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Les mensonges faits aux femmes

Publié le 22 juillet 2015 par Juval @valerieCG

Hier, une jeune femme a eu  la très agréable surprise de constater que, dans le métro, un homme avait tranquillement sorti son pénis et était en train de se masturber en la regardant. Elle a eu le courage de le prendre en photo et de la publier sur facebook afin de montrer ce qui peut arriver à toute femme effectuant n'importe quel  trajet.
Cette photo m'a passablement marquée car il est assez rare de voir un agresseur sexuel en pleine action. On en parle, on donne leur nom, on dit ce qu'ils ont fait mais ils restent souvent dans l'esprit de beaucoup d'hommes comme des sortes de monstres, d'anormaux, qui n'ont rien à voir avec eux. La photo faisait la démonstration qu'un trentenaire bien habillé peut être un agresseur sexuel.
Ce qui frappe également dans cette photo est que nous sommes dans un lieu très fréquenté et qu'il se sent en totale impunité, ce qu'il est visiblement ; la jeune femme a appelé la police qui lui a signalé parfaitement connaitre ce personnage.  On est fort heureuse de savoir que la police le connait depuis un moment. Colette Guillaumin disait que même les kleptomanes se cachent pour accomplir leurs méfaits et force est de constater que les agresseurs sexuels n'en font pas autant car, comme elle le signale, les femmes sont une propriété collective dont les hommes peuvent au fond bien faire ce qu'ils veulent, il n'y aura jamais de véritable conséquence à leurs actes. Lorsqu'elle a présenté le plan contre le harcèlement dans les lieux  publics, Pascale Boistard a souligné que des publicitaires travailleraient sur des affiches pour dénoncer les agressions sexuelles, "pas forcément sur le ton de la morale". C'est vrai qu'il serait honteux de moraliser les agresseurs sexuels. Le fait est qu'au fond notre société n'est pas bien sûre qu'un homme qui vous met la main aux fesses n'est pas dans son bon droit ; alors il ne faut pas trop faire la morale aux hommes n'est-ce-pas.  Il faut y aller doucement et ne pas trop perturber leurs habitudes ; les femmes peuvent bien attendre un peu plus que la lumière se fasse sans moralisation. Comme nombre d'hommes me l'ont déjà dit ; "le problème est que les féministes veulent l'égalité trop rapidement".

Lorsqu'une femme témoigne avoir été agressée, les réactions masculines sont de deux ordres (si on écarte évidemment les accusations de mensonge, qui constituent en général une bonne moitié des réactions). Les hommes expliquent d'abord ce qu'ils auraient fait s'ils avaient été là. Cela va du coup de pied retourné en pleine tête à la castration du dit agresseur ; c'est à se demander pourquoi je joue à ce point de malchance, comme la majorité des femmes que je connais, pour, chaque fois que j'ai été agressée, n'avoir jamais eu le soutien d'aucun homme.  Sans doute n'ai je pas pris la bonne rame de métro, celle où se concentrent tous les hommes courageux qui savent ce qu'ils auraient fait et savent ce que j'aurais du faire.
Soit ces hommes expliquent ce que la femme aurait du faire. Et là on est visiblement dans une incompréhension totale. Les femmes sont éduquées dés leur plus jeune âge à avoir peur, ce qui ne veut pas dire, dieu merci, que certaines n'arrivent pas à dépasser cette peur ; ce qui n'est absolument pas le cas des hommes qui sont plutôt éduqués à être intrépides et à ne jamais manifester leur peur. Ceux qui d'ailleurs ne rentreraient pas dans le le schéma du parfait homme viril, seraient rapidement remis en place et harcelés jusqu'à ce qu'ils n'aient plus peur ; c'est en effet la grande logique du système patriarcal qui encourage les hommes à harceler ceux qui ne rentrent pas dans le moule viril pour qu'ils n'aient plus peur et à harceler les femmes pour qu'elles se tiennent à leur place par peur.
Nos parents, notre famille, nos connaissances, la télévision nous expliquent qu'il est hautement probable qu'un violeur nous attende à chaque coin de rue. On nous lit Le petit chaperon rouge où l'on apprend que même si l'on se conduit bien, même si l'on respecte ses aînés en allant les soutenir lorsqu'ils sont malades, le danger rôde toujours autour des femmes, dés leur plus jeune âge. C'est un premier mensonge puisqu'on sait bien que les agressions sexuelles et viols  sont toujours davantage commis par des connaissances.
Beaucoup de femmes commencent ainsi à limiter leurs mouvements. Pour ma part j'ai commencé à 14 ans. Un jour sur le chemin du collège j'entends un sifflement ; je me retourne et j'avise un homme nu en train de se masturber à la fenêtre. J'en ai parlé à mes parents qui ont fait preuve d'une étonnante indifférence comme s'il était normal qu'un homme agresse sexuellement une gamine ; j'ai donc changé de chemin et rallongé mon parcours. J'avais bien intégré à 14 ans que cela n'est pas à l'agresser de changer de comportement mais à moi de modifier mon trajet ; et ma foi si j'avais fait le choix de ne pas changer de trajet on m'aurait sans doute dit que je n'avais pas à me plaindre puisque je tenais absolument à passer par là. C'est vrai quelle attitude saugrenue que de ne pas vouloir lâcher un pouce de terrain.

