la mi-mai un état d’urgence pour la sécheresse, alors que l’épaisseur neigeuse en montagne n’atteignait plus dans cet état que 16% de la moyenne, et que les niveaux des fleuves et des rivières se réduisaient à un mince filet, tels qu’il n’en avait jamais été vus depuis les années 50. Inslee a également averti que “les habitants devraient également se préparer à une saison d’incendies précoces et intenses, qui pourrait atteindre un niveau plus grand dans les chaînes Cascade et Olympic, là où en de nombreux endroits la neige a déjà totalement disparu.Lorsque l’on regarde plus au nord encore, l’hiver passé a également été le plus chiche en neige jamais observé à Anchorage, en Alaska, selon le Service Météorologique National.Si l’on traverse le Pacifique à destination de Taïwan, certes pas l’endroit que l’on penserait concerné par des problèmes de sécheresse, le pays connaît actuellement sa plus forte pénurie d’eau depuis plusieurs décennies. Les habitants de la côte ouest, densément peuplée, doivent rationner leur consommation d’eau.Plus haut, dans l’Arctique, notre canari dans la mine de charbon [NdT: utilisé pour détecter le grisou] pour ce qui est de l’impact des ACD, la situation devient de plus en plus extrême. Il y a eu moins de neige cet hiver dans l’océan Arctique que pendant tous les autres hivers depuis l’ère des satellites,selon la National Oceanic and Atmospheric Organisation.Une équipe scientifique internationale a récemment confirmé une crainte de longue date : l’énorme quantité de carbone actuellement emprisonnée dans les sols gelés et dans la toundra arctique va en fin de compte retourner dans l’atmosphère, grâce à la fonte du pergélisol. Ce qui nous fournit la preuve d’une boucle de rétroaction positive : les températures en hausse font fondre le pergélisol, libérant dans l’atmosphère le dioxyde de carbone jusque-là piégé, entraînant une nouvelle hausse de température, faisant fondre davantage de pergélisol, et ainsi de suite.Telle une version arctique du film d’action post-apocalyptique Mad Max, la fonte de la calotte glaciaire nord pousse certaines puissances occidentales, ainsi que la Russie, à délimiter et entretenir leurs revendications sur les nouvelles routes commerciales en voie d’ouverture ainsi que sur les sites d’extraction. En d’autres termes, le dernier acte en date de la guerre froide est sur les fourneaux.Dans l’Antarctique, cette équipe a mis en évidence une évolution tout aussi inquiétante.La plate-forme glaciaire Larsen C, bien plus étendue que Larsen A ou Larsen B, et environ deux fois et demie plus grande que le Pays de Galles, donne à penser qu’elle pourrait s’effondrer. Un étuderécemment publiée a ainsi pointé des mécanismes “facteurs de risques imminents” pour la couche glaciaire.Autre exemple de boucle de rétroaction, un rapport a récemment montré la corrélation entre l’accélération de la montée du niveau des mers et la vitesse sans cesse accrue de fonte des calottes glaciaires.Sur ce point, les chefs d’état des Caraïbes, dont les 14 pays insulaires sont en proie à l’acidification croissante des océans, à la hausse du niveau des mers et à des périodes d’ouragans de plus en plus intenses, placent tous leurs espoirs de survie pure et simple dans le prochain Sommet Climatique de Paris qui doit se tenir dans l’année.Le feuLa sécheresse persistante en Californie est en train de transformer la totalité de l’état en poudrière, alors que plusieurs années d’extrême aridité ont conduit des experts à prévenir que la sécheresse et le contexte actuel constituaient “les ingrédients d’un désastre”. La Californie dépense déjà une somme supérieure à celles des 10 autres états de l’ouest cumulées pour combattre les feux de forêt, et le décompte total des feux pour cette année est de 967, une hausse de 38% par rapport à la moyenne annuelle depuis 2005. La surface brûlée atteint déjà le double de ce qu’elle était l’année dernière à la même date, et se situe 81% plus haut que la moyenne depuis 2005.Dans les autres états de l’ouest des États-Unis, la saison des incendies s’annonce tout aussi sinistre. Tandis que la sécheresse n’en finit pas de s’aggraver dans l’ouest et le nord-midwest des États-Unis, le Forest Service s’attend à un coût avoisinant les 1,6 milliard de dollars pour la lutte contre les incendies de forêt pour l’année 2015, dans une saison des incendies annoncée comme bien pire que la “normale”.Une étude récemment publiée par des chercheurs du National Park Service, de l’Université de Californie à Berkeley, ainsi que d’autres institutions, a confirmé ce que nous savions déjà : lorsque des portions de forêt asséchées partent en fumée, le feu contribue aux ACD, déclenchant une autre boucle rétroactive.L’airUn article récent publié dans Nature Climate Change a révélé que 75% des jours anormalement chauds dans le monde et 18% des épisodes extrêmes de neige et de pluie sont directement attribuables aux ACD.Deux articles récemment publiés par des scientifiques de l’UCLA [Université de Californie à Los Angeles] montrent qu’à partir de 2050, il est prévu que certaines parties