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La colère est dans le pré

Publié le 05 août 2015 par Alex75

Le pouvoir (ou du moins ce qui en tient lieu) s’étonne que les éleveurs et producteurs laitiers bloquent les ponts de Normandie et le Mont Saint Michel, en dressant des barrages routiers et même que ce mouvement s’étende maintenant au Nord, à la région lyonnaise et au Sud-ouest. Comme nous le savons, le malaise rural est sérieux en France. Et dans le contexte actuel, la colère des agriculteurs vient s’ajouter – outre un mouvement sociétal tel la « manif pour tous » ayant rassemblé près d’un million de personnes à Paris, en 2013 – à celle des pigeons, les bonnets rouges, les taxis, les buralistes, les pharmaciens, les médecins libéraux et les buralistes, parmi tant d’autres. C’est-à-dire une France d’indépendants, de commerçants. Jamais sans doute, un régime n’a réuni contre lui autant de mécontents qui commencent d’ailleurs, à devenir des « fous furieux ». Le dernier sondage, pire encore que tous les précédents, est révélateur : 89 % des Français souhaitent que Hollande ne se représente pas en 2017. Et, pour peu qu’on parle un peu avec des gens de tous les milieux, on se demande si les 11 % restants ont bien compris la question. A ce titre, les agriculteurs promettent de nouvelles opérations coups de poing durant l’été. Sous la pression, le gouvernement annonce un plan d’aide de 600 millions d’euros, en tout et pour tout et une revalorisation du prix du lait. Mais ce plan est jugé insuffisant par les intéressés. Pourquoi notre filière agricole est-elle en crise ? Les agriculteurs ont-ils raison de bloquer ainsi le pays pour se faire entendre ? Pourquoi bloquent-ils les automobilistes, plutôt que les magasins, industriels et administrations qui leurs nuisent ? Qui paiera ces mesures ? Dans une économie de marché, est-ce à l’Etat d’intervenir systématiquement ? Qu’est-ce qui peut empêcher un consommateur d’acheter de la viande espagnole ou allemande moins chère, que la française ? Cette jacquerie si elle se produit encore longtemps, pourrait-elle menacer la position de Stéphane Le Foll ? Notre structure économique, avec ces charges, nous permet-elle d’être compétitif ? Dans cette affaire, qui fait un profit ? Autant de questions sont ainsi soulevées, autour de ce mouvement de colère touchant les éleveurs et producteurs de lait, à l’heure actuelle.

Avant tout, si les Français descendent dans la rue, comme aujourd’hui les éleveurs, c’est parce qu’ils sont en train de « crever », au sens le plus exact et le plus dramatique du mot. Les agriculteurs bretons qui bloquent le Mont Saint-Michel et le pont de Tancarville ne sont pas des gens de droite qui manifestent contre un pouvoir de gauche, ni des gens de gauche qui protestent contre la politique de Manuel Valls et d’Emmanuel Macron. Ce sont des paysans, de droite et de gauche, endettés jusqu’au cou, étranglés par les charges à raison de 80 heures par semaine, ne pouvant plus écouler leurs produits depuis des mois et apprenant, chaque jour, qu’un de leurs copains du canton ou du canton voisin s’est pendu dans sa grange. En effet, quand une ferme, avec des dizaines d’hectares, des dizaines de bêtes et des millions de matériel, est en faillite et amenée à être saisie, l’agriculteur n’a guère d’autre choix que de tuer son chien d’un coup de fusil et d’aller, en effet, se pendre dans sa grange. A ce titre, il ne faudra donc pas s’étonner le jour où des centaines de milliers de « paysans » descendront dans leurs préfectures pour tout casser. Cela fait des décennies qu’on nous parle de la « désertification » de nos campagnes, de la disparition de nos exploitations, de l’agonie de la plupart de nos filières agricoles, de notre monde rural entièrement dévasté. Dans une approche sociologique, la question est de savoir si l’on peut vivre avec 15 000 euros annuels de revenus, quand l’on travaille de 12 à 15 heures / jour, sans souvent de congés. Sur le plan structurel, des questions peuvent se poser, notamment celle de la taille de nos entreprises agricoles, du caractère hyper-administré de l’agriculture en France, qui fait que nous ne sommes pas préparés à cette compétitivité mondiale effrénée.

