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Savoir déguster, selon Jacky Rigaux (c'est très long, comme d'hab)

Par Mauss

L'homme a une réelle constance dans son approche du vin et personne ne met en doute sa connaissance réelle de la Bourgogne où il réside et qu'il a appris - entre autres Maîtres - avec Henri Jayer.

Il a des contradicteurs, Michel Bettane en premier, autant que je sache et quant à moi, à priori, je ne vois pas pourquoi les amateurs qui jugeraient des qualités d'un cru sur les expressions de fruit offertes par ces vins, pourquoi ces amateurs seraient à côté de la plaque.

Voilà le dernier texte sur le sujet de Jacky Rigaux, déjà en ligne sur le blog du Grand Jacques. Comme d'hab, c'est extrêmement long comme chez tous les universitaires qui n'oublient jamais les chemins de traverse quand ils sont sur les autoroutes de la clarté. Bref : cela touche toute l'histoire ancienne et actuelle de la vigne et du vin, avec naturellement la Bourgogne en exemple et sujet majeur de la question.

©Jacky Rigaux

Biodiversité et valorisation des « goûts de lieu » dans le vin


D'un vin issu de la « construction d'un goût » avec les technologies contemporaines au retour d'un vin qui « délivre un message » !
En initiant l'édification des « climats » sur le Pagus Arebrignus, ces parcelles de vignes soigneusement délimitées, et en diffusant ce type de viticulture partout où ils plantèrent de la vigne, dans la suite de la chute de l'Empire Romain, les moines bénédictins créèrent une esthétique du « goût de lieu ».

Ils pensaient que l'homme est là pour accompagner la nature dans son cycle, sans prétendre y réussir dans un temps déterminé, mais avec douceur et patience. Les vins qui naissent de ces lieux délimités avec rationalité - comme leur culture aristotélicienne leur permit de le faire, des lieux naturels donc, les fameux « climats » - en expriment la « nature » en une diversité de goûts infinie et enchanteresse. Comme le mettra en lumière E. Kant, la beauté se livre avec évidence pour chaque être humain qui y est sensible. L'évidence du bon goût, (de la beauté ?) de chaque vin de « climat », de chaque « vin de lieu », s'impose à qui est sensible à leur lumineuse sapidité qui se déploie en bouche avec originalité... Leur appréciation relève ainsi de la dimension esthétique de la vie !

En des temps où le vin est de plus en plus issu de la construction d'un goût avec l'aide des technologies et produits œnologiques, associés à un puissant marketing capable de manipuler et convaincre le consommateur de l'excellence de ce type de vin, il est essentiel que perdurent des vins qui délivrent un message, le message de chaque « haut lieu » capable d'accueillir la vigne, travaillé en respectant les bonnes pratiques respectueuses de la bio-diversité qui s'y déploie ainsi naturellement. Vers de terres et collemboles n'ont pas attendu l'homme pour exister et prendre part à la vie du lieu ! N'oublions pas que le sol est le milieu le plus riche de la planète en êtres vivants, avec 80 % de la biomasse... Un constat qui n'est pas sans poser les vraies questions des natures des terrains, au-delà de leur dimension physique et chimique !

Si, comme l'écrit Aubert de Villaine, « Le « climat », œuvre aboutie de cette construction conjuguée de l'homme et de la nature sur une très longue période, peut être regardé comme l'archétype du « terroir » pour toutes les viticultures du monde », c'est parce qu'il révèle un rapport au monde respectueux de son fonctionnement naturel. Loin d'être asservie à la volonté humaine, la nature est comprise comme un ensemble complexe où l'intervention humaine s'inscrit avec harmonie. De cette rencontre naît une construction certes nouvelle, un vignoble, mais c'est une création enrichissante pour les deux partenaires ! Comme le formulera Charles Pepin en parlant de l'art, « Imiter la nature signifie : imiter la manière dont la nature est créatrice(...). Imiter, donc, ce qui est par nature inimitable : le mystère d'une nature créatrice. »
C'est bien dans cet esprit que furent créés les vignobles de « vins de lieux » par les bénédictins, une création relevant ainsi d'un rapport esthétique au monde. Nés d'une rencontre avec une nature créatrice, originale en chacun de ses lieux choisis par l'homme pour y planter la vigne, les vins que l'on appréciera, en reflétant leur « nature », seront de fait originaux et inimitables...
De l'initiation de la culture des « climats » au respect de la biodiversité initiale

Aristotéliciens de culture, comme l'élite chrétienne, juive, musulmane de l'époque, les moines bénédictins, cénobites chrétiens, s'appliquèrent à observer et à classer selon la conviction, chère à leur maître, qu'il existe des lignes de partage naturelles et donc des classifications naturelles. Cette rationalité avisée déboucha sur les fameux « climats » bourguignons, lieux soigneusement délimités, dont la géologie, la pédologie, la topologie, la climatologie modernes, ont confirmé la spécificité... La légende rapporte que pour reconnaître ces terroirs où s'intriquent heureusement le climat, le microclimat, la nature du sol et celle du sous-sol, ils allaient jusqu'à goûter la terre...