Le second mensonge réside dans le fait qu'on enseigne aux femmes  combien ces quelques centimètres de chair sont menaçants. Il y a une quinzaine d'années la féministe Germaine Greer avait questionné des femmes ayant été confrontées à un exhibitionniste. Elle avait été surprise de noter que la plupart avait éprouvé un sentiment de peur panique. Greer soulignait qu'un homme qui exhibe son pénis se met en situation de vulnérabilité et qu'il n'était donc pas rationnel que ces femmes aient peur. Il n'était évidemment pas question pour elle de les culpabiliser mais de montrer combien les femmes sont éduquées à être face à une agression dans un état de peur paralysante qui les rend incapables de se défendre.
Irène Zeilinger cite ainsi une histoire édifiante : "En 1966, à Chicago, un certain Richard Speck entra par effraction dans une maison où habitaient des élèves infirmières. Neuf étaient présentes, huit d’entre elles sont mortes entre ses mains au cours de la soirée. Il était seul. Il n’avait pas d’arme. Il les a enfermées dans une pièce où il est venu chercher ses victimes l’une après l’autre, pour les emmener dans une autre pièce où chacune a été ligotée, puis étranglée. Elles savaient qu’il voulait toutes les tuer. Elles avaient la possibilité de parler entre elles pour développer une stratégie commune. Mais pas une seule fois, semble-t-il, ces jeunes femmes n’ont pensé : « Nous sommes plus nombreuses que lui, on ne se laissera pas faire, nous ne voulons pas mourir. » Une seule a eu la présence d’esprit de se cacher sous un lit – ce fut le seul acte de résistance – et elle a survécu. Il n’avait pas compté ses victimes…

C’est un horrible exemple de l’importance de l’autodéfense mentale : pour pouvoir se défendre, il faut d’abord détruire les mythes d’impuissance et de faiblesse, les déséquilibres de pouvoir réels et imaginaires qui voudraient nous condamner à être victimes, qui nous rendent victimes sans même que l’agresseur ait besoin de lever le petit doigt.

Pourquoi cette histoire a-t-elle pu se produire de cette manière ? À mon avis, il n’est pas indifférent que les victimes aient été uniquement des femmes. Imaginez-vous la même situation un peu différemment : un assassin entre, seul et sans arme, dans une maison où habitent neuf étudiants ingénieurs. Il est difficile de concevoir que tous se seraient laissé faire, sans résistance, sauf un qui se serait caché. Ou, si vous voulez, imaginez encore un autre scénario : l’assassin entre dans une maison où, en plus des huit infirmières, un autre homme est présent. Que ce serait-il passé ?