Il conviendrait impérativement de tout reprendre à zéro. Depuis l’après-guerre, les gouvernements successifs ont pu gérer les malheurs de nos paysans, mais aussi et surtout les faire taire, grâce à un système désormais obsolète. Et cela, à travers la FNSEA, fondée en 1946, à savoir le syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole en France, qui représente 54,9 % aux élections aux chambres d’agriculture en 2007. A la botte de tous les pouvoirs, la FNSEA tient les Chambres d’agriculture, le Crédit agricole, les Safers, les coopératives, la protection sociale, à savoir le maître absolu de toute notre agriculture, et cela de l’achat des terres à la vente de la production en passant par les crédits. Quelques « seigneurs » de nos campagnes (que certains écrivent « saigneurs ») font ainsi la loi en se gobergeant eux-mêmes sur le dos de leurs mandats. A ce titre, dans nos départements ruraux, l’homme fort n’est ni le préfet, ni l’évêque, ni le président du conseil départemental mais bel et bien le président de la FNSEA locale. C’est lui qui réserve à ses petites relations les prêts, les meilleures terres, les meilleures ventes. Voilà un système qui mettrait bien une remise à plat digne des « Grands Jours d’Auvergne », sous l’ancien régime. Il faudrait donc, d’abord et de toute urgence, rebattre entièrement les cartes du syndicalisme agricole hérité de l’après-guerre – ce qui reste valable dans d’autres secteurs de notre économie, la FO et la CGT n’étant guère représentatifs – et libérer notre agriculture. Et puis, bien sûr, il y a tout le reste, c’est-à-dire cette «  exception » française garottant, à coup de charges insupportables et de règlementations – le plus souvent – absurdes, tous ceux qui tentent d’entreprendre quoi que ce soit dans le pays, dans n’importe quel domaine.

Cette économie agricole est productive, ayant fait d’importants gains de productivité, à l’échelle mondiale. Des industries ont disparu en France comme le textile, alors que la production agricole a considérablement augmenté en cinquante ans. Et cela alors que la population agricole diminue, passant sous la barre du million d’agriculteurs en 1986, avec alors une production de 40 % inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui avec moins de 600 000 agriculteurs, dans l’hexagone. Dans les années 60, c’était une exploitation familiale avec des couples. Ce modèle existe encore de manière parcellaire, mais il a évolué, plus de la moitié des conjoints travaillant à côté, le petit agriculteur vivant en partie sur le revenu du conjoint, en cas de difficultés. Un exemple intéressant de cette productivité accrue est la Bretagne, qui a toujours été pauvre, mais pauvre elle l’était encore au lendemain de la seconde guerre mondiale. Une génération plus tard, tel l’analyse Erik Orsenna dans « L’avenir de l’eau », dans la collection « Petit précis de mondialisation », soit à peine vingt-cinq ans, c’est un changement de décor. C’est l’histoire d’un développement accéléré. Le moteur choisi pour croître avait été son « pétrole vert », l’agriculture. Quelle autre stratégie était possible ? Mais les propriétés étaient petites. Le sol manquait, en dépit du remembrement, alors on a fait sans lui. On s’est mis à élever des porcs et des volailles. Hors sol. La Bretagne compte 3 millions d’habitants humains, et autres 3 millions de bovins, 14 millions de porcs, mais aussi 400 millions de poulets. L’agriculture américaine est devenue le premier client d’Enron, par exemple, c’est-à-dire que l’on utilise toutes les nouvelles technologies pour augmenter considérablement la productivité. En France, nous avons un secteur très productif, mais qui souffre de deux problèmes structurels. Dans un 1er temps, des sous-secteurs sont très productifs, mais d’autres très en retard. Quand le président de la République se rend à Vinexpo, il déclare aux producteurs, « vous êtes une des sources de revenus les plus importantes », étant vrai que l’excédent commercial porté par le vin et les spiritueux français est parmi les plus importants de nos excédents commerciaux. Le 1er secteur exportateur est l’agriculture en France, à hauteur de 58 milliards d’euros, devant l’aéronautique – mais le 2e solde commercial derrière ce précédent secteur de l’aéronautique – porté par les céréales et le vin. Et une autre agriculture qui est plus de proximité, autour du lait. Le 2e élément est qu’effectivement les quotas laitiers ont été supprimés, au printemps dernier, c’est-à-dire l’organisation administrative de la production laitière, qui a été mise en place en 1985. Sur le plan historique, nous avons eu une 1ère période où nous ne produisions pas assez de lait, dans l’immédiat après-guerre. On se souvient du lait Mendès France, distribué dans les écoles primaires. Puis la génération d’après se remémore qu’il y avait une production laitière devenue trop importante, donc la CEE l’achetait et le stockait sous des formes diverses et variées. Puis il y a eu cette régulation par les quotas laitiers. Et maintenant, nous sommes dans une situation où on a libéralisé le commerce du lait. Un paysan sur deux en Europe est polonais, roumain ou bulgare aujourd’hui, alors qu’en 1950, c’était le paysan français, d’où la réévaluation de la situation, et la redéfinition de la PAC, liée à l’évolution de notre agriculture et à l’entrée dans le marché commun des nouveaux pays entrants en 2004 et 2006.