Le fait est qu'ils réalisèrent ce travail de bénédictin partout où la foi les poussa, partout où ils pressentaient qu'une certaine variété de vigne pouvait donner de bons vins, dressant scrupuleusement la liste des parcelles capables de mûrir naturellement leurs fruits, de leur permettre d'atteindre naturellement ce que nous nommons aujourd'hui, la maturité physiologique optimale, pour une vendange de haute qualité, selon ce qu'exprime la belle réponse du pape des Terroirs contemporain, Henri Jayer, interrogé sur la qualité incomparable de ses vins : « C'est bien simple, je laisse faire la nature ! »

Aristote reprend, en les développant, les convictions des initiateurs du Logos, c'est-à-dire de la rationalité, développées au 6ème siècle avant Jésus-Christ : Thalès, Anaximandre, Anaximène... Thalès (625-547 av. JC) intuitait déjà l'importance de ce que l'on appellera par la suite un terroir, suivi en cela par Démocrite, Pythagore, Euclide, Platon... Aristote, qui développa l'idée que les choses ne dépendent pas de nous, qu'elles deviennent ce qu'elles doivent devenir sans nous, a forgé le grec « physis », en français « nature », pour exprimer cela et nous inviter à dresser le catalogue de leurs natures.

La nature fonctionnait avant que l'homme n'en comprenne les fonctionnements, les lois. En les découvrant, il est légitime qu'il veuille intervenir sur elle ! Mais avec l'évidence de cette réalité d'une nature qui fonctionne sans l'aide de l'homme, il est nécessaire de toujours se demander si ce que l'on fait sur la nature est bon pour la nature !

Les agronomes latins reprirent à leur compte cette donnée de la culture grecque. Ces derniers, dont Columelle, impressionnés par la qualité des vins du Pagus Arebrignus, jetèrent alors les bases d'une première théorie du terroir qui soulignait avec justesse combien est essentielle l'adéquation d'une variété de vigne particulière (cépage), trouvée à l'état sauvage dans les forêts locales, à un lieu capable de la magnifier. La formule de Columelle sur le sujet est sans équivoque. « La petite et la meilleure de ces trois variétés se reconnaît à sa feuille qui est beaucoup plus ronde que celle des deux premières. Elle a des avantages, car elle supporte bien la sécheresse, résiste facilement au froid pourvu qu'il ne soit pas trop humide, et elle est la seule qui, par sa fertilité, fasse honneur au terrain le plus maigre. » Le terrain le plus maigre en question est celui de l'actuelle Côte bourguignonne. Cette variété, on l'appellera par la suite, au Moyen Age, « pinot » !

A la chute de l'Empire Romain, vers l'an 476, les évêques héritèrent d'un pouvoir laissé en déshérence. Ceux de Langres et d'Autun devinrent titulaires du vignoble le plus fameux de l'époque, situé sur le Pagus Arebrignus (qui allait de Dijon au Clos de Germolles, en Côte Chalonnaise). Ils en laissèrent le soin aux moines bénédictins, à charge pour eux de relancer une viticulture mise à mal par les invasions multiples.

Ce qu'on appelle aujourd'hui « respect de la biodiversité » était ainsi évident pour Aristote, comme pour les bénédictins qui, trouvant un monde matériel et social en ruine, s'employèrent à le relever en observant avec rationalité la nature et en respectant ses fonctionnements naturels. La nature est ainsi respectée dans ses cycles. En mêlant harmonieusement méditation, prière, réflexion et travail manuel, les moines sont en osmose totale avec elle. Ils vont largement contribuer à dresser le catalogue des différentes « natures » qu'ils vont restaurer ou défricher, que l'on appellera par la suite « climats »..., terme issu du grec klima qui signifie « inclinaison ». Ces « climats » sont en pente douce et offrent à la vigne qui y pousse l'inclinaison la plus favorable aux caresses du soleil. Regardant fièrement l'est, protégés des intempéries, ils en jouissent dès la naissance du jour et ils emmagasinent pour la nuit, grâce à leurs précieux cailloux de surface, la douce chaleur du jour...

Le temps linéaire n'existe pas pour ces moines bénédictins. Chaque jour se vit et est producteur de connaissances pour l'éternité. Ils sont ainsi en capacité d'observation, ce qui leur permettra de comprendre et d'affiner sans cesse la qualité des produits du monastère destinés à ceux à qui ils doivent l'hospitalité, en particulier les nobles qui leur octroient des terres. Ils utilisent au maximum leurs connaissances livresques, en particulier la philosophie de la nature d'Aristote, ainsi que leurs observations in situ, pour faire fructifier au mieux les ressources des territoires où ils sont installés.
C'est ainsi que ces bénédictins déterminent en chaque contrée où ils s'installent, avec patience - ils ont l'éternité devant eux - ce qui sera pâturage, bois, vigne..., en fonction de la nature des sols, de leur orientation, de leur pente... A l'inverse des rois qui installent les papes afin de se faire sacrer pour ensuite abuser de leur pouvoir « divin » dans le but d'accroître leur richesse, la vocation et le travail des moines bénédictins reposent sur l'élaboration d'un savoir, non sur l'affirmation de la puissance et du pouvoir.

Doublement initiés par la foi chrétienne et la philosophie aristotélicienne, les moines bénédictins développent une agriculture et une viticulture rationnelles, prémices de la haute qualité des produits de terroir des régions septentrionales, après la période antique qui valorisa essentiellement le pourtour méditerranéen, dans le respect des équilibres naturels. Ils sont, sans le revendiquer, les initiateurs du respect de la biodiversité dans le travail agricole et viticole qui prendront progressivement un essor considérable en Europe. « Partout où le vent souffle l'abbé de Cluny a rente », c'est ce qui se dira à l'apogée de l'ordre, aux 11ème et 12ème siècles, avant que ce dernier ne s'installe dans l'opulence, et que les moines blancs cisterciens arrivent sur le devant de la scène pour d'autres orientations... Mais c'est une autre histoire !

