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La critique en chantant : Qasem Al-Najar et le feuilleton de ramadan

Publié le 20 juillet 2015 par Gonzo

najarUn chanteur palestinien, Qasem Al-Najar (قاسم النجار), connaît un certain succès avec sa dernière chanson intulée Qasf al-drama al-arabiyya (قصف الدراما العربية, quelque chose comme « Feu à volonté sur le feuilleton arabe »). Se livrant à un exercice inévitable en cette fin de ramadan, il passe en revue, pour les critiquer, les plus connues des séries qui viennent de s’achever. La septième édition de la très célèbre saga « à la damascène » intitulée La porte du quartier par exemple, pire que jamais à ses yeux, avec des acteurs qui apparaissent à l’écran en jeans alors qu’on est au début du siècle passé, d’autres qui font leur retour alors qu’ils sont morts dans un épisode précédent et, pour parachever le tout, des fautes grossières dans la lecture d’invocations religieuses !

Plus qu’esthétique, sa critique est en réalité surtout politique, avec naturellement une prédilection pour les questions qui l’intéressent en tant que Palestinien. Sous cet angle, il règle son compte au Quartier juif (حارة اليهود), une série historique qui n’a pas vraiment fait un tabac mais qui a eu les honneurs de très nombreux commentaires dans nos médias tant il est vrai que la question juive demeure, aujourd’hui encore, la « meilleure » raison de s’intéresser à ce qui peut se passer dans le monde arabe (voir cet exemple, par ailleurs plutôt complet sur la question, dans Libération). Et « l’artiste du peuple » – c’est son surnom pour ses fans en Palestine – s’étrangle devant ce récit qui lui semble faire la part beaucoup trop belle à cette famille d’Égyptiens de confession juive, prise dans la tourmente du conflit israélo-arabe dans les années 1950. Sans aucun doute pour le chanteur palestinien, il s’agit d’une énième tentative de « normalisation » (تطبيع), comprendre la volonté, inscrite dans la logique des accords de camp David depuis la fin des années 1970, de « normaliser » à tout prix les relations avec l’occupant israélien.

Avec ses images qui, plus que jamais, s’invitent dans tous les foyers durant les soirées de ramadan, le jeune chanteur palestinien est persuadé, comme beaucoup d’autres, que le feuilleton est outil qui doit être utilisé à bon escient. Justement, alors que le monde arabe traverse une telle crise, comment accepter que tant de millions de dollars partent à de telles inepties, alors que les Palestiniens – et bien d’autres réfugiés pourrait-on ajouter – souffrent de la faim ? Comme le disent les paroles de la chanson en question (citées dans cet article), ce qu’il faudrait, c’est « un feuilleton qui forme une génération, qui défie l’injustice d’Israël, qui nous apprenne à aimer notre terre, qui liquide tous les traîtres collabos… Un feuilleton arabe à la hauteur de cette cause, qui marque l’esprit d’une génération, palestinienne à 100 %. » (بدنا دراما تصنع جيل.. تتحدى ظلم إسرائيل.. تعلمنا حب الأرض.. وتنبذ كل خاين عميل.. بدنا دراما عربية.. تحاكي هالقضية.. وترسخ في عقل الجيل.. فلسطين من الميه للميه”.)

« L’artiste du peuple » s’inscrit donc dans une tradition bien connue, celle de la « chanson politique » arabe, une classification un peu fourre-tout dans laquelle on peut tout de même distinguer plusieurs grandes familles : celle des chanteurs résolument engagés, du type Khaled al-Haber au Liban ou Samih Choukeir en Syrie, dont l’œuvre entière est pour ainsi dire dédiée à une cause ; celle des vedettes de la chanson qui, à un moment donné, soutiennent un mouvement, un leader (Abdel-Halim Hafez au temps de Nasser autrefois, Asala et le soulèvement en Syrie aujourd’hui…) ; et enfin, plus spécifiquement locale peut-être, celle des chanteurs qui se font aussi les chroniqueurs réguliers de l’actualité politique. Après l’Égyptien Abdel-Rahim “Shaaboula” Shaaban qui s’en est fait une spécialité depuis des années déjà (voir ce billet à propos du « scandale » de la chanson intitulée Je hais Israël), il y a donc aujourd’hui en Palestine, dans un registre plus sophistiqué mais esthétiquement parlant tout aussi populaire, Qasem Al-Najar.


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