Derrière cela, l’agriculture est un secteur qui est très administré dans l’hexagone. Quand l’on regarde le revenu des agriculteurs, une partie passe par les prix, et une autre par les subventions. Dans l’économie française, l’agriculture représente 38 milliards d’euros, soit 30 milliards par les prix et 8 milliards par les subventions de la CEE. Donc, il y a un arbitrage entre ce que l’on fera passer par les prix, ce que l’on fera passer par les subventions, et dans le choix qui est fait, c’est quelle vision nous avons de l’agriculture qui transparait. Toute une partie de notre élite dirigeante cultive, à cet effet, une vision assez négative de notre agriculture induite par un discours un petit peu mondain germanopratin de l’agriculteur pollueur. Et donc l’arbitrage entre les prix et les subventions est lié à la fois à la compétitivité, au commerce international et à cette ambiance un petit peu délétère et étrange entretenu entre les Français, leur élite dirigeante et l’agriculture. Le blocage est un coup de gueule pour être entendu vraiment, mais ce n’est pas le seul type d’opération entreprise, certains agriculteurs étant en observation, depuis des mois, afin de vérifier la provenance des produits carnés et laitiers dans la grande distribution. Le problème réside dans les coûts de production et la compétitivité vis-à-vis de nos pays voisins, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, l’Espagne, donc nos partenaires européens. En Espagne, les coûts de production sont plus faibles. Ce qui compte après, c’est la transformation du porc, par exemple, l’Allemagne ayant fait le choix de faire appel à des intérimaires précaires, roumains, polonais ou autres, dans les champs et les abattoirs, qu’ils conservent à bas coûts, quatre à cinq mois, puis faisant appel à d’autres. Sur le marché du porc breton, par exemple, à 1,3 euros le kilo, les prix espagnols sont quelques centimes plus bas, les prix allemands sont à 4 centimes de différence. Les abatteurs, les transformateurs importent à 70 % de la charcuterie, ayant identifié chez certains producteurs, 70 % de porc espagnol. A ce titre, on achètera à l’étranger des produits, plus chers chez nous par les coûts sociaux, les coûts salariaux étant de 30 % supérieurs en France dans les abattoirs. La viande lituanienne arrive à 2 euros, tandis que la viande française arrive à 5,5 euros sur le marché, en intégrant tous les intermédiaires et le coût salarial de l’abatteur.