Du primat de la technologie à l'abandon du primat de la biodiversité

Un 19ème siècle industrieux et un 20ème siècle belliqueux, avide de rentabilité en exacerbant une concurrence mondiale, oublièrent l'éthique des inventeurs de la rationalité pour s'engager dans un primat de la technologie. La base de la technologie, c'est le besoin et l'art « d'ustensiliser », d'instrumentaliser du monde. Dorénavant, il ne suffit plus de comprendre, il faut intervenir. Cette aspiration à la puissance a généré un progrès considérable dans la fabrication d'objets de plus en plus sophistiqués, étendu la maîtrise de l'homme sur l'univers, mais ouvert la route à une société de production-consommation, où la quantité prend le pas sur la qualité, le marketing sur l'utilité réelle des objets, la rentabilité sur la quête artisanale de la réalisation de l'oeuvre la plus aboutie...

A la remorque de l'industrie agroalimentaire, le paysan perd, ou plus exactement laisse en jachère, ce que plusieurs millénaires d'expérience lui ont appris : une immense compétence transmise de génération en génération. Docile aux injonctions du technicien, le voilà bientôt asservi. Endetté pour disposer de toute la machinerie rutilante et des produits chimiques requis, il est condamné à obéir pour être sûr de pouvoir rembourser..

Par ailleurs, on ne chercha pas à reconnaître que le phylloxéra, qui détruisit les vignobles européens à la fin du 19ème siècle, peut être contenu par ses prédateurs naturels. Du coup on développa la pratique du porte-greffe américain, lequel n'est pas naturellement adapté à une roche mère-calcaire, ce qui bride l'effet terroir ! Fascinés par la production de clones, censés résister à tout et être très productifs en gros raisins, nombre de vignerons furent aveugles à leur piètre complexité et aux leçons de 2000 ans de sélections massales qui privilégiaient les raisins de petite taille, à l'allure d'une pomme de pin... Les inventeurs et promoteurs de la sélection clonale des plants de vignes justifiaient leur pratique en rappelant que les vignes mourraient dans les vingt ans dans les années 1950-1970... Seuls quelques résistants perpétuèrent la sélection massale pour remplacer les pieds manquants ou pour renouveler telle ou telle parcelle. Henri Jayer en fut le héraut, en particulier en plantant une parcelle défrichée en 1950, exclusivement avec les meilleures sélections massale..., le Cros Parantoux, devenu mythique !

Dans une agronomique de plus en plus chimique, de moins en moins biologique, le sol n'est plus que simple support de plante. L'idéal serait même de s'en passer avec des cultures « hors sol » ! Tandis que la mise au point des gaz destructeurs, dont nos aînés de 1914-1918 firent les frais, donnaient à penser qu'on pouvait éradiquer toutes les espèces nuisibles - quitte à négliger les catastrophes écologiques qui peuvent s'en suivre - la multiplication des engrais chimiques s'imposait comme la panacée. En effet, en arrosant d'herbicides et de pesticides les terres agricoles et viticoles, on perturbe la vie des plantes. Les engrais chimiques appelés à la rescousse sont en fait des sels. Ils obligent la vigne à absorber davantage d'eau et les maladies cryptogamiques deviennent très agressives. Avec trop d'eau dans la vigne, le champignon vient obligatoirement l'enlever ! L'oïdium est alors beaucoup plus présent. On invente les produits systémiques de traitement des maladies, plus efficaces encore que les produits de contact, mais qui entrent dans la physiologie de la plante... Le quatrième drame annonçant la fin de la viticulture de terroir pouvait alors commencer : l'arrivée en force de l'œnologie correctrice et son cortège de plus de 300 adjuvants susceptibles de générer des goûts divers et variés, des goûts qui n'ont plus rien à voir avec le goût de terroir, avec le « goût de lieu ». Disparaissent ainsi de concert la biodiversité détruite par les pesticides, les herbicides et autres fongicides et le « goût de lieu », remplacé par la construction d'un goût industriel et oenologique.

On passe ainsi des vignobles créés par les bénédictins qui faisaient le vin pour Dieu, véritables « créateurs » des vins de lieux, à des vignobles « inventés » par l'homme pour alimenter un commerce le plus lucratif possible, portés par un puissant marketing. Dans cette logique on n'est pas attaché à un terroir. On est dans l'industrie du vin qui se donne les moyens de produire. Pas moins de 150 châteaux viticoles sont ainsi sortis de terre, dont certains ont affiché rapidement 10 ou 15 000 hectares alentour !

Comme l'homme a inventé les clones, censés plus robustes que les plants issus de sélections massales et régulièrement plus productifs, il a inventé des vignobles en des endroits qui ne sont pas obligatoirement propices à la culture de la vigne, mais qui seront aménagés à coup de buldozers et d'engrais chimiques... La Chine a réussi en quelques dizaines d'années à devenir le cinquième producteur de vin mondial. On est dans l'industrie du vin qui se donne les moyens de produire. Pas moins de 150 châteaux viticoles sont ainsi sortis de terre, dont certains ont affiché rapidement 10 ou 15 000 hectares alentour ! A proximité d'une de ses nombreuses villes, un vignoble de 30 000 hectares est en cours d'édification, avec en son sein, sur un site de 413 hectares, un village inspiré de la France, une tour de 19 étages destinée à accueillir des chercheurs du monde entier avec à son sommet un musée consacré aux sciences de la vigne. Un centre de dégustation sera ouvert au sommet sur le belvédère. Une cave de 27 000 m2, la plus grande au monde, sera dotée d'un système d'assemblage des vins informatisé. Quinze chaines d'embouteillage tourneront à 25 000 bouteilles à l'heure ! Un château d'excellence de 360 hectares sera chargé de produire des vins qui rivaliseront avec tous les autres grands châteaux du monde ! Le projet devra aboutir pour 2016 ! Ce sera le plus grand centre du vin au monde, où on pourra acheter des vins du monde entier. Ce sera également la plus vaste offre oenotouristique au monde...

