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Album Casanova, de Michel Delon

Publié le 25 juin 2015 par Francisrichard @francisrichard
Album Casanova, de Michel Delon

L'album de la Pléiade, fort de 174 illustrations (dont des reproductions du manuscrit original d'Histoire de ma vie), comportant un index détaillé, est consacré cette année à Casanova, autant dire à un homme à la fois connu et méconnu. Ainsi Casanova est devenu un substantif: "Un casanova est un homme qui enchaîne les conquêtes amoureuses." Mais connaît-on pour autant, vraiment, l'homme qu'il fut et... son oeuvre littéraire? L'album réalisé par Michel Delon comble magnifiquement cette lacune.

L'album commence par une citation, peut-être apocryphe. A Madame de Pompadour qui lui aurait demandé s'il était vraiment de là-bas, c'est-à-dire de Venise, Giacomo Casanova aurait répondu: "Venise n'est pas de là-bas, elle est de là-haut." Après les avoir explicitées, Michel Delon se saisit de ces deux locutions pour qualifier cet homme hors du commun: "Là-bas désigne une réalité, là-haut une fiction en laquelle Casanova a changé son histoire et un mythe qu'il est devenu lui-même."

La réalité est que, promis à l'Église, il abandonne vite l'habit d'abbé, qu'il ne revêt qu'un temps l'uniforme d'enseigne de vaisseau de la marine vénitienne, qu'il est en quête permanente d'un protecteur et qu'il "trouve une unité de vie dans l'art d'aimer"... Et Michel Delon évoque quelques figures qui "échappent à la simple suite de noms" d'une liste de rencontres amoureuses que le séducteur, qui se veut homme du monde et libertin, n'a jamais établie lui-même.

Dans ces mémoires, il raconte "ce tremblement des corps et des sentiments qui  fait échapper Histoire de ma vie à la littérature obscène et Casanova au registre grivois": "Toute la différence se situe entre une description de coït et la suggestion des émotions." Toujours est-il qu'un espion, un confidente, dénonce à l'inquisition d'État sa mécréance, son imposture, sa lascivité et sa volupté et qu'il finit aux Plombs, la prison installée au dernier étage du Palais des Doges... Dont il parvient à s'évader.

A Paris il apprend le français. Il y fréquente le milieu du théâtre: "Il aime l'art de la fiction, la mise en scène de soi à travers des costumes, la proximité des corps dont certains ne sont pas farouches"; celui des peintres: "Les comédiens ont besoin de décors.". Michel Delon précise: "Le théâtre aide Casanova à penser le désir comme mise en scène tandis que la peinture saisit la fixation du désir dans un moment donnant le sentiment de la durée."

Casanova bénéficie d'un autre réseau que ceux des comédiens et des artistes, celui de la franc-maçonnerie, à laquelle il est initié à Lyon. Cet espace est "moins strictement hiérarchisé que les diverses sociétés d'Ancien Régime": "Plusieurs rencontres capitales s'explique par cette fraternité", telles que celles du comte Branicki, du comte de Waldstein ou du prince de Ligne. Elles seront d'un grand secours à cet aventurier objet de "suspicion sociale" ou d'"admiration pour ses initiatives".

La loterie royale, qu'il met au point, le rend richissime, pour un temps seulement. Car il mène dès lors grand train. Pour le conserver il se lance dans une entreprise qui le ruine. Sa manufacture d'étoffes de soie peintes fait faillite. Le sérail de ses ouvrières âgées de dix-huit à vingt-cinq ans l'a ruiné. Il se voit obligé de fuir la France pour éviter la prison: "Commence une longue errance qui le mène aux quatre coins de l'Europe."

Durant cette errance, il se livre au jeu et à la débauche - "A chaque ville son aventure amoureuse" -, et doit fuir: "Les zigzags sur la carte d'Europe suggèrent un aventurier indésirable dans la plupart des villes, élargissant le cercle de ses investigations pour se faire accepter quelque part." Après avoir approché des souverains tels que Frédéric II ou Stanislas Auguste, roi de Pologne, "les cours se ferment ainsi les unes après les autres".

D'homme de cour, il devient artiste: "Il compte devenir un auteur et en vivre à la façon dont ses frères sont établis comme peintres" et "il déploie une activité d'écrivain dans tous les genres littéraires": historien, traducteur, journaliste, pamphlétaire etc... Ce dernier genre lui vaut de devoir fuir à nouveau, d'errer à nouveau, avant de devenir bibliothécaire à Dux, propriété du comte de Waldstein et de se réfugier dans l'écriture: "Comme Sade, Casanova manifeste durant ses dernières années une véritable rage d'écriture."

Il écrit beaucoup et achève peu: "Cet inachèvement vient sans doute de la méthode par digression. Contre les penseurs systématiques, contre les philosophes dogmatiques, Casanova exhibe l'irréductible diversité du réel. Sa façon de s'égarer dans la réflexion, de déraper d'un sujet à l'autre est le choix d'une disponibilité, conforme à son ancienne liberté de jeune homme prêt à saisir la première occasion. Comme les libertins érudits du siècle précédent, il mêle une totale indépendance d'esprit à un respect ostensible de l'autorité religieuse. De l'économie à l'esthétique, rien ne lui reste étranger."

Son grand oeuvre, ce sont ses mémoires, Histoire de ma vie, écrites en français, dont le manuscrit a connu de véritables aventures. Ce manuscrit a ainsi été traduit en allemand, puis retraduit en français; il a été successivement expurgé, édulcoré, toiletté. Quand le texte authentique paraît en 1960-1962, c'est un choc, mais il est "encore découpé selon une scansion étrangère à l'auteur": "On pouvait enfin lire Casanova avec son accent italien, son rythme de voix, ses détails sensuels et ses insolences."

Le choc n'est pas moins grand en 2010. La Bibliothèque nationale de France acquiert le manuscrit. Il est numérisé. Chacun peut avoir accès à son écriture et à son style: "Une grande édition fut lancée dans la "Bibliothèque de la Pléiade". "Bouquins" ne fut pas en reste." Et cette année 2015 est à marquer d'une pierre blanche puisque, depuis le mois de mai, de ces deux éditions, commencées en 2013, l'une, celle de La Bibliothèque de la Pléiade est maintenant entièrement disponible en trois volumes, et que l'autre, celle de Bouquins, comprend déjà deux volumes sur trois.

Francis Richard   

Album Casanova, Michel Delon, 224 pages, Gallimard

Albums précédents:

Album Duras, Christiane Blot-Labarrère, 256 pages, Gallimard (2014)

Album Cendrars, Laurence Campa, 248 pages, Gallimard (2013)


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