Le prix du pétrole a baissé et le prix de l’engrais aussi, la nourriture coûtant moins cher qu’avant. Mais personne n’y gagne réellement, si ce n’est un petit peu le distributeur, et surtout le consommateur. Dans l’UE, on ne peut pas forcer le consommateur français à acheter français. Par contre, les industriels demandent une harmonisation des coûts de main-d’oeuvre dans les abattoirs. Bigard a été pris avec des camions de vaches à viande venant d’Allemagne. Parce que les coûts sont moindres là-bas. Il faut se battre face à des producteurs, qui sont à côté de chez nous, et qui ont parfois des infrastructures plus importantes. Les normes sanitaires sont aussi plus sévères en France qu’en Allemagne, la France ayant été le dernier pays à avoir levé certaines interdictions par rapport à l’ESB, à savoir la maladie de la vache folle, cinq ans après son voisin d’outre-Rhin. En France, lorsque vous voulez faire un projet de mécanisation, il faut quatre ans pour le monter et avoir toutes les autorisations, parce que les administrations, et notamment les directions régionales se renvoient la balle. En Allemagne, il faut un an… Un autre exemple, pour construire une porcherie, avec le même caractère productif et polluant, en Allemagne, il faut demander une autorisation au-delà de 2000 porcs, en France il faut en demander une, qui est longue et coûteuse, au-delà de 450 porcs… C’est une distorsion évidente. Il y a 15 ans, la France, l’Espagne et l’Allemagne élevaient 25 millions de porcs chacun. Aujourd’hui, nous avons régressé, alors que les autres ont progressé, les Allemands étant passé de 25 millions de porcs à 42, l’Espagne à 48, les porcheries construites coûtant 25 % moins chers qu’en France, étant subventionnés par l’UE, car installés dans des zones en désertification (sans grand respect manifesté pour les critères environnementaux). Avec 700 porcheries en France, vous avez mille associations environnementales sur le dos, réclamant une harmonisation. Les associations existent aussi en Allemagne, mais leurs actions et revendications sont plus structurées et harmonisées. A ce titre, nous avons l’impression d’entendre au sujet de l’agriculture, les complaintes portées dans d’autres secteurs d’activités, dans toute l’économie française, en général, c’est-à-dire des charges plus élevées et des normes plus complexes qu’ailleurs.

Toute la filière agro-alimentaire française – les abattoirs, les laiteries, etc. – qui est immense et reconnue dans le monde avec un label qualité, est à défendre, à promouvoir. L’agriculture devient l’un des grands défis de demain, avec aujourd’hui 7 milliards d’habitants à nourrir. Et cela alors que l’on disait, au milieu du XIXe siècle, que l’on ne pourrait nourrir plus d’1 milliard d’habitants sur la planète, les gains de productivité ayant été énormes dans la seconde moitié du XXe siècle et au début du XXIe. Et cela avec des enjeux cruciaux à l’avenir, la population mondiale devant passer de 8 à 9 milliards d’habitants à l’horizon 2020-30, pour peut-être frôler les 10 à 11 milliards à l’horizon 2050, avec le développement des technologies et des contraintes écologiques plus fortes, la déforestation devant s’arrêter. 75 % des Français déclarent avoir une bonne opinion des agriculteurs cependant, et soutenir leur mouvement. Il faudrait permettre le regroupement d’exploitations entrepreneuriales, devant sortir de toutes les autorisations administratives pour s’installer ou augmenter et même pour racheter la ferme d’un voisin, devant passer actuellement par la Safer (gérant le foncier), soit toute une demande très administrée. Aujourd’hui, un producteur laitier passé de 500 à 524 vaches doit payer des amendes excessives. Une ferme de 70 vaches laitières subit des normes qui seront les mêmes. L’espace, la climatisation sont aussi souvent meilleurs que dans des exploitations n’ayant pas les moyens de se développer et de s’équiper, les grandes exploitations laitières ne traitant pas moins bien les vaches laitières que les plus petites, voire beaucoup mieux. Dans le Cantal, où certaines productions de fromage, par exemple, sont à petite échelle, le système pourrait se maintenir, les débouchés commerciaux n’étant pas les mêmes. Il y a la place pour d’autres modèles aussi, plus artisanaux, dans certains secteurs.