Si aucun grand terroir à vignes n'a été repéré par l'homme en Chine jusqu'à la fin du 20ème siècle, on peut penser que seuls des vins technologiques, certes très bien faits, peuvent naître de ces nouveaux vignobles, des vins inventés par les œnologues. Il est cependant peut-être possible de trouver, sur les pentes des contreforts de l'Himalaya, de véritables terroirs viticoles...
Des vins qui délivrent un message et non des vins issus de la construction d'un goût

La viticulture productiviste, capable de produire de beaux raisins en apparence, mais de moins bonne qualité s'agissant de les transformer naturellement en vin, a développé ses ajouts de sucre, d'acides, d'enzymes, de tanins, de levures sélectionnées industrielles, de gomme arabique et autres artifices œnologiques..., avec cette conséquence que les vins commencèrent à se ressembler de plus en plus. Seul, dorénavant, le goût de cépage distingue le vin agro-alimentaire, dont on peut ainsi admettre que la fabrication en soit délocalisée. C'est pour cela que la mention du cépage s'impose sur l'étiquette ! Ce type de vin est à peu près le même partout ! On voit également se développer les marques, réputées plus importantes que le vignoble d'où provient le raisin...

Dans le même temps, dans les années 1980, on commençait cependant à prendre conscience des dégâts écologiques provoqués par la viticulture chimique, et la célèbre parole de Claude Bourguignon, expertisant une parcelle en Corton, fut entendue par quelques vignerons, dont Anne-Claude Leflaive et Lalou Bize Leroy : « Vos sols auront bientôt moins de vie en leur sein que ceux du Sahara ! »

Bons selon les critères des analyses biochimiques, mais peu goûteux, sans grande sapidité, sans complexité, ne provoquant plus les émotions diversifiées des grands vins de terroir que l'on pouvait encore déguster dans les caves qui en conservaient de précieuses reliques du début du 20ème siècle et du 19ème , trop de vins offerts à la dégustation à compter des années 1970 se sont révélés décevants en dépit des mentions prometteuses écrites sur le tonneau, ou sur l'étiquette de la bouteille.
Heureusement, quelques vignerons avaient conservé l'usage des bonnes pratiques, celles prônées par Dom Denise, moine cistercien du Clos de Vougeot, et publiées au 18ème siècle dans son précieux opuscule, « Les vignes et les vins de Bourgogne ». (8) Henri Jayer en fut la figure emblématique, avec des vignerons de la trempe de Michel Lafarge, Hubert de Montille, Michel Gaunoux ou Joseph Voillot... Dans leur foulée, le retour aux bonnes pratiques, synonyme de « réveil des terroirs », clés infaillibles d'une viticulture respectueuse de la nature, associées au retour aux sélections massales, à la limitation des rendements, à l'évitement des engrais chimiques, à la vinification naturelle, à l'élevage en fûts de chêne neufs, à la mise en bouteille sans collage ni filtration..., permit le retour en force de l'esthétique du « goût de lieu » !

Partout se dessine de nos jours, en France et en Europe, et même dans des vignobles du « Nouveau Monde », un retour à une viticulture respectueuse de l'environnement et des anciennes pratiques relancées et enrichies par la viticulture biologique, et surtout bio-dynamique. Sous la pression des lobbys de la chimie en mal de financer leurs recherches, la « science » officielle tendrait à qualifier d'obscurantistes et rétrogrades leurs efforts pour restaurer une viticulture de terroir. En fait, une lecture épistémologique du mouvement de la rationalité donne à comprendre que celui-ci se porte davantage, de nos jours, partie prenante des applications immédiates du savoir, qu'à la compréhension de la nature dans toute sa complexité, s'agissant notamment du vivant et de la complexité des forces qui s'y déploient.

Ainsi Edgar Morin a-t-il judicieusement mis en évidence que le savoir contemporain s'organise autour du principe de simplification, qui prescrit de réduire le complexe au simple et/ou de réduire un réel essentiellement multidimensionnel à une de ses dimensions jugée fondamentale, par exemple l'économie. Il y a là une incoercible tendance à mutiler la vie, selon l'expression de Jacques Gagey.

L'opérativité de la rationalité dans chacun des champs qu'elle a pu isoler est incontestable, mais trop peu soucieuse des dégâts collatéraux que sa mise en œuvre peut causer aux autres compartiments du réel.
L'attitude bio-dynamique renoue avec le respect de la multi-dimensionnalité du réel, le respect de la pluralité des « natures » avec lesquelles il convient de composer. Exceller, une fois que l'on a compris qu'existent des « natures », c'est s'efforcer de déployer à leur entour de la « virtuosité », par delà toute prétention à une maîtrise technique.

Un viticulteur du terroir prend ainsi distance par rapport à ce que les techniciens viticoles et les vendeurs de produits chimiques préconisent. Respectueux de la nature, acceptant son infinie complexité qui la rend in-susceptible d'être asservie au vouloir de l'homme, c'est en virtuose, avec vertu, que le vigneron tâche à intervenir. Artisans ou artistes, plutôt que techniciens, ces vignerons de terroirs entendent accoucher une nature généreuse, plutôt que d'en être les exploitants.
La moderne industrie agroalimentaire passe pour avoir réussi son pari : produire en assez grande quantité pour nourrir la planète entière. En fait, à s'employer sans prudence à réaliser ce projet, elle asservit les humains à la loi du marché. La valeur cardinale est le profit, l'argent est roi, la finance est reine. Adieu le modèle traditionnel qui fixait la vie bonne dans le bonheur, le plaisir et la sagesse. La logique productiviste paraît incontournable. Elle n'est cependant pas la seule possible. La logique du terroir, et la façon artisanale de le servir, a fait preuve de sa pertinence durant plusieurs millénaires. Sa rationalité est différente, surtout quand elle est animée par la bio-dynamie, mais tout aussi effective. Et les amateurs se réjouissent de ces vins au « goût de lieu » à la diversité infinie !