du Comté de Los Angeles connaissent trois à quatre fois plus de jours de chaleur extrême (journées au-dessus de 95°F [35°c] qu’actuellement.Sur ce point, une autre étude publiée récemment indique que l’exposition des Américains aux chaleurs extrêmes devrait augmenter d’un facteur six d’ici 2050, du fait d’une combinaison de hausse des températures et d’une croissance rapide de la population dans le sud et l’ouest.L’actuelle sécheresse en Californie a aussi rendu la qualité de l’air dans cet état bien moins bonne, selon un récent rapport de l’American Lung Association.Outre-Atlantique, des scientifiques ont averti que les années de record de chaleur en Angleterre sont officiellement devenus 13 fois plus probables en raison des ACD.Un autre récent rapport montre que, du fait des ACD, les ouragans, dans le monde, devraient arriver par grappe et être bien plus puissants que par le passé.Déni et réalitéIl ne semble pas y avoir un instant de répit dans le camp du déni des ACD aux États-Unis. La Commission de la Chambre des Représentants chargée d’autoriser les dépenses de la NASA a récemment pris pour cible une des priorités de l’administration Obama par un vote partisan encoupant les dépenses pour les “sciences de la Terre” : les missions qui étudient les ACD. L’objectif des opposants est de retirer les financements aux recherches sur l’environnement et les sciences de la Terre, qui pourraient aider les décideurs politiques à mesurer comment réguler la pollution et prévoir les effets des ACD.En Alaska, la sénatrice Lisa Murkowski, faucon anti-écologiste, presse l’Environmental Protection Agency [agence de protection de l'environnement] de retirer son état de ceux où l’agence contrôle les émissions des centrales énergétiques en vertu des règlements ACD – et il semble qu’elle pourrait obtenir gain de cause.Au sud, en Floride, alors même que la hausse du niveau des mers y est chaque jour une plus grande menace pour les côtes, il n’y a plus aucun plan à l’échelle de l’état visant à atténuer cet aspect de l’impact des ACD.Les États-Unis ne sont pas le seul pays à connaître un mouvement de dénégation des causes anthropiques du réchauffement climatique. En Australie, l’ancien et respecté président de la Commission pour le Climat, dissoute par le premier ministre conservateur Tony Abbott en 2013, a récemment mis le gouvernement au défi d’expliquer la raison du financement par ce même gouvernement d’un “institut de recherches” consacré à la réfutation des causes anthropiques du réchauffement climatique.Je ne sais si le prochain point est à ranger dans la catégorie “déni” ou “réalité” : aux États-Unis, le président Obama, qui a donné son feu vert aux opérations de forage en haute mer aussi bien dans l’Arctique que sur la côte atlantique, a avancé que les ACD présentaient un “risque immédiat” pour les États-Unis et a argumenté en faveur d’une action d’urgence au titre de mesure de sécurité nationale.Pleinement engagé sur le front de la réalité, le directeur de la Banque Mondiale a récemment déclaréque les ACD représentaient “une menace fondamentale” pour le développement, reconnaissant ainsi l’avancée des dangers.Le ministère de la défense américain, peu réputé pour sa préoccupation en matière d’environnement, est maintenant largement engagé dans la préparation et l’adaptation aux ACD.Également peu connu pour son angoisse des ACD, le ministre saoudien du pétrole, Ali al-Naïmi, a annoncé il y a peu l’intention de son pays de passer intégralement à l’énergie solaire à l’horizon 2040-2050 : “Nous nous sommes engagés dans un programme de développement de l’énergie solaire”. Espérons qu’un jour, au lieu d’exporter du combustible fossile, nous exporterons des gigawatts, d’origine électrique. Est-ce que cela sonne bien ?”Oui, M. le ministre, quoique cela arrive un peu tard.Toujours sur le front de la réalité, les Nations-Unies et le Vatican ont joint leurs forces contre les négateurs des ACD, prévenant le monde des conséquences des ACD, tout en se jetant sur les “climato-sceptiques”. L’ancien Secrétaire Général des Nations-Unies, Kofi Annan, est sorti de sa réserve en déclarant : “Nous devons affronter les climato-sceptiques qui nient les faits.” Le Pape François a donné pour instruction aux chefs de l’Église Catholique de se joindre aux hommes politiques, aux scientifiques ainsi qu’aux économistes pour établir une déclaration selon laquelle les ACD ne constituent pas seulement une “réalité scientifique”, mais qu’il y a également un devoir moral et religieux à faire quelque chose à ce sujet.Tout cela est bien, mais nous ne pouvons pas dormir sur nos deux oreilles. Il n’y a pas un instant à perdre : une analyse publiée récemment dans le prestigieux journal Science nous montre qu’un sixième des espèces mondiales est à présent en voie d’extinction.Source : Truthout, le 01/06/2015 21 Juin 2015 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.http://www.les-crises.fr/limminence-de-la-dislocation-de-la-banquise-et-dune-nouvelle-ere-dans-larctique-par-dahr-jamail/

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