Théodor Schultz disait que l’on peut réguler par les prix, mais assez rapidement on se trouve confronté à des logiques de surproductivité. En ce moment, ce qui se passe, c’est une incompréhension de la logique européenne d’administration. Nous avons imposé des subventions, car l’agriculture revêt une dimension particulière. Le 3 élément, c’est que l’agriculture est un lieu à caractère de haute productivité, avec d’énormes gains. La France a un positionnement extraordinaire, avec des jeunes agriculteurs qui croulent sous les dettes et parfois en meurent, des chances formidables que l’on risque de dilapider, un vrai problème structurel se posant derrière, non-analysé. Nous rajoutons toujours dans la norme, et dans l’application de la norme, devant changer notre vision des choses, et ne plus inciter des jeunes agriculteurs à s’installer sur des structures qui ne seront pas rentables, les poussant quinze ans plus tard au suicide. La PAC a été peu à peu détricoté, sans filet de sécurité, plus de mécanisme d’achat, ayant des soutiens directs et puis les agriculteurs ont été confrontés au marché. Depuis dix ans, ce qui s’est immiscé dans les marchés, c’est la volatilité pour des raisons x, y, z. Car tous les pays veulent rentrer dans cette course pour produire cette alimentation mondiale. Les marchés sont non-régulés, avec une activité très capitalistique, tout coûtant cher (bâtiments, tracteurs, animaux, etc…), avec un niveau de rentabilité plutôt faible. Donc, il faut investir beaucoup, ce qui fait qu’en cas d’à coûts des prix, si cela dure trois, l’agriculteur se trouve dans une situation où il ne peut plus faire face. Il est souhaitable de réinventer des mécanismes de régulation, qui ne seront plus dans les politiques publiques européennes, mais entre agriculteurs et acteurs économiques, passant des contrats basés sur des volumes entre distributeurs, transformateurs et agriculteurs, pour intégrer des coûts de production franco-français, sur la base de normes.

Le problème est assez complexe. Mais il pourrait y avoir un certain nombre de points avec la distribution à définir, pour promouvoir la qualité et l’origine, notamment avec la labellisation et le sticker « viande de nulle part », portant son effet sur le consommateur, comme l’analyse l’économiste Philippe Dessertines. Lorsque l’on touche à la nourriture et l’alimentation, on touche à quelque chose de très fort, du point de vue psychologique, notamment au sujet de nos enfants, les cantines scolaires devant utiliser de la viande produite en France, même si ce n’est pas le seul débouché, Hollande ayant décidé de le promouvoir (mais c’est bien mince). La Chine a connu deux ou trois catastrophes sanitaires sur la viande de porc ou sur le lait en poudre, avec des intoxications alimentaires ayant même causé des décès. D’où la prise de conscience que le consommateur est prêt à faire un choix, en matière de labels, avec une réflexion beaucoup plus claire et concertée, dans toute la filière agro-alimentaire, soit des pistes à explorer, dans les normes, la réduction des charges, mais aussi dans la revalorisation de ce qui fait la force, et le point positif de cette agriculture française. Certains producteurs proposent des contrats intégrant des éléments anti-biotiques. Les poulets des cantines de nos écoles viennent d’Allemagne, et sont très peu chers. Dès lors qu’une viande est cuisinée, transformée, il n’y a plus d’obligation d’étiqueter la provenance, et certains agriculteurs réclament que cela évolue et cesse. Au sujet des importations, il faut rappeler que 80 % de ce que vous mangez, a été produit en France, ayant même un label Unesco, à ce sujet (touchant à la gastronomie française et à nos AOC). Notre production doit s’adapter, ne suivant pas suffisamment l’évolution des normes alimentaires, important des produits moins gras, etc. Cinq éleveurs de Creuse devraient pouvoir s’associer pour élever 1 000 vaches, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faudrait nouer des contrats tripartites entre producteur-transformateur-distributeur permettant de partager des coûts d’investissements.