Avec l'apparition de la flavescence dorée, maladie générée par la cicadelle, une menace semblable à celle du phylloxéra qui détruisit les vignobles est à craindre de nos jours. Face à elle, l'idée de l'éradiquer avec de puissants pesticides s'impose un peu partout. Leur épandage sur des vignes cultivées en biologie et en bio-dynamie détruirait une vingtaine d'années d'efforts pour réintroduire une biodiversité... Les vignerons qui ne veulent pas s'engager dans cette voie imposée par certains arrêtés préfectoraux, risquent de lourdes peines...
La bio-dynamie, activatrice de la biodiversité

Si la bio-dynamie est mise en oeuvre dans quelques-uns de domaines les plus prestigieux de Bourgogne , d'Alsace, de Loire , de Champagne..., et même du Bordelais, c'est parce que les vins qui en naissent sont plus sapides, plus complexes, plus minéraux, plus précis... Ils délivrent le message de leur lieu de naissance, toujours singulier ! Comme le dit avec passion Bruno Clavelier, un des chefs de file du mouvement bio-dynamique bourguignon, toujours prêt à transmettre aux plus jeunes : « C'est comme un instrument de musique mieux réglé pour interpréter la partition ! Cela sonne plus vrai, plus précis, avec une vibration moins terne, plus vive, plus aiguisée... La minéralité du vin est transcendée. Il a une solidité minérale comparable à un axe qui donne une personnalité, un tempérament au vin ! »

Pour donner ces forces de verticalités aux vins, les préparations bio-dynamiques 500 (bouse de corne) et 501 (silice), dont une certaine « science officielle » peut se gausser, sont déterminantes. Avec les impulsions données par la bouse de corne, on rétablit ce que l'on avait perdu avec le greffage de nos plants européens sur les porte-greffes américains. Vitis vinifera, à l'origine, est une liane qui pousse en forêt. Elle monte à la cime des arbres pour chercher la lumière. Ses racines sont le miroir de sa dimension folière et, comme c'est une plante calcicole (elle aime le calcaire), elles descendent profondément dans le minéral, profitant des fissures de la roche mère. Dans les carrières de Comblanchien, des racines de vignes ont été trouvées à 250 mètres de profondeur ! On peut ainsi comprendre ces forces de verticalité originelles. Point d'ésotérisme dans ce constat donc !

Les pratiques viticoles de la taille et le rognage des rameaux qui montent vers les cieux, ramènent la partie aérienne de la vigne à l'horizontalité. Par ailleurs, le greffage introduit après la destruction des vignobles par le phylloxéra, sur un porte-greffe d'origine américaine qui ne connaît pas le calcaire, ce qui ne lui permet pas d'explorer les fonds minéraux, ramène le système racinaire à l'horizontalité. Ainsi, la bouse de corne, administrée après dynamisation, redonne cette impulsion vers le bas qui invite la plante à la rencontre du minéral. Quant à la silice, administrée également après dynamisation, elle donne cet élan vers la lumière, vers le cosmos, à la plante ! On rétablit, grâce à ces préparats dynamisés, administrés au bon moment, ces forces de verticalité naturelles. Point de sorcellerie initiée par ces pratiques, mais une aide naturelle offerte à la plante pour qu'elle renoue avec sa « nature » !
Cette verticalité du vin se retrouve à la dégustation, quand aucun artifice œnologique ne lui a été ajouté. Elle se décline avec des vibrations et des sensations différentes selon les « climats », selon les lieux où pousse la vigne !
La nature est un organisme, la bio-dynamie le re-dynamise
La nature peut être considérée comme un organisme où tous les éléments ont leur importance et prennent leur sens l'un par l'autre. C'est en ce sens que la bio-dynamie est davantage en phase avec la pensée de Claude Bernard qui prônait l'importance du terrain dans la circulation des microbes et des bactéries, plutôt qu'avec celle de Pasteur qui cherchait à éradiquer les microbes jugés indésirables...
Un paysage harmonieux, avec mares et bassins qui attirent plantes, faunes et champignons, un élevage de moutons, vaches et volailles qui génèrent des nutriments, un peu de forêt, une diversité de plantes..., tout cela concourt au bon fonctionnement d'une nature aux ressources innombrables. Jean-Michel Deiss, le vigneron emblématique d'Alsace, dont les vins sont exquis et d'une diversité exceptionnelle, a remarqué qu'il réalise beaucoup moins de traitements dans ses vignes complantées où il a, de surcroît, replanté pêchers, amandiers et autres arbres fruitiers ! En évoquant le Grand Cru Altenberg il déclare : « Tout a été fait pour dire l'énergie ultime du paysage, la personnalité profonde d'un très grand terroir calcaire ».

De nombreux auteurs mettent en relief des choses passionnantes sur le fonctionnement de cette nature, à l'exemple d'un Jean-Marie Pelte ou d'un Gérard Ducerf. Ce dernier a montré que chaque plante a un rôle à jouer. Quand un engin tasse le sol avec ses roues, des plantes à pivot (carottes, pissenlits...) y poussent pour réparer un sol compacté par la technologie humaine... Chaque plante est ainsi porteuse de forces de réparation !