D’où vient la différence ? Cela ne peut pas être uniquement une question de force physique, car même si les femmes sont considérées comme moins fortes que les hommes, neuf femmes sont sûrement plus fortes qu’un seul homme. Il faut chercher ailleurs. Ce qui fait cette différence entre femmes et hommes par rapport à la violence, c’est quelque chose qui se passe dans la tête. C’est une conséquence de l’éducation et de la socialisation différenciées des femmes et des hommes, c’est une conséquence du genre."
Le troisième mensonge consiste à dire aux femmes qu'il vaut mieux ne rien faire lorsqu'elles sont agressées car sinon cela sera pire. Comme on nous a déjà enseigné que le viol est la pire chose qui peut nous arriver ; les femmes sont donc face à des situations incompréhensibles et intenables à vivre.  Irene Zeiliger souligne combien il est curieux de confier  son sort à quelqu'un qui se prépare à vous agresser comme s'il savait mieux que vous ce qu'il faut faire.
C'est peut-être ici qu'est la plus grande trahison faite aux femmes.
Reprenons donc.
On nous enseigne que le viol est un danger qui touche toutes les femmes, spécialement celles qui se "comportent mal". On ne nous explique pas vraiment ce qu'est mal se comporter puisque les règles varient au cours des années et des personnes. On ne nous prévient absolument jamais que le danger va plutôt venir d'une connaissance que d'un inconnu. Ainsi si cela nous arrive, on se dira qu'on a forcément mal fait quelque chose ou mal compris cet acte.
Et là, face à ce danger qu'on nous a présenté comme si grand, comme si affreux, comme détruisant la vie des femmes et de leur famille, on ne nous enseigne pas à nous défendre. Dés notre enfance nous sommes conditionnées à avoir peur, à ne pas nous battre, à attendre. Des études ont montré que face à une menace imminente de viol (un homme qui vous saute dessus avec l'intention évidente de vous violer), la meilleure chance de l'éviter est de hurler et de se battre ; si l'on ne fait rien le risque d'être violée est grand tout comme si l'on supplie. Et pourtant, y compris dans l'armée américaine, où les femmes sont entraînées au combat, on nous a enseigné à ne rien faire ce qui est le moyen le plus sûr d'être violée.
Poussons davantage.
On enseigne aux femmes qu'elles ont un fort risque d'être violées, que cela sera dramatique pour elle mais qu'elles ne doivent surtout pas apprendre à se défendre.  Ainsi dés leur enfance on inhibe leurs attitudes jugées agressives et on les pousse de gré ou de force à adopter des attitudes douces dites féminines.  C'est à croire mais il faudrait un bien vilain esprit pour cela, que les violences sexuelles ne sont au fond pas si importantes socialement parlant. Les femmes s'en accommodent ; il y a bien 75 000 viols par an (dont une écrasante majorité de femmes)  ; on finit donc par faire avec.  Comme le disait Paglia, si la seule chose que vous trouvez pour nous empêcher d'être violée est de nous enfermer alors "laissez nous l'être".
Les hommes sont tellement occupés à ce que toute discussion sur le viol précise bien qu'on ne parle pas d'eux et ne leur demande aucun changement d'attitude qu'on va bien finir par se dire qu'ils s'en moquent complètement. Alors certes quand on va leur parler d'une agression subie, ils vont remuer les bras en tout sens en disant que "la prochaine fois ils seront là" mais gageons que cela n'ira pas beaucoup plus loin.

Alors que faire me direz vous ?
Les femmes doivent avoir davantage confiance en elles. Cela parait un bête conseil de développement personnel et pourtant c'est capital. Beaucoup d'hommes sont persuadés que les femmes passent leur temps à fourbir des plans machiavéliques pour les accuser de viol. Dans la réalité, les femmes agressées passent leur temps à se demander si elles ne sur-interprétent pas, si elles n'ont pas mal agi ou envoyé un signe à l'agresseur.  Dans la réalité une femme qui a 15 cm de pénis en érection collé contre sa cuisse, va souvent être saisie de peur et de demander si elle ne se trompe pas, si elle ne va pas déranger les gens en faisant un scandale, si on va la croire, si elle ne fait pas des histoires pour rien.

quant aux hommes, il convient avant tout de leur apprendre à ne pas violer. C'est à la fois simple et visiblement quasi impossible.
pour le reste : Dworkin le dit mieux que moi
- " Se cacher derrière la culpabilité, c’est ma préférée. J’adore cette raison-là. Oh c’est horrible, oui, et je suis si désolé. Vous avez le temps de vous sentir coupable. Nous n’avons pas le temps que vous vous sentiez coupables. Votre culpabilité est une forme d’acquiescement à ce qui continue d’arriver. Votre culpabilité aide à maintenir les choses telles qu’elles sont.

         J’ai beaucoup entendu parler ces dernières années de la souffrance des hommes sous le régime sexiste. Bien sûr, j’ai beaucoup entendu parler de la souffrance des hommes toute ma vie. j’ai lu Hamlet, bien sûr ; j’ai lu Le Roi Lear. Je suis une femme cultivée. Je sais que les hommes souffrent. Mais il y a un nouveau truc. Vous souffririez, cette fois, d’être informés de la souffrance d’autres personnes. En effet ce serait nouveau.

         Mais en gros votre culpabilité, votre souffrance, se réduit à : bah, nous nous sentons vraiment très mal. Tout contribue à ce malaise si profond des hommes: ce que vous faites, ce que vous ne faites pas, ce que vous voulez faire, ce que vous ne voulez pas vouloir faire mais que vous allez faire quand même. Je pense que votre angoisse se résume à : bah, nous nous sentons vraiment très mal. Et je suis désolée que vous vous sentiez si mal, si inutilement et bêtement mal, parce que d’une certaine manière, c’est cela votre tragédie. Et je ne dis pas que c’est parce que vous ne pouvez pas pleurer, et je ne dis pas que c’est parce qu’il n’y a pas de réelle intimité dans votre vie. Et je ne dis pas cela .parce que l’armure avec laquelle vous vivez en tant qu’hommes est abrutissante : et je ne doute pas qu’il en soit ainsi. Mais je ne dis rien de cela."

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