L’organisation même de l’économie suscite la concurrence. Notre structure économique, avec ces charges, ne nous permet pas d’être compétitif, sachant que nous sommes dans une économie dérégulée. Le véritable enjeu est dans une situation concurrentielle, de s’adapter au progrès. Cela est illustré par un certain nombre d’exemples, où nous avons un fonctionnement français qui n’est plus adapté. Dans le mouvement agricole, nous sommes dans la dimension de la France face au reste du monde, face à l’Europe, ayant une énorme carte à jouer. Lorsque l’on parle des intermédiaires, on doit aussi parler de la guerre des enseignes, d’où une guerre des prix. Les grands distributeurs font un profit, les rapports montrant qu’ils ont augmenté leurs marges de 15 % entre 2013 et 2014 sur la viande bovine, quand dans le même temps les revenus des agriculteurs a diminué de 20 %, les quatre principaux distributeurs français s’étant regroupés récemment pour être plus efficaces, en mutualisant les centrales d’achats, et Leclerc étant tout seul, s’étant mis avec un distributeur allemand. Si le pouvoir d’achat n’était pas si bas, sûrement les Français achèteraient plus facilement de la qualité. Mais c’est aussi une question de choix, ayant maintenant d’autres coûts dans la vie quotidienne, avec trois ou quatre téléphones portables par famille. Tous ceux qui payent le modèle social, se demandent pourquoi ils devraient payer plus cher, pour une cantine, avec des plats non plus à 3,5 euros, mais à 4 ou 5 euros. On trouve beaucoup de taxes, beaucoup d’impôts, pour financer une machine, au final, pas très bien gérée et pas très rentable. Mais cependant, il y a des marges possibles, car 4 centimes de plus sur le litre de lait payé au producteur, ça se traduira par moins de 2 centimes chez le transformateur, car il y aura de sérieuses économies d’échelle réalisées. La concurrence est très forte sur le porc, en Espagne, en Allemagne. 70 % de la viande de porc en France est vendue en promotion. Il y a aussi du tout et n’importe quoi, dans cette guerre fratricide des prix entre grands distributeurs. Ce n’est peut-être pas à l’Etat d’intervenir systématiquement, dans une économie de marché. Mais il faut rappeler qu’aux Etats-Unis, pourtant où le libéralisme est promu, c’est le moins que l’on puisse dire, l’Etat intervient systématiquement en faveur de l’agriculture américaine. Au monde, le pays où il y a le plus de subventions, c’est le Japon. Sans l’intervention de l’Etat, l’agriculture japonaise n’existerait plus, car aucun pays ne veut abandonner sa souveraineté alimentaire.

En tout cas, ce n’est évidemment pas avec quelques « rustines », quelques subventions supplémentaires et quelques facilités de paiement, ni quelques répits qu’on sauvera d’une mort désormais quasi-programmée l’agriculture française – ou du moins les plus petits producteurs – ni face à la concurrence européenne et mondiale, ni surtout face à elle-même. François Hollande a rencontré les agriculteurs, afin de désamorcer la colère, en discutant et en mobilisant pour comprendre la problématique de la filière, Stéphane Le Foll ayant refusé, au début, de discuter avec les manifestants. Valls déclare que le gouvernement est du côté du monde paysan. Il prétend tout mettre en oeuvre avec 24 mesures d’urgence, dont un report de charges, le surendettement des éleveurs étant appelé à être restructuré, mais aussi sur le long terme, 10 millions d’euros devant permettre de promouvoir la viande française à l’étranger, mais aussi d’améliorer la compétitivité. Il est promis la promotion de la transition énergétique via des aides fiscales, mais aussi au sujet des prix, plus question de passer en-dessous de 340 euros / les mille litres de lait. Le gouvernement aura peut-être finalement réussi à calmer la colère des éleveurs, à titre provisoire. Mais le contribuable et le consommateur paieront à double titre, outre une légère hausse de prix, au travers la répercussion de l’aide d’Etat dans l’allongement de la dette. Mais ce ne sont pas des réformes structurelles, c’est cela le gros problème, et là que le bas blesse. Autrefois, quand un chef de l’Etat voulait venir en aide à un secteur de l’économie en danger, à ce titre, il prenait des décisions, avec plus de marge de manoeuvre, signant quelques décrets, lançant une directive politique, etc. Mais Hollande se contente de demander respectueusement à la grande distribution de mieux payer les producteurs et incite gentiment les Français à consommer français. Qui peut croire une seule seconde que, simplement pour faire plaisir au président, les groupes de grande distribution vont rogner sur leurs marges ? Et qui peut imaginer que les Français, qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts pour beaucoup, paieront plus chers les produits dont ils ont besoin.