La bio-dynamie n'est donc pas la seule discipline à remettre sur le devant de la scène la pensée des premiers rationalistes : la nature fonctionnait bien avant que l'homme n'en démêle quelques mécanismes ! On est bien loin d'en avoir fait le tour, et il est fort possible que la nature ait toujours un tour d'avance sur la quête de sa compréhension engagée par l'homme !
Quant à cette bio-dynamie, mise en œuvre avec différentes attitudes, mais de plus en plus avec douceur et tempérence comme le font Olivier Humbrecht en Alsace, Bruno Clavelier ou Vincent Dauvissat en Bourgogne, François Chidaine en Loire, Pascal Agrapart en Champagne, Stéphane Derenoncourt en Bordelais, par exemple, elle nous invite à repenser notre rapport à la rationalité, notre rapport aux sciences.

La bio-dynamie peut être comprise comme

  • un procédé pour l'investigation de processus qui ne sont pas accessibles autrement ;
  • une nouvelle méthode d'intervention sur la nature ;
  • une théorie nouvelle.

La bio-dynamie est un procédé d'exploration absolument nouveau de phénomènes auxquels pratiquement rien d'autre ne donnait accès jusqu'alors. « Elle active un lien accru aux matrices de forces qui nourrissent la terre et lui donnent vie. En leur absence la Terre serait un cadavre. La Terre ne possède pas la vie, elle la reçoit » », écrit Nicolas Joly. Si elle est inventée au début du 20ème siècle, c'est parce que cette époque se caractérise par l'avènement de technologies certes très opératoires dans leur champ d'intervention, mais destructrices des équilibres naturels, source de dégâts collatéraux effroyables. Il est ainsi nécessaire de re-dynamiser les fonctionnements naturels !

C'est sans doute en reconnaissant la sensibilité comme moteur du rapport au vivant, que les bio-dynamistes ouvrent une nouvelle forme de rationalité. C'est parce que l'on est sensible que l'on active notre dimension cognitive, notre capacité à se représenter la nature. Dans la foulée d'un cartésianisme triomphant au 19ème siècle, l'homme a mis l'intelligence cognitive comme la motrice essentielle et unique du progrès. Avec la bio-dynamie, on renoue avec la pensée de Spinoza, plus subtile, plus dialectique, qui consacre l'articulation de l'affectif et du cognitif, sans qu'on ait à privilégier l'un sur l'autre ! Remettre la sensibilité au cœur des pratiques viticoles ne signifie donc pas ignorer les savoirs de l'intelligence cognitive. C'est retrouver un peu d'humilité en ayant le courage de reconnaître que la nature a toujours un coup d'avance sur l'homme ! Plutôt que de la brutaliser et de la contraindre, mieux vaut l'écouter et la respecter !
Biodiversité et expression du « goût de lieu »
Plus il y a de filtres à la vigne (engrais, pesticides, herbicides..), plus il y a de filtres en vinification (levures sélectionnées, acides et sucres ajoutés, gomme arabique, tanins industriels...), plus il y a de filtres en élevages (tonneaux trop brûlés, ajouts de levures pour activer les fermentations malolactiques, enzymes, etc...), plus le goût de lieu est masqué... On commence à brouiller le fonctionnement naturel des sols en introduisant des engrais chimiques, on masque la minéralité naturelle du vin avec l'ajout de sucre, de gomme arabique, et d'innombrables artifices..., on accentue la sucrosité séductrice avec différents artifices d'élevage, ce qui perturbe la sapidité naturelle du vin...

Pour respecter le « goût de lieu », il est nécessaire de respecter le lieu où on va planter la vigne. C'est ce qu'ont fait les moines bénédictins, et avant eux égyptiens, grecs et romains qui édifièrent les grands crus. Aujourd'hui, quand on replante des terroirs oubliés depuis le phylloxéra, où que l'on en créée de nouveaux, il est impératif de respecter les fonctionnements naturels de l'endroit

Ainsi, en Toscane, par exemple, Pasquale Forte (Podere Forte) a fait appel à Claude et Lydia Bourguignon pour ses nouvelles plantations. Le terrain est défriché en respectant le sol et le sous-sol. Si un chêne d'âge vénérable y est installé, on le laisse, au risque de se priver de quelques pieds de vigne. Les jeunes vignes seront plantées en respectant l'organisation naturelle de la pente, ce qui favorisera un travail moins pénible pour l'homme et le cheval, même si cela limitera également le nombre de pieds plantés. Les terrains les plus favorables au grand cépage local, le sangiovese, seront privilégiés. C'est en haut de colline, autour de 500 mètres d'altitude, que se trouvent les meilleurs sols, installés sur une roche calcairo-schisteuse. Un peu plus bas, on aura des sols un peu moins qualitatifs. S'il y a une rupture de pente qui retient davantage l'eau, on y plantera l'amandier et l'olivier... Si un drainage a été fait pour réguler la circulation de l'eau, on créera une mare où batraciens, libellules et autres espèces, pourront s'installer ! Les chemins seront tracés en les inclinant pour que l'eau de pluie ne vienne pas dans la vigne... Bien entendu les plants seront issus de sélections massales, et les porte-greffes seront adaptés à la nature des sols !

En respectant le plus possible l'organisation naturelle du lieu, et en intervenant avec douceur quand cela est nécessaire, le raisin qui naît de la vigne en exprime l'originalité au plus près de sa « nature ». Quand on admire les murets construits par les anciens avec les pierres du lieu, érigés dans le sens naturel de la pente, on ne peut qu'admirer la main de l'homme intervenue avec élégance : une véritable osmose entre l'homme et le lieu ! On est loin des bouleversements réalisés avec brutalité avec les buldozers qui détruisent irrémédiablement le fonctionnement naturel du lieu !
Vins de « Hauts Lieux » et goûts de « Hauts Lieux »

Dans tout vignoble créé par l'homme il existe des « hauts lieux » pour y planter la vigne et des lieux moins qualitatifs. En initiant la viticulture de « climats » les moines bénédictins ont respecté les différences qui existent naturellement dans les territoires qu'ils mirent en culture. Les « climats » qui génèrent régulièrement des vins complexes et originaux furent appelés « Grands Crus » et « Premiers Crus » en Bourgogne, dans la première moitié du 20ème siècle, quand furent établies les appellations d'origine contrôlée. Lavalle les avait classés en 1855, « Premières Cuvées » ou « Cuvées Hors Ligne ». Dom Denise les avait nommés au 18ème siècle comme les meilleures parcelles dans son livre sur les vins de Bourgogne (8)... Les connaissances scientifiques contemporaines (géologie, pédologie, climatologie...) ont mis en évidence que les bénédictins ne s'étaient pas trompés !

Dans tous les vignobles historiques, pour la plupart marqués par le travail des bénédictins, les différences et les hiérarchies existent, même si elles n'ont pas été officialisées au 20ème siècle lors de la loi sur les appellations d'origine contrôlée. Nombre de vignobles ont délimité une zone d'appellation sans hiérarchie : Sancerre, Côte Rôtie, Hermitage, Gaillac, Fitou...
Les différences naturelles repérées par les bénédictins ne relèvent pas partout des mêmes réalités. En Bourgogne, il existe une grande homogénéité argilo-calcaire, mais par le jeu des failles, des combes, des pentes, des micro-climats..., il se trouve que les « climats » les plus qualitatifs se trouvent à mi-pente, là où se développent les meilleures argiles, installées sur une roche mère très proche de la surface, parfois à 30 centimètres ! Par ailleurs, l'exposition la meilleure pour le pinot est à l'est. Fort de toutes ces observations -ils avaient l'éternité devant eux - les moines bénédictins ont su découvrir une grande hétérogénéité des « climats » au sein d'une grande homogénéité d'ensemble...
En Alsace, la diversité des roches mères sur lesquelles reposent les sols est beaucoup plus diversifiée : calcaire, schistes, granits, roches volcaniques, grés... Les sols sont alors beaucoup plus diversifiés également. Il en va de même des expositions. Les cépages qui y ont été adaptés sont du coup bien plus nombreux.
En Italie, c'est en haut de colline que l'on trouve les meilleures parcelles. Les roches mères calcairo-schisteuses sont les plus accueillantes pour la vigne en Toscane...
En Californie, c'est au niveau de la rupture de pente que l'on trouve les meilleures terres à vignes, ainsi que sur les pentes où des roches volcaniques se sont développées...

Colloque sur la dégustation géo-sensorielle au Clos de Tart
Pratique de la dégustation géo-sensorielle, pratique de la dégustation des « goûts de lieux »

Pour apprécier le vin de lieu, il convient de faire retour à la pratique de dégustation des gourmets, ces professionnels de la commercialisation des vins organisés en corporations depuis le 12ème siècle, et rigoureusement contrôlés à partir de la Renaissance. Ils étaient chargés de s'assurer que les vins vendus exprimaient bien le goût de leur lieu de naissance !

Pratiquer la dégustation géo-sensorielle, qualificatif nouveau créé pour réactiver cette pratique respectueuse du terroir, c'est associer intimement la connaissance du lieu et de ceux qui le font vivre, qui l'interprètent, qui le révèlent, à l'art de la dégustation. Le lieu n'est qu'une espérance sans l'homme qui le sert, qui l'interprète, qui le transcende ou l'avilit. Pratiquer la dégustation géo-sensorielle, c'est également accueillir en soi le vin de lieu qui libère un message, le message délivré par la « Nature » du lieu, c'est-à-dire l'expression de cette complexité naturelle née du travail du temps sur l'architecture de notre Terre.

Comme les moines bénédictins, c'est en silence que l'on accueille le vin en bouche, après en avoir miré sa robe. On le fait rouler sur la langue, ce que les anciens appelaient « grumer », et on le laisse prendre toute sa dimension, pour apprécier en finale sa longueur et les arômes qu'il libère en rétro-olfaction. Comme on déguste aujourd'hui avec le verre, et non plus avec le tastevin, on reviendra éventuellement à l'appréciation des odeurs en le humant. Rien n'empêche d'ailleurs d'en prendre les trois premiers nez, selon la recommandation de Jules Chauvet, avant de le mettre en bouche. Mais si on veut s'imprégner du goût de lieu, c'est en se laissant toucher par le vin en bouche que l'on y accédera le plus intimement...
De quelques préceptes transmis par les gourmets...

  • Tous les lieux ne se valent pas. Il y a des différences, et il y a une hiérarchie entre les lieux où peut pousser la vigne. Ainsi, de tous temps, cette hiérarchie fut reconnue et à l'époque moderne on distingue des niveaux d'appellation. En Bourgogne, par exemple, il existe une hiérarchie à quatre niveaux : appellation Régionale, appellation Village, appellation Premier cru et appellation Grand Cru. Tous les vignobles de France n'ont cependant pas reconnu une telle hiérarchie dans les années 1930 : Marque en Champagne, Château en Bordelais, Cépage en Alsace, périmètre délimité dans les autres vignobles de France, mais sans hiérarchie... Cependant, aujourd'hui, sur le modèle bourguignon, on retrouve dans tous les vignobles de France et d'Europe les hiérarchies établies avant le drame phylloxérique, y compris en Champagne où la marque s'était imposée ! La Bourgogne est le fer de lance de cette viticulture de lieu et de hiérarchie des lieux, modèle universel avec le classement à l,UNESCO de la philosophie des « climats » attendu en juillet 2015.
  • Le cépage est l'intermédiaire, le passeur entre le lieu et l'homme. « Le cépage est le prénom du vin, le terroir est son nom de famille », selon la belle expression de Léonard Humbrecht. Plus le lieu est favorable à la culture de la vigne, plus le cépage se fait oublier, s'efface au profit du gout de lieu !
  • Le cépage est le traducteur de la complexité du lieu en une complexité de goût... Il peut être unique traducteur du lieu, ou une complantation de cépages peut servir le terroir. Il est des vignobles où on assemble des parcelles plantées en différents cépages et des vignobles qui ont privilégié l'encépagement unique... Quoi qu'il en soit des choix viticoles, des lieux différents génèrent des goûts différents.
  • D'une simplification de la dégustation avec l'analyse sensorielle, on passe aux retrouvailles d'une dégustation de la complexité du vin de lieu...
  • La dégustation géo-sensorielle a été initiée avec le tastevin. Le gourmet appréciait la couleur, puis faisait entrer le vin en bouche. Il le « grumait » (le vin roule en bouche), le « tâtait », et il appréciait les arômes par la rétro-olfaction. Œil, bouche, arômes, tel était le protocole de la dégustation.
  • La salivation assure le passage entre l'extérieur et l'intérieur, et active la sensation de sapidité que génère le grand vin de lieu. « Le vin n'est pas fait pour être reniflé, mais pour être bu », aimait à dire Henri Jayer, le pape des vignerons ! Il est important de faire confiance à sa salivation qui accueille le vin en bouche, et réapprendre à en faire le vecteur majeur de la dégustation, du bien boire.
  • Le plaisir de l'olfaction ne sera bien sûr pas boudé, mais on l'appréciera de surcroît, en privilégiait la rétro-olfaction!
  • Les principaux descripteurs pour apprécier les vins de lieux (la dégustation géo-sensorielle) sont les qualificatifs des gourmets : consistance (sève), souplesse (flexibilité de la consistance), viscosité, vivacité (pétulance), texture, sapidité, minéralité, longueur, persistance aromatique, digestibilité...

Expressions de goûts de lieux

Il existe de remarquables vins technologiques, puissants, fruités, crémeux, boisés... Le premier verre est toujours très séduisant, mais le palais se fatigue vite. Les vins de terroirs affichent sans complexe leur minéralité, et s'ils sont bien faits, leur sapidité est évidente. Ils ne dégagent pas forcément une impression de puissance. Dans leur jeunesse, certains peuvent même être quelque peu austères ou tendus, un peu fermes...

Plus le terroir est complexe, plus il faudra de temps pour que les acides et les tannins naturels se fondent, mêlent leur complexité pour que la texture s'exprime complètement. Cependant, leur subtile viscosité est toujours présente et génère une belle salive, synonyme d'une grande digestibilité. La minéralité des vins de terroir s'atteste également par cette note subtile de poivre blanc que l'on peut ressentir en olfaction directe, mais surtout en rétro-olfaction.

Plus le terroir est complexe, plus la consistance du vin est importante et plus elle se livrera avec souplesse. C'est parce qu'en ces lieux le raisin arrive facilement à sa maturité physiologique optimale. De sols équilibrés, naturellement drainant, naissent également des vins à l'acidité naturelle remarquable...

Avec la belle sensation de viscosité générée en bouche par un vin de terroir, la souplesse et la consistance, associées à une vivacité naturelle et une minéralité racée, donnent à la texture du vin toute sa dimension. Un vin de terroir, qu'il soit blanc ou rouge, se doit d'offrir un toucher de bouche qui évoque la soie, le taffetas, le velours... Dès le temps du fût et de leur prime jeunesse en bouteille, les grands terroirs, accouchés par les meilleurs vignerons, présentent une texture inégalable. Alors la longueur du vin qui découle de toutes ces qualités harmonieusement réunies, va pouvoir révéler les subtils arômes du cru ainsi que son originale touche minérale !

Expérience riche en émotion, la dégustation des vins de terroir révèle que certains d'entre eux, de par la nature de leurs sols, génèrent une finale plus marquée par la sucrosité, que d'autres impriment une finale plus marquée par la salinité, ou la sensation iodée, mais tous révèlent de la minéralité. Bien sûr, la minéralité d'un vin n'est intéressante qu'à condition que ce dernier soit consistant, souple, d'une belle viscosité, qu'il possède une texture élégante, une vivacité vibrante, une longueur évidente, un fruité agréable, une myriade de nuances en rétro-olfaction ! Le vin initiatique est le Cros Parantoux remis en culture et replanté par Henri Jayer dans les années 1950 et revendiqué la première fois avec le millésime 1978 !

Qu'importe si les industriels, et les scientifiques qui les servent, ne reconnaissent pas la minéralité. Ce n'est pas étonnant puisque cette dernière est masquée par tous les adjuvants chimiques et biochimiques introduits dans le vin. On nous dira que la gomme arabique, produit miracle ajouté à la plupart des vins technologiques pour les rendre suaves, est naturelle, mais elle ne vient pas du terroir ! Comme il est courant d'entendre vanter les mérites des levures industrielles gages d'une vinification facile et sans problèmes..., mais elles ne sont pas naturelles et issues du lieu !
Jacky Rigaux

PS : version avec photos et bibliographie chez le Grand Jacques : ICI


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