Il faudra sans doute qu’il y ait quelques préfectures incendiées, quelques grandes surfaces dévastées, voire quelques morts pour que ce pouvoir, si l’on peut le baptiser comme tel, décident enfin les mesures d’urgence que réclament, depuis des mois et à cor et à cri, nos paysans. Il est d’ailleurs stupéfiant qu’après les semaines de « turbulence » que nous venons de vivre avec la crise grecque, Hollande ne trouve rien de mieux que de nous dire qu’il faut davantage encore d’Europe. N’a-t-il pas compris que, depuis des années, les Français sont – pour le moins – réticents vis-à-vis de l’Europe. Et cela même si nos politiciens continuent « à sauter comme des cabris sur leur tabouret en criant l’Europe, l’Europe », pour reprendre une célèbre formule. Nous savons tous depuis au moins trois ans que François Hollande est passé maître dans l’art de dire tout et son contraire. Mais il s’est surpassé, en promettant aux agriculteurs de venir à leur aide et, en même temps, en annonçant qu’il allait prendre une initiative pour l’instauration d’un gouvernement européen, avec budget spécifique et parlement. On nous a déjà « barboté » (en douce) nos frontières, notre monnaie, notre justice, notre parlement ; créer maintenant un « gouvernement de la zone euro », à 19, serait non seulement la fin des haricots mais aussi, autrement plus grave, celle de la France, ou du moins du peu qu’il en reste, appelé à devenir surtout une région de l’Europe.

A force de vouloir faire de la démagogie avec toutes ses incohérences, ce président qui n’a pas su nous sortir du gouffre nous achèvera. Ce qu’il faut savoir aujourd’hui c’est que les Français ne se contentent plus de contester la personnalité du chef de l’Etat, son idéologie vacillante et son sectarisme rampant ou encore sa méthode de gouvernance. Commençant – bien tardivement – à s’affoler, Hollande, Valls et Le Foll (sans doute le ministre de l’Agriculture le plus médiocre, à part Edith Cresson, que nous ayons eu depuis le début de la Ve République) annoncent, en catastrophe, des plans d’urgence, quelques millions d’euros à la volée, des réunions de concertation, des commissions de n’importe quoi, le plus souvent mises sur pied pour enterrer un problème. Georges Clémenceau disait que  « quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ». C’est la grande « politique de la rustine » dans toute son horreur, chère à Hollande, comme elle le fut si longtemps aux rads-socs de la IIIe République. Mais si la rustine peut vaguement colmater une petite fuite et faire gagner du temps, elle est évidemment dérisoire quand « ça pète de partout ». Les agriculteurs qui hurlent leur désespoir ne demandent pas l’aumône-rustine. Ils veulent « simplement » que ce qui reste de l’agriculture française ne soit pas massacré au profit des grands groupes de la distribution ou de l’Europe de la Commission de Bruxelles ; ils veulent pouvoir vivre dignement « en nourrissant le pays », comme cela fut longtemps leur « mission sacrée ». Mais ils veulent aussi que le pouvoir tienne (au moins un peu) toutes les promesses qu’il leur a faites il n’y a pas si longtemps, c’est-à-dire, au moins, qu’il abaisse les fameuses charges qui les ont asphyxiés, qu’il règlemente la distribution et qu’il régule, dès que la concurrence européenne et / ou mondiale devient par trop déloyale. Cela fait plus de trois ans que ce gouvernement est au pouvoir et qu’il aurait dû, évidemment, s’attaquer à cette crise de l’agriculture française qui est moribonde et qu’il faut réformer de fond en comble. Il n’a rien fait. Et voici que, devant ce qui ressemble à un début d’insurrection, il promet, dans l’affolement le plus ridicule, monts et merveilles et qu’il pose des rustines tout en maniant la carotte et le bâton.

Après plus de trois ans de promesses non tenues, de trahisons, de mensonges, de volte-face, d’inaction et d’échecs cuisants, cette équipe de bras cassés ne se serait-elle totalement discréditée aux yeux des Français ? Mais il y a, sans doute, pire encore. Les agriculteurs français font aujourd’hui un véritable procès en incompétence du gouvernement. Hollande et Valls (sans même parler de Le Foll) n’ont visiblement rien compris au drame qui frappe aujourd’hui (et depuis des années) tout notre monde rural. Or, tout comme il prétend sauver notre économie à la dérive en laissant certains magasins ouvrir certains dimanches, Hollande veut faire croire qu’il sauvera notre agriculture en apposant des rustines pour ménager la chèvre et le chou. Il nous avait promis le changement, alors que c’est une révolution de fond en comble dont nous avons besoin. Il continue à naviguer à vue, à la godille et à la petite semaine, au milieu de la tempête. Tout cela est dérisoire et relève, en effet, de la pire des incompétences.

         J